Cet article a été écrit suite à la sortie du film sur Oppenheimer du réalisateur Christopher Nolan, qui correspondait à peu près à la commémoration de la catastrophe nucléaire de Church Rock, le 16 juillet 1979. L’auteur s’est vu reprocher de ne pas avoir vu le film. Alors, il l’a vu et brièvement dit ce qu’il en pensait.

Klee Benally, Indigenous Action/Haul No!
Contributions de Leona Morgan, Diné No Nukes/Haul No!
Publié par Indigenous Action
20 juillet 2023

La terreur génocidaire de l’énergie et des armes nucléaires n’est pas un divertissement.

Glorifier de telles science et technologie mortelles en une étude de caractère dramatique dépolitisée, c’est cracher à la figure de centaines de milliers de cadavres et de survivants dispersés dans toute l’histoire du prétendu âge Atomique.

Pensez-y de cette façon, pour chaque minute qui passe dans le film de 3 heures, plus de 1100 citoyens des villes d’Hiroshima et Nagasaki mouraient à cause de l’arme de destruction massive d’Oppenheimer. Ceci ne prend pas en compte ceux, sous le vent des tests nucléaires, qui ont été exposés aux retombées radioactives (certains protestent contre les projections), ça ne prend pas en compte ceux qui ont été empoisonnés par des mines d’uranium, ça ne prend pas en compte ceux qui ont été tués lors d’accidents de centrales nucléaires, ça ne prend pas en compte ceux des îles Marshall, empoisonnés pour toujours.

Pour chaque seconde que vous passez dans un cinéma climatisé, avec un seau de popcorn chaud sur les genoux, 18 personnes mouraient en un clin d’œil. Grâce à Oppenheimer.

Bien que vous en ayez certainement appris suffisamment sur J. Robert Oppenheimer, le « père de la bombe atomique », grâce à l’odyssée 70mm IMAX du réalisateur Christopher Nolan, soyons clair sur son héritage mortel et le complexe militaro-scientifique-industriel omniprésent derrière.

Après la détonation réussie de la toute première bombe atomique, Oppenheimer a effrontément cité le Bhagavad-Gita, « Maintenant je suis devenu la mort, le destructeur de mondes. » À peine un mois plus tard, les « Etats-Unis » larguaient deux bombes atomiques qui dévastèrent les villes d’Hiroshima et Nagasaki et plus de 200 000 personnes furent tuées. Des ombres de ceux qui avaient péri ont été brûlées dans le sol des rues. Un des survivants, Sachiko Matsuo, a relayé leurs pensées, comme ils essayaient de trouver un sens à ce qui se passait quand Nagasaki a été frappée, « Je ne pouvais rien voir en bas. Ma grand-mère se mit à pleurer, ‘Tout le monde est mort. C’est la fin du monde. » Une dévastation que Nolan a délibérément laissée de côté, car, selon le réalisateur, le film n’est pas raconté du point de vue de ceux qui ont été bombardés, mais de celui de ceux qui en étaient responsables. Nolan explique simplement, « [Oppenheimer] apprit les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki à la radio, comme le reste du monde. »

Quelques mois après la détonation sur le site « Trinity », en territoire Tewa occupé, au Nouveau-Mexique, Oppenheimer démissionna. Il partit en exprimant le conflit intérieur d’avoir « du sang sur les mains », (quoique plus tard il aurait dit que les bombardements ne pesaient pas « sur sa conscience ») et de laisser un héritage de dévastation nucléaire et de pollution radioactive empoisonnant de façon permanente les terres, les eaux et les corps jusqu’à aujourd’hui.

Les militaires U.S. et la machinerie politique ont cannibalisé le scientifique et en ont fait le méchant de leur anxiété impérialiste de la guerre froide. Ils lui ont rappelé, comme aux autres scientifiques derrière le Projet Manhattan, qu’eux et leurs intérêts étaient toujours sous contrôle.

Oppenheimer n’a jamais été un héros, c’était un architecte de l’annihilation.

La course pour développer la première bombe atomique (après que les Nazis aient réussi la fission de l’atome) n’aurait jamais pu être une stratégie pacifique de dissuasion, c’était une stratégie de domination et d’annihilation.

L’Allemagne Nazie commettait le génocide contre les Juifs, tandis que les Etats-Unis se tenaient politiquement sur les marges. Ce ne fut que lorsqu’ils furent directement menacés que les Etats-Unis intervinrent. Bien que l’Allemagne Nazie ait été vaincue le 8 mai 1945, les Etats-Unis ont largué deux bombes atomiques, séparément, sur les cibles non-militaires des villes japonaises d’Hiroshima et Nagasaki, le 6 et le 9 août 1945.

Pour souligner la complicité d’Oppenheimer, il a bloqué une pétition de 70 scientifiques du Projet Manhattan, qui pressait le Président Truman de ne pas larguer de bombes, pour des raisons morales. Les scientifiques disaient aussi que, la guerre étant proche de sa fin, le Japon aurait dû avoir la possibilité de se rendre.

Aujourd’hui, il y a approximativement 12 500 têtes nucléaires dans neuf pays, près de 90% sont détenues par les Etats-Unis et la Russie. Il est estimé que 100 armes nucléaires sont un seuil de « dissuasion… adéquat » pour la destruction mutuelle assurée » du monde.

Oppenheimer a construit l’arme dont le canon est toujours sur la tempe de tous ceux qui vivent sur cette Terre aujourd’hui. Pendant toutes ces décennies après le développement de « La Bombe », des millions de gens partout dans le monde se sont ralliés au désarmement nucléaire, cependant les politiciens ont toujours le doigt sur la gâchette.

L’héritage mortel du Colonialisme Nucléaire

La production d’armes et d’énergie nucléaires ne serait pas possible sans uranium.

L’extraction globale d’uranium a connu un boum pendant et après la Deuxième Guerre Mondiale et continue de menacer des communautés partout dans le monde.

Aujourd’hui, il y a plus de 15 000 mines d’uranium abandonnées aux Etats-Unis, principalement dans et autour des communautés Autochtones, et elles empoisonnent pour toujours des terres et des eaux sacrées, alors que peu ou pas d’action politique ne soit entamée pour nettoyer leur héritage toxique et mortel.

Les communautés Autochtones sont depuis longtemps sur les lignes de front de la lutte pour en finir avec l’héritage mortel de l’industrie nucléaire. Le colonialisme nucléaire a conduit à la pollution radioactive des systèmes d’eau potable de communautés entières, comme le village de Red Shirt, dans le Dakota du Sud et Sanders, en Arizona. L’Agence de Protection de l’Environnement des Etats-Unis a fermé au moins 22 puits dans la Nation Navajo, où il y a plus de 523 mines d’uranium abandonnées. À Ludlow, dans le Dakota du Sud, une mine d’uranium abandonnée se trouve à quelques mètres d’une école primaire, empoisonnant le sol où des enfants continuent à jouer jusqu’à aujourd’hui.

Le colonialisme nucléaire a ravagé nos communautés et laissé un héritage mortel de cancers, d’anomalies congénitales et d’autres conséquences graves sur la santé, c’est un lent génocide des Peuples Autochtones.

De 1944 à 1986, quelque 30 millions de tonnes de minerai d’uranium ont été extraits de mines sur les terres Diné. Les travailleurs Diné n’ont presque pas été informés des risques potentiels pour leur santé, et beaucoup d’entre eux n’ont pas eu de matériel de protection. Comme la demande d’uranium baissait, les mines ont fermé, laissant plus de mille sites contaminés. À ce jour, aucun n’a été complètement nettoyé.

Le 16 juillet 1979, tout juste 34 ans après qu’Oppenheimer ait assisté au test Trinity, le 16 juillet 1945, la plus grande fuite radioactive accidentelle s’est produite dans Diné Bikéyah (la Nation Navajo), à l’usine de traitement de Church Rock. Plus de 1100 tonnes de déchets radioactifs solides et 356000 litres de liquide radioactif se sont déversés dans la Rivière Puerco, après qu’une digue en terre se soit rompue. Aujourd’hui, l’eau en aval de la communauté de Sanders, en Arizona, est empoisonnée par la contamination radioactive de la fuite.

Bien que l’extraction d’uranium soit maintenant interdite dans la réserve, grâce aux campagnes des organisateurs Diné anti-nucléaire, les politiciens Navajo cherchent toujours à autoriser de nouvelles mines dans les zones déjà polluées par l’héritage toxique de l’industrie. On estime que 25% de tout l’uranium qui reste dans le pays se trouve dans Diné Bikéyah.

Bien qu’il n’y ait jamais eu d’étude exhaustive des impacts de l’uranium sur la santé humaine dans la zone, une étude ciblée a détecté de l’uranium dans l’urine de bébés nés de femmes Diné exposées à l’uranium.

Les terres des Shoshone de l’Ouest, dans le soi-disant Nevada, qui n’ont jamais été cédées au gouvernement des « Etats-Unis », sont depuis longtemps la cible des industries militaires et nucléaires.

Entre 1951 et 1992, plus de 1000 bombes nucléaires ont explosé en surface et en dessous, dans une zone appelée Site de Tests du Nevada, sur des terres des Shoshones de l’Ouest, ce qui en fait une des nations les plus bombardées sur terre.
Les communautés des zones aux alentours du site de tests sont exposées à de graves retombées radioactives, qui causent des cancers, des leucémies et autres maladies. Ceux qui souffrent de cette pollution radioactive sont appelés collectivement « ceux sous le vent. »

Le guide spirituel Shoshone de l’ouest Corbin Harney, décédé en 2007, a aidé à démarrer une action de la base pour fermer le site de tests et abolir les armes nucléaires. Une fois, il avait dit « Nous n’aidons pas du tout notre Mère la Terre. Les racines, les baies, les animaux ne sont plus là, il n’y a plus rien ici. C’est triste. Nous vendons l’air, l’eau, et nous nous vendons déjà les uns les autres. D’une façon ou d’une autre, ça conduira à une fin. »

Entre 1945 et 1958, soixante-sept bombes atomiques ont explosé au cours de tests effectués à Majel (les îles Marshall). Des Autochtones des îles ont cessé de se reproduire à cause de la gravité des cancers et des malformations congénitales auxquels ils ont fait face à cause de la radioactivité.

En 1987, le Congrès des « Etats-Unis » a initié un projet controversé de transport et d’entreposage de presque tous les déchets nucléaires des Etats-Unis à Yucca Mountain, située à environ 150 km au nord-ouest de soi-disant Las Vegas, dans le Nevada. Yucca Mountain est considérée comme sacrée par les Nations Paiute et Shoshone de l’ouest, depuis des temps immémoriaux. En janvier 2010 le gouvernement Obama a approuvé un prêt de 54 milliards de dollars d’argent des contribuables, pour garantir un programme de construction d’un nouveau réacteur nucléaire, trois fois ce que Bush avait promis en 2005.

Il y a actuellement 93 réacteurs en service dans les soi-disant Etats-Unis, qui fournissent 20% de l’électricité du pays. Il y a près de 90000 tonnes de déchets nucléaires hautement radioactifs retenus par des digues en béton, dans les centrales nucléaires du pays, et les déchets augmentent de 2000 tonnes par an.

Des catastrophes de 1979 à Three-Mile-Island et Church Rock à la fusion de la Centrale Nucléaire de Tchernobyl en 1986, l’industrie nucléaire a été aux prises avec des catastrophes massives avec des conséquences permanentes.

En 2011, la Centrale Nucléaire de Fukushima Daiichi a connu un désastre et a commencé à entrer en fusion après avoir été touchée par un tremblement de terre et un tsunami. Il a été dit que la centrale de Fukushima avait fait fuir environ 300 tonnes d’eau radioactive par jour dans l’océan. Aujourd’hui le gouvernement japonais exprime ouvertement ses projets de larguer le reste des eaux radioactives dans le Pacifique.

Des armes contenant de l’ « uranium appauvri » déployées par les Etats-Unis dans des guerres impérialistes (particulièrement en Irak et en Afghanistan) ont aussi empoisonné des écosystèmes, également en fournissant des champs de tir en Arizona, dans le Maryland, l’Indiana et à Vieques, à Porto Rico. L’uranium appauvri est un sous-produit du processus d’enrichissement d’uranium quand il est utilisé dans des réacteurs et pour fabriquer des armes nucléaires.

La production d’énergie nucléaire est maintenant proclamée « solution verte » pour la crise climatique, mais rien ne saurait être aussi loin de la vérité que ce mensonge mortel.

En avril 2022, le gouvernement Biden a annoncé un plan de sauvetage de 6 milliards de dollars pour « sauver » des centrales nucléaires qui risquent de fermer. Un représentant du gouvernement colonial a déclaré « Les centrales nucléaires U.S. contribuent pour plus de la moitié de notre électricité non-carbonée, et le Président Biden s’est engagé à garder ces centrales en activité pour atteindre nos buts d’énergie propre. » Tout comme certains militants pour la Justice Climatique, ils citent l’énergie nucléaire comme nécessaire au combat contre le réchauffement climatique, ignorant totalement les effets dévastateurs permanents auxquels les Peuples Autochtones font face.

À cause de ce « laver plus vert » de l’énergie nucléaire, nous pouvons nous attendre à une poussée de l’hydrogène nucléaire, des petits réacteurs nucléaires modulaires, et à ce que le High-Assay Low-Enriched Uranium (HALEU) ne pousse à une nouvelle menace d’extraction, de transport et de traitement d’uranium.

Bien que le gouvernement Obama ait mis un moratoire sur des milliers de baux pour des mines d’uranium autour du Grand Canyon en 2012, des demandes préexistantes sont autorisées. Des groupes écologistes et des Nations Autochtones essaient actuellement de rendre le moratoire permanent et font pression pour un nouveau monument national, cependant, cela ne ferait rien ou presque rien contre la poignée de mines d’uranium préexistantes qui ont été autorisées à continuer.

Malgré ces actions, des explosions souterraines et aériennes ont commencé à la Mine Pinyon Plain/du Canyon, à quelques kilomètres du Grand Canyon. Dès qu’Energy Fuels, la compagnie qui exploite la mine, commencera à extraire du minerai radioactif, elle a l’intention d’en transporter 30 tonnes par jour à travers le Nord de l’Arizona, à l’usine de traitement de la compagnie, à White Mesa, à 480 kilomètres.

L’Usine de White Mesa est la seule usine d’uranium conventionnelle qui opère aux Etats-Unis. L’usine a été construite sur des terres sacrées ancestrales de la Tribu Ute de Ute Mountain, près de Blanding, Utah. Energy Fuels jette les déchets radioactifs dans des « bassins de retenue » qui occupent environ 111 hectares près de l’usine. Etant donné que le nombre de sites de déchets radioactifs est limité, l’Usine de White Mesa est une décharge ad hoc pour les déchets nucléaires du monde entier, qui n’ont pas de site de dépôt permanent.

Au soi-disant Nouveau-Mexique, un état accro aux revenus du nucléaire, pour les armes et l’énergie, il y a deux laboratoires nationaux et deux sites de déchets nationaux. Avec l’héritage des mines d’uranium et des usines, il y a eu le Projet Gasbuggy (une détonation souterraine), un accident « Flèche Brisée » près d’Albuquerque, et d’innombrables tonnes de déchets radioactifs enterrés dans des puits non renforcés, des kivas Pueblo et des bassins. Actuellement, ils font des projets d’expansion et de modifications aux Laboratoires Nationaux de Los Alamos, au Centre Pilote d’Isolation des Déchets [Waste Isolation Pilot Plant, WIPP] et au site d’enrichissement d’uranium d’Urenco. Plus récemment, le Nouveau-Mexique a été menacé par deux sites d’entreposage temporaires licenciés récemment, pour le « fuel usagé » des centrales nucléaires du Nouveau-Mexique et du Texas. Le gouvernement fédéral continue à pousser les projets nucléaires avec des incitations financières.

La prolifération nucléaire continue, tandis que les Etats-Unis permettent que des mineurs d’uranium et d’autres, éligibles pour la Loi de Compensation de l’Exposition aux Radiations, meurent. Beaucoup continuent de souffrir et attendent que les fonds de compensation soient alloués ou ne sont pas éligibles vu les limitations de la loi.

Les dévastations du colonialisme nucléaire, qui détruisent pour toujours des communautés Autochtones partout dans le monde, n’est pas un divertissement. C’est l’héritage terrifiant de l’énergie et des armes nucléaires que des films comme Oppenheimer et des militants douteux de la cause climatique, défendent.

Les Peuples Autochtones vivent, souffrent et continuent de résister à ses conséquences chaque jour.

EN FINIR AVEC LE COLONIALISME NUCLÉAIRE !



Churchrock disaster, 1979
By Leona Morgan
May 2019, in Bure, Western France
En français

On July 16th, 1979, the worst nuclear disaster in the history of the United States, took place in Churchrock, New Mexico. In Churchrock were two uranium mines and a processing mill. The mill had a tailings pond to hold the waste from the mill. Waste from a processing mill is much more radioactive than mine waste. That pond was closed by a dam made of clay. There was a crack in it, the company and the government knew it, but the company kept putting waste in the pond. In the morning of July 16th, 1979, the dam broke. 90 million gallons of radioactive waste spilled into a dry ravine, and further in a mostly dry river, the Puerco River. It usually has no water, but after the spill occurred, it rained, so the river was full of water and flowed 100 miles away into Arizona. It happened only a few months after the Three-Miles-Island accident, in Harrisburg. Although the spill in Churchrock was the worst nuclear accident ever, it got almost no media coverage and no public attention. Harrisburg is in the east, in a densely populated area, mostly white people (there has been a movie about the accident, starring Meryl Streep). In Churchrock, there are not so many people, mostly Indigenous.

Today, it still has not been cleaned up. In July 2015, Tommy Rock, a Diné scholar from the Northern Arizona University, found that the drink water, in a Diné community in Sanders, Arizona, 40 miles downstream on the Puerco River, had two times the legal level of uranium. The children at the local school were given bottled water to drink. The community is still fighting for cleanup. They want the waste to go off the Navajo Nation, away from their homes. “But,” says Leona, “because of the checkerboard area, which is out of the Reservation, the government piled up waste quite close to their homes, and the wind brings it back.” She adds “Uranium mining was banned in 2005, but it is uranium mines from the 1980’s which are still affecting the animals and the community.” People want the mines to be cleaned up. The company is proposing to scrape the radioactive dirt, put it above the mill’s waste and cover it with clay, saying it would be safe for a thousand years. But their plan applies only inside the private land of the company and will not include the whole area of the spill, 100 miles west. People fear another spill. The Puerco is a dry river, but heavy rains can always occur.

Out of the 15 000 abandoned mines, this is the most affected place in the United States.





Le 16 juillet 1979, s’est produit la plus grande catastrophe nucléaire jusqu’alors. Depuis, Chernobyl et Fukushima ont fait mieux. Mais Church Rock reste une catastrophe majeure qui a encore des effets aujourd’hui. Personne n’en a parlé, vu que la catastrophe a eu lieu dans la Réserve Navajo. La même année, il y a eu un accident à la centrale de Three-Miles-Island, qui a fait la une des médias, et un film avec Meryl Streep dans le rôle principal. La catastrophe de Church Rock a toujours des conséquences aujourd’hui. Ci-dessous, je reproduis le témoignage de Leona Morgan, Navajo de Crownpoint (même région), qui est devenue une célèbre militante anti-nucléaire à cause des nombreux cancers qui se produisaient parmi ses proches. En 2019, elle est venue visiter Bure, pour manifester sa solidarité, et a expliqué la situation à laquelle elle et ses proches sont confrontés, et le travail qu’elle fait pour réagir.
En 2015, Tommy Rock, un chercheur Navajo de l’Université de Flagstaff, a trouvé de la radioactivité dans l’eau “potable” de Sanders, en aval. La pluie, plus abondante qu’à l’ordinaire, avait entrainé la radioactivité de Church Rock dans la rivière Puerco, normalement à sec en été.

Christine Prat, CSIA-Nitassinan

La catastrophe de 1979, à Churchrock
In English

Le 16 juillet 1979, la pire catastrophe nucléaire de l’histoire des Etats-Unis a eu lieu à Churchrock, au Nouveau-Mexique. A Churchrock, il y avait deux mines d’uranium et une usine de traitement. L’usine avait un bassin de rétention des déchets. Les déchets d’une usine de traitement sont beaucoup plus radioactifs que ceux des mines. Ce bassin était fermé par un barrage en argile. Il y avait une fissure dans ce barrage, l’entreprise le savait, le gouvernement aussi, mais l’entreprise a continué à mettre des déchets dans le bassin. A l’aube du 16 juillet 1979, le barrage s’est rompu. Plus de 400 millions de litres de déchets radioactifs se sont déversés dans un ravin à sec, puis dans une rivière qui est à sec la plupart de temps, la rivière Puerco. En général, il n’y a pas d’eau, mais après la fuite, il a plu et la rivière s’est remplie d’eau et a coulé jusqu’à 160 km, en Arizona. Ça s’est passé quelques mois après l’accident de la centrale nucléaire de Three-Miles-Island, à Harrisburg. Bien que la fuite de Churchrock ait été le pire accident qui se soit jamais produit, les médias n’en n’ont presque rien dit et ça n’a pas attiré l’attention du public. Harrisburg se trouve dans l’est des U.S.A, dans une zone très peuplée, essentiellement de Blancs (il y a eu un film sur l’accident, avec Meryl Streep dans le rôle principal). A Churchrock, il n’y a pas beaucoup d’habitants et la plupart sont Autochtones.

A ce jour, ce n’a toujours pas été décontaminé. En juillet 2015, Tommy Rock, un chercheur Diné de l’Université de Flagstaff, a découvert que l’eau potable d’une communauté Diné, à Sanders, en Arizona, à 65 km en aval sur la rivière Puerco, contenait deux fois la concentration légale d’uranium. Les enfants de l’école locale ont reçu de l’eau en bouteille pour boire. La communauté se bat toujours pour que ce soit décontaminé. Ils veulent que les déchets soient enlevés des environs de la Nation Navajo, loin de leurs maisons. “Mais” dit Leona, “à cause de l’échiquier, qui est hors de la Réserve, le gouvernement a entreposé les déchets non loin de leurs maisons, et le vent les ramène.” Elle ajouta que “l’extraction d’uranium est interdite depuis 2005, mais ce sont les mines des années 1980 qui continuent d’affecter les animaux et la communauté.” Les gens veulent que les mines soient décontaminées. L’entreprise propose de gratter les déchets radioactifs, de les entreposer sur les déchets de l’usine, et de recouvrir le tout d’argile, affirmant que ça tiendrait au moins mille ans. Mais leur projet ne s’applique qu’au terrain privé de l’entreprise et n’inclue pas toute la zone touchée par la fuite, jusqu’à 160 km à l’ouest. Les gens craignent une autre fuite. Le Puerco est une rivière sèche, mais des pluies abondantes peuvent toujours se produire. (En tous cas, le Puerco n’était pas complètement à sec en septembre 2015, il y avait probablement eu des pluies en juillet…)

Des 15 000 mines d’uranium abandonnées, c’est le lieu le plus gravement touché des Etats-Unis.

LEONA MORGAN, DINÉ, ACTIVISTE ANTI-NUCLEAIRE, SERA A LA SALLE DES FÊTES DE BETANCOURT-LA-FERREE LE 24 MAI 2019

Nucléarisation d’un territoire et peuples autochtones
Conférence de Leona Morgan à la salle des fêtes de Bettancourt-la-ferrée : vendredi 24 mai 2019, de 20h à 22h30

Avec le CSIA-Nitassinan, CEDRA, Meuse Nature Environnement et le Réseau Sortir Du Nucléaire

Leona Morgan est une organisatrice communautaire autochtone et une activiste en lutte depuis 2007 contre le colonialisme nucléaire dans le sud-ouest des États-Unis. Ses principaux objectifs sont d’empêcher l’ouverture de nouvelles mines d’uranium et de nouvelles décharges nucléaires, ainsi que de lutter contre le transport de matériaux radioactifs.
Leona Morgan a co-fondé et travaille avec Diné No Nukes (http://www.dinenonukes.org), Radiation Monitoring Project (www.radmonitoring.org) et Nuclear Issues Study Group (www.fb.com/NuclearIssuesStudyGroup). Elle collabore également avec des groupes et activistes anti-extractivistes et anti-nucléaires à l’international en organisant des rassemblements dans le but de faire face au cycle complet de l’énergie nucléaire.
Leona est Diné de la nation Navajo, elle vit à Albuquerque au Nouveau-Mexique.

À l’occasion d’une tournée en Europe qui la mènera jusqu’au forum social antinucléaire à Madrid, Leona sera de passage en Meuse et en Haute-Marne, où elle donnera notamment une conférence à Bettancourt-la-ferrée, où elle abordera les sujets de la nucléarisation du Nouveau-Mexique, de la résistance à cette nucléarisation, de la problématique des peuples autochtones face au nucléaire, de la journée d’action du 16 juillet et des outils de mesure des risques radioactifs.

Pour en savoir plus sur Leona, cliquer ici (article de 2017, d’après une interview réalisée à Albuquerque, en septembre 2017) Christine Prat


 

LEONA MORGAN, DINÉ, UNE VIE CONTRE LE NUCLÉAIRE

 

D’après une interview de Leona Morgan
Albuquerque, Nouveau-Mexique
21 septembre 2017
Par Christine Prat
Traduction Christine Prat

 

Les Territoires Autochtones du sud-ouest des “Etats-Unis” ont été, et sont encore, dévastés par l’extraction d’uranium et les usines de traitement depuis les années 1940, et surtout durant les années 1950 et 1960, pendant la Guerre Froide. Aucune mesure de sécurité n’avait été prise par les compagnies privées, qui ne cherchaient que le profit. De nombreux mineurs, pour la plupart Navajos, et des membres de leurs familles sont morts de cancers et autres maladies. Dans les années 1980, le prix de l’uranium s’est effondré, la plupart des mines ont été abandonnées – mais pas décontaminées. En 2006, le prix de l’uranium a de nouveau explosé. Les compagnies minières ont cherché à rouvrir les mines. Leona Morgan, une jeune Diné [Navajo], dont la famille a été directement touchée, consacre sa vie à organiser les gens contre l’uranium et le nucléaire depuis des années. Actuellement, elle travaille aussi avec des organisations internationales. En novembre 2017, elle est venue à Paris pour des réunions, puis elle s’est rendue à Bonn, pour la COP23, afin d’attirer l’attention sur la question nucléaire, laissée de côté par les participants officiels des COP de ces dernières années, qui veulent limiter la portée de ces évènements à la lutte contre le CO², afin de promouvoir l’énergie nucléaire, en tant que soi-disant ‘énergie propre’. J’ai rencontré Leona en septembre 2017, elle m’a fourni beaucoup d’informations sur son travail (bénévole) et les problèmes d’uranium et de nucléaire au Nouveau-Mexique, où elle vit. En ce moment – printemps 2018 – elle-même et d’autres personnes et groupes anti-nucléaire luttent principalement contre un projet d’enfouissement de déchets extrêmement radioactifs, dans le sud-est du Nouveau-Mexique.

 

ALBUQUERQUE, Nouveau-Mexique, 21 septembre 2017 – Une jeune Diné parle de sa vie et de son travail contre le nucléaire et les mines d’uranium.

“Je m’appelle Leona Morgan. Je travaille sur les problèmes d’uranium depuis environs dix ans, et j’ai commencé à travailler sur les problèmes nucléaires depuis à peu près cinq ans. Dans l’état du Nouveau-Mexique, nous avons plusieurs sites nucléaires. Mon travail se concentre sur les communautés Autochtones. J’ai commencé à organiser les gens à l’université, il y a peut-être 15 ans.”

A l’époque, elle s’est impliquée, comme étudiante, dans une organisation appelée le Conseil SAGE, qui défendait un site sacré, le Monument National des Pétroglyphes, à l’ouest d’Albuquerque. La ville voulait s’étendre, mais elle est limitée à l’est par la montagne, au sud par la Nation Pueblo d’Isleta, et au nord par les Pueblos Sandia. Donc, les autorités voulaient l’étendre vers l’ouest, aux dépens du Monument National des Pétroglyphes. “Pete Domenici (Républicain), un de nos représentants au Congrès, a sacrifié une partie du Parc National, il l’a soustraite au contrôle fédéral pour l’attribuer à la ville. Ils ont fait passer la décision comme amendement d’un projet de loi du Congrès, qui a été adopté pour aider la Bosnie-Herzégovine.” Leona ajouta “C’est comme cela que j’ai appris comment s’organiser, par la protection des pétroglyphes. Ainsi, j’ai entendu parler des Sites Sacrés, j’ai entendu parler de la construction des mouvements Autochtones, et puis, aussi, j’ai appris la différence entre l’organisation et le militantisme. Puis, j’ai rencontré énormément de gens, à Albuquerque et dans l’état. Ils m’ont mis sur la voie, pour avoir des relations avec des organisateurs, des Peuples Autochtones, et c’est comme cela que j’ai commencé, à Albuquerque.”

 

Puis, en 2007, Leona entendit parler de l’extraction d’uranium, et assista à des réunions sur la question.

“… au début des années 2000, ma grand-mère est morte d’un cancer du poumon. Nous étions très surpris, nous nous demandions comment elle pouvait avoir un cancer du poumon, elle ne fumait pas. Et ce n’était pas quelque chose de courant, donc elle est morte, sans savoir pourquoi elle avait un cancer. Ça s’est passé ici, à Albuquerque, à l’Hôpital Universitaire du Nouveau-Mexique, quand j’étais étudiante. J’habitais à la résidence universitaire, donc je rendais visite à ma grand-mère. Quand elle est morte, nous ne savions pas quelle était la cause.

Environs six ans plus tard, j’ai entendu parler de l’extraction d’uranium, après avoir terminé mes études. Ils ne nous apprennent pas l’histoire de l’extraction, ils ne nous apprennent pas rien sur les problèmes nucléaires du Nouveau-Mexique, au lycée ou à l’université.”

“Alors, après avoir terminé mes études universitaires, j’ai entendu parler des mines d’uranium, et j’ai été absolument convaincue que c’était ce qui avait tué ma grand-mère. A la même époque, une de mes tantes a eu un cancer des seins, ils lui ont enlevé les deux, et j’ai pensé que ce devait être à cause des mines d’uranium. Une autre tante – mon oncle, son mari, avait été mineur dans une mine d’uranium – a eu une maladie des reins. C’est aussi quelque chose qui peut être causé par l’extraction d’uranium. Ils attribuaient la maladie au fait que les femmes lavaient les vêtements contaminés de leurs maris, alors elle a dû ingérer de l’uranium comme cela. Et elle est morte, je suis convaincue que c’était aussi à cause de l’uranium…”

D’autres membres de la famille sont morts de cancers, mais vu la période de latence, c’est difficile de prouver que c’était à cause de l’uranium. Les compagnies essaient toujours de nier leur responsabilité dans les maladies qui touchent les régions minières. De plus, les compagnies fusionnent, sont vendues, achetées, changent de noms et même de nationalité, et peuvent rejeter la responsabilité sur leurs prédécesseurs pour ce qui est arrivé dans le passé.

La famille de Leona est de la région de Crownpoint, à l’est de la Réserve Navajo, au Nouveau-Mexique. C’est dans cette région que les compagnies minières voulaient à nouveau extraire de l’uranium en 2006. Il y a eu un projet de mine d’uranium à Crownpoint.

 

Leona est allée à sa première réunion sur l’uranium en 2007. Cette réunion portait sur l’extraction d’uranium sur le Mont Taylor, près de Grants, au Nouveau-Mexique. Le Mont Taylor est une des quatre Montagnes Sacrées pour les Diné, une des limites du Territoire Diné, Dinetah. Il est également sacré pour d’autres Nations Autochtones de la région, qui veulent toutes protéger le Mont Taylor. Actuellement, le territoire de la Nation Navajo se trouve en grande partie au nord de l’Arizona, débordant un peu dans le sud de l’Utah et le nord-ouest du Nouveau-Mexique. Au Nouveau-Mexique, il y a aussi 19 Nations Pueblo, principalement le long du Rio Grande. Les Pueblos ont unifié leur gouvernement, leurs dirigeants se rencontrent une fois par mois. En 2007, à la réunion à laquelle Leona a assisté pour la première fois, ils ont adopté une résolution contre l’extraction au Mont Taylor. Leona se souvient: “Je ne savais pas ce qu’était l’uranium, je n’en connaissais pas l’histoire, mais j’ai appris plus tard qu’il y avait eu beaucoup d’extraction d’uranium au Mont Taylor dans le passé, surtout pour la Guerre Froide, principalement pour les armes. Donc, il y avait beaucoup d’uranium ici. La raison pour laquelle nous avons demandé plus de protection était l’énorme boum du prix de l’uranium en 2006. Donc, les compagnies voulaient recommencer à en extraire. C’est ainsi que j’ai commencé à y travailler.” Mais surtout, Leona s’inquiétait pour la petite ville de Crownpoint, où vit sa famille. “Cette communauté est très petite, mais il y a un hôpital, des facultés, des écoles, des bureaux et des logements, et l’usine de traitement d’uranium était prévue exactement ici:

 

L’entreprise a commencé par projeter d’extraire de l’uranium à Church Rock, dans les années 1980, et de le transporter sur plus de 72 km à l’usine prévue à Crownpoint. Church Rock, près de Gallup, au Nouveau-Mexique, est le lieu de la plus grande catastrophe nucléaire de l’histoire des Etats-Unis, qui s’est produite en 1979: une digue contenant un bassin de déchets nucléaires s’est rompue et les déchets se sont déversés dans la rivière Puerco. Lorsqu’ils ont décidé de reprendre l’extraction, ils ont prétendu qu’ils allaient utiliser une technique totalement différente, qui n’impliquait ni tas de déchets, ni bassins, ni digues: la lixiviation in-situ [en anglais, “leaching” signifie “infiltration”, mais les exploitants de mines d’uranium francophones préfèrent utiliser un mot que personne ne comprend – NdT]. Ça consiste à extraire l’uranium de la nappe aquifère. A l’état naturel, l’uranium colle aux roches et les eaux souterraines ne le dissolvent pas. La “lixiviation” in-situ se fait en injectant des produits chimiques dans la nappe aquifère afin de détacher l’uranium, puis en pompant l’eau et en filtrant l’uranium. Leona remarque: “Nous, nous ne sommes pas idiots, nous savions que si l’eau profonde est irradiée, ils la pompent, mais dès qu’ils font ça, ça se déplace, et notre eau souterraine est contaminée. Donc, nous nous sommes battus contre.”

En 2005, la Nation Navajo a adopté une loi interdisant l’extraction d’uranium. Cependant, Church Rock et Crownpoint se trouvent juste en dehors des limites de la Réserve Navajo, dans une région appelée ‘l’échiquier’. Leona dit “C’est d’où mes parents sont originaires, ils sont de cette région. C’est un chaos. Il y a beaucoup de pression dans cette région pour la fracturation hydraulique, il y a toutes sortes de minéraux, il y a de l’uranium, du pétrole, du gaz et du charbon.” Donc, la région appelée ‘l’échiquier’ a été divisée en petits lots, qui sont soi des propriétés privées, soi des terres d’Etat. Les Amérindiens considèrent que les terres – qui appartiennent à La Terre – ne peuvent pas être des propriétés, mais seulement utilisées en commun par les créatures qui y vivent. Cependant, les pays capitalistes ne reconnaissent pas les terres ‘d’usage commun’, mais seulement la propriété privée ou d’Etat. De plus, les gouvernements Américains croyaient qu’en faisant des Autochtones des propriétaires, ils pourraient les pousser à adopter le Mode de Vie Occidental. Ainsi, en 1887, les Etats-Unis ont adopté le ‘General Allotment Act’ [Loi d’Attribution Générale de Lots]. Cette loi divisait le Territoire Indien en petits lots, dont certains étaient attribués à des chefs de famille Autochtones (masculins), alors que d’autres devenaient terres d’Etat. Les lots attribués à des Autochtones et les lots d’Etat pouvaient être vendus à des propriétaires privés Blancs. En tant que propriétés privées, les petits lots passaient aux héritiers quand le propriétaire initial décédait, et pouvaient ainsi être divisés entre de nombreuses personnes, qui ne pouvaient pas en vivre. Certains Navajos ont soutenu le projet minier parce qu’ils voulaient de l’argent. Leona dit “Il n’y a pas beaucoup d’emplois, pas beaucoup d’écoles, pas beaucoup d’endroits pour faire les courses, les gens ne cultivent plus leur nourriture eux-mêmes, et vont au magasin pour l’acheter. Parfois, les gens n’ont pas beaucoup d’eau, et ils doivent aller quelque part pour acheter de l’eau. Souvent, les gens déménagent, quittent leur terre, et si une compagnie minière leur dit ‘nous voulons extraire de l’uranium de votre terre, et nous vous donnerons tant d’argent’, c’est facile pour les gens d’accepter. S’ils ne vivent pas sur leur terre, ça leur importe peu. Il n’y a pas beaucoup d’emplois, donc c’est de l’argent facile.” Dès que les compagnies ont acheté un terrain, elles peuvent obtenir une ‘exemption aquifère’ sous leur terrain, ce qui signifie que l’eau sous leur terrain privé est exemptée de la Loi sur la Sécurité de l’Eau. Alors que les permis (de polluer) sont normalement attribués pour un temps limité, ceux-ci sont éternels, vu que, comme dit l’Agence pour la Protection de l’Environnement, “une fois que vous avez exempté une nappe aquifère de la loi, vous ne pouvez plus la nettoyer”.

Leona se souvient d’avoir entendu ses parents parler du boom de l’uranium dans les années 1950. C’était la Guerre Froide, l’Etat avait besoin d’uranium pour les armes. “Mes parents disaient que des gens devenaient riches du jour au lendemain. Alors, les gens qui possédaient un terrain, ceux qui avaient reçu des lots, en bénéficiaient immédiatement, dès qu’ils avaient signé un contrat. Mais personne n’imaginait les impacts et les effets négatifs qui allaient durer toujours, la radioactivité, les cancers. Le cancer n’arrive pas comme ça: la période de latence est d’environs 20 ans. Alors, ils avaient empoché un gros chèque, mais 20 ans plus tard, ils avaient le cancer. Beaucoup de gens en sont morts.”

Dans les années 1980, le prix de l’uranium a baissé et la plupart des mines ont cessé d’être exploitées. Mais en 2006, le prix a recommencé à monter et les compagnies ont voulu rouvrir les sites dont elles étaient propriétaires. Depuis, les prix ont monté et descendu, mais la menace de réouverture des mines ou de l’ouverture de nouvelles, existe toujours. Leona a commencé à travailler contre les mines en 2007, à cause de la menace sur la région de Crownpoint.

En février 2014, elle a commencé à travailler avec Diné No Nukes, une organisation qu’elle a co-fondée et qui a pour but de créer “une Nation Navajo Délivrée de la Contamination Radioactive” – , et, en septembre 2014, pour le Projet de Contrôle des Radiations [Radiation Monitoring Project , qui a été fondé par Diné No Nukes avec deux autres organisations –, en décembre 2016 avec Haul No! et en juillet 2016 avec le Groupe d’Etude du Problème Nucléaire [ Nuclear Issue Study Group]. “Notre équipe consiste en trois personnes: David Kraft, Nuclear Energy Information Service; Leona Morgan, Diné No Nukes; Yuko Tonoshira, Sloths Against Nuclear States. Le groupe de David – NEIS – est de Chicago, Diné No Nukes est d’ici, quant à SANS, Yuko Tonoshira, qui fait la plupart de nos graphiques et dessins, s’y est impliquée après Fukushima. David a travaillé sur les problèmes d’énergie nucléaire dans l’Illinois, l’Illinois ayant le plus grand nombre de réacteurs nucléaires des Etats-Unis, 14 réacteurs. Et nous faisons appel à des instructeurs, à l’expertise de nos amis. L’une est Cindy Folkers, l’autre Lucas Hixon. Notre travail porte essentiellement sur l’éducation: Instructions sur les principes de base de la radioactivité et des radiations. Matériel pédagogique approprié. Instruments pour mesurer et informer sur les radiations. Traduire le jargon compliqué et scientifique de l’industrie en langage ordinaire et compréhensible.”

“Ainsi, nous, le Groupe d’Etude du Problème Nucléaire, nous formons une équipe ici, nous ne voulons pas que notre état devienne une ‘zone de sacrifice’, nous pensons que le Nouveau-Mexique ne devrait pas devenir la poubelle des déchets nucléaires de la nation.” Ce groupe diffère des autres organisations anti-nucléaires du Nouveau-Mexique par sa façon de travailler, la composition de ses membres, et les communautés qu’il essaie de toucher. “Il y a de très nombreuses organisations anti-nucléaires au Nouveau-Mexique, la plupart de leurs membres sont âgés, et beaucoup sont des hommes blancs âgés. Trop souvent, ces gens deviennent experts et travaillent beaucoup, mais ils ne partagent pas leurs connaissances de manière accessible, avec les jeunes. Ils voudraient peut-être impliquer des gens plus jeunes, mais ils ne sont pas organisateurs. Nous sommes organisateurs, nous sommes des artistes, des gens de la communauté.” Leona ajoute “Nous incorporons toutes nos cultures différentes, la plupart des dirigeants du groupe sont des femmes. Nous sommes aussi sensibles aux problèmes de la communauté LGBT, pas seulement à ceux des gens de couleur”. Le groupe est nouveau, “…nous sommes encore préoccupés par la façon dont nous allons travailler. Mais, parce que nous sommes nouveaux, nous avons beaucoup de flexibilité, et nous avons beaucoup d’occasions de faire de ce groupe ce que nous voulons qu’il soit. Parce qu’à l’heure actuelle, beaucoup de groupes ne savent pas comment se parler, ne s’aiment pas, tandis que nous, nous voulons travailler avec tout le monde.”

 

Actuellement, juin 2018, le groupe s’occupe essentiellement de la lutte contre un projet d’enfouissement de déchets nucléaires extrêmement radioactifs, dans le sud-est du Nouveau-Mexique. Officiellement, il s’agit d’un site ‘temporaire’, mais les opposants craignent qu’il ne soit permanent (voir article précédent).

 

 

 

La COP23 officielle a plutôt été une reculade par rapport aux précédentes. L’ex-star écolo de la télévision française, Nicolas Hulot, s’est fait remarquer en reportant la diminution de la part du nucléaire dans la production d’énergie, prétendant qu’il fallait choisir entre le nucléaire et le charbon. Tant les pro-nucléaires que les “anti” officiels ont affirmé que le nucléaire était “propre”, les “anti” disant que, cependant, le problème se pose après, quand il faut se débarrasser des déchets. Leona Morgan, Navajo, sait fort bien – comme beaucoup d’Autochtones de tous les continents – que la pollution radioactive, bien plus durable que n’importe quelle autre – se produit dès le début, au cours de l’extraction de l’uranium et du traitement du minerai. Leona est venue à Paris pour participer au Forum Mondial contre le Nucléaire, puis s’est rendue à Bonn, pour rencontrer ceux qui n’étaient pas invités à la COP officielle, mais tenaient à manifester leur opposition à tous les dangers qui menacent l’humanité.

Christine Prat

 

Leona Morgan, de Bonn
Publié sur Censored News
Traduction française Christine Prat

Yá’át’ééh from across the Big water! I’ve traveling internationally to connect uranium mining issues to other anti-nuke fights at the World Anti-Nuclear Social Forum last week in Paris and with climate issues, now at the COP23 in Bonn, Germany. There is much misinformation about nuclear being clean when we all know how dirty uranium mining and processing are, and all the other steps of the fuel chain. Nuclear energy is not clean, and not a solution to Climate Change!! One of my goals is to connect with other indigenous peoples fighting the nuclear monster, so far, so good!! #HaulNo #DontNukeTheClimate #WaterIsLife #DismantleTheNuclearBeast! #StopNuclearColonialism #LeetsohDooda

Ya’at’eeh d’au-delà de la Grande Mer! J’ai fait un voyage international afin de relier les problèmes d’extraction d’uranium aux autres combats anti-nucléaires, la semaine dernière à Paris, au Forum Social Anti-Nucléaire, et aux problèmes climatiques, maintenant, à la COP23, à Bonn, en Allemagne. Il y a beaucoup de désinformation sur le nucléaire supposé propre, alors que nous savons tous combien l’extraction et le traitement de l’uranium sont sales, tout comme tous les autres stades de la production de carburant. L’énergie nucléaire n’est pas propre, et ce n’est pas une solution au Changement Climatique!! L’un de mes buts est d’entrer en contact avec d’autres peuples autochtones qui combattent le monstre nucléaire, et jusqu’à maintenant, ça marche!!

Leona Morgan, 9 novembre 2017

 

 

Leona Morgan est une activiste anti-nucléaire Navajo. Elle réside actuellement à Albuquerque, au Nouveau Mexique. Elle s’occupe essentiellement du développement du nucléaire au Nouveau Mexique, déjà complètement pollué par le pétrole (puits, raffineries, transport, accidents, fuites), et du grave problème causé par les mines d’uranium, en activité ou abandonnées, en territoire Navajo. Elle est membre de Diné No Nukes (Navajo contre le nucléaire) et de Haul No!, une organisation qui combat le transport de minerai d’uranium par camions à travers la réserve Navajo.

Photos prises près de la mine dite ‘zombie’, n’ayant pas d’activités pour le moment. Elle se trouve à l’ouest du Nouveau Mexique, près du Mont Taylor, montagne sacrée pour beaucoup d’Autochtones