L’exploitation de l’uranium Commence près du Grand Canyon
Des milliers de concessions menacent la Santé Publique et des Terres Sacrées
Par Klee Benally (texte original en Anglais, références et liens), article publié en mars 2010
Traduction Christine Prat
Grand Canyon, Arizona – En dépit de récusations légales et d’un moratoire du gouvernement américain, la compagnie canadienne Denison Mines a commencé à exploiter une mine d’uranium sur la rive nord du Grand Canyon. D’après l’Arizona Daily Sun (quotidien du nord de l’Arizona, NdT) la mine est en exploitation depuis décembre 2009.
Denison a l’intention d’extraire 335 tonnes de minerai d’uranium par jour de la « Mine Arizona 1 », qui doit fonctionner quatre jours par semaine. Le dangereux minerai sera transporté par camion sur plus de 300 miles à travers villes et communautés jusqu’à l’usine de la compagnie, White Mesa près de Blanding en Utah. Suite à des pressions de groupes écologistes, le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur des Etats-Unis, Ken Salazar, avait d’abord demandé un moratoire de deux ans sur les nouvelles concessions minières dans une zone tampon d’1 million d’acres autour du Parc National du Grand Canyon, mais le moratoire n’inclut pas les concessions existantes telles que celle de Denison. Le moratoire ne concerne pas les concessions minières au-delà de la zone tampon.
Le Grand Canyon est la terre ancestrale des nations Havasupai et Hualapai. Bien que les deux nations indigènes aient interdit l’exploitation d’uranium sur leurs réserves, le Service US des Forêts et le Bureau de l’Aménagement du Territoire peuvent autoriser de milliers de concessions minières sur les terres environnantes.
Suite à de récentes augmentations du prix de l’uranium et aux pressions pour promouvoir le nucléaire, près de 8 000 nouvelles concessions menacent le nord de l’Arizona. L’uranium des mines du Sud Ouest des Etats-Unis est acheté principalement par des pays comme la France (Areva) et la Corée pour les besoins de leur production d’énergie nucléaire.
En juillet 2009 des membres de la nation Havasupai et leurs alliés se sont réunis pendant quatre jours sur la rive sud du Grand Canyon, sur leur site sacré de Red Butte pour réagir à la nouvelle menace. Red Butte est mise en danger depuis longtemps par la menace continuelle de l’exploitation de mines d’uranium.
Sous couvert d’une loi anachronique de 1872 sur l’activité minière, passée à une époque où on utilisait des pics et des pioches, les compagnies minières se sentent autorisées à enregistrer des concessions sur les terrains publiques. La loi permet l’exploitation minière sans considération pour son impacte culturel.
OBAMA APPROUVE LA CONSTRUCTION DE NOUVEAUX REACTEURS NUCLEAIRES ET L’ACCROISSEMENT DES BESOINS EN URANIUM
Actuellement il y a 104 réacteurs nucléaires aux Etats-Unis, qui fournissent 20% de l’électricité du pays. En janvier, le gouvernement Obama a approuvé un prêt de 54 milliards de dollar (argent des contribuables) comme garantie pour un programme de construction de nouveaux réacteurs nucléaires, ce qui est trois fois plus que ce que Bush avait promis en 2005.
Depuis 2007, dix-sept compagnies ont sollicité l’approbation du gouvernement pour 26 réacteurs supplémentaires dont quatre devraient être achevés en 2018 et jusqu’à huit en 2020. Les nouveaux réacteurs sont estimés à 12 milliards de dollar l’unité.
Bien que l’énergie nucléaire soit applaudie par certains comme solution à la présente crise de l’énergie des Etats-Unis et au réchauffement de la planète, ceux qui sont touchés de plus près par l’exploitation des mines et le transport du minerai sont conscients de la gravité de la menace.
LE FLEUVE COLORADO, L’EAU ET LE LEGS MORTEL DE L’URANIUM
L’uranium est une cause bien connue de cancers, de détérioration de certains organes, d’avortements spontanés et de malformations congénitales.
Il a été constaté que le forage pour atteindre les matériaux radioactifs contamine les nappes aquifères souterraines qui s’écoulent dans le fleuve Colorado et dans des sources sacrées qui subvenaient aux besoins des peuples indigènes de la région. De plus, l’eau de surface peut couler dans les trous de forage et les puits des mines et ainsi empoisonner les sources souterraines.
Le Fleuve Colorado, qui prend sa source dans les Montagnes Rocheuses au centre nord du Colorado et serpente sur 1 450 miles jusqu’au Golfe de Californie, est considéré comme sacré par plus de 34 nations indigènes. Le Colorado fournit également de l’eau potable à 27 millions de gens dans sept états du Sud Ouest. Le fleuve qui creuse le Grand Canyon a été utilisé de manière extensive par l’agro-industrie et les villes qui en dépendent pour l’eau potable, à un point tel qu’il a cessé de couler jusqu’au Golfe de Californie, ce qui a obligé les membres de la nation Cocopah (le Peuple du Fleuve) du nord du Mexique à abandonner leur patrie d’origine et à se réinstaller ailleurs.
Il y a aujourd’hui plus de 2 000 mines d’uranium abandonnées dans le Sud Ouest. Les services du gouvernement américain ont fait peu, voire rien, pour nettoyer les sites contaminés et les mines abandonnées. A Rare Metals près de Tuba City dans la nation Diné (Navajo) une simple couche de terre mêlée de cailloux sert à couvrir plus de 2,3 millions de tonnes de déchets dangereux. Une digue de rochers entoure les déchets radioactifs pour empêcher l’eau contaminée de couler dans le Moenkopi Wash tout proche. Dans toute la nation Diné, des familles ont été exposées depuis des décennies à la radioactivité de diverses manières, allant de conditions de travail non sécurisées dans les mines au fait de vivre dans des maisons construites avec des résidus. Le Service de Protection de l’Environnement (EPA – Environmental Protection Agency NdT) a recensé des puits d’eau non-potable dans au moins 22 communautés telles que Black Falls sur le territoire de la nation Diné. Selon le Service de Protection de l’Environnement « Approximativement, 30 % de la population Navajo n’a pas accès au système publique de distribution d’eau et est susceptible d’utiliser des sources contaminées par l’uranium. » Des troupeaux de moutons et autre bétail broutent encore au milieu des déchets radioactifs et ingurgitent de l’eau radioactive.
D’après la nation Navajo jusqu’à 2,5 millions de gallons (environs 10 millions de litres NdT) d’eau contaminée par l’uranium fuit chaque année de l’usine de traitement de l’uranium de Shiprock, au Nouveau Mexique, dans la rivière San Juan.
A la mine de Church Rock, qui essaie de rouvrir, jusqu’à 875 000 yard-cubes de déchets radioactifs continuent à contaminer le territoire. En juillet 1979, une digue de terre, d’une usine de traitement de l’uranium située sur le territoire de la nation Navajo, s’est rompue, laissant échapper plus de 1100 tonnes de déchets radioactifs et près de 100 millions de gallons de liquide contaminé dans le Rio Puerco (qui se jette plus loin dans le fleuve Colorado), près de Church Rock, Nouveau Mexique. Ce fut de loin le plus grave accident nucléaire de l’histoire des Etats-Unis. Des milliers de familles Diné vivent dans la région, entre autres celles qui ont été déplacées par la force du « Territoire à Usage Commun » (entre les Navajos et les Hopis – NdT) à cause des mines de charbon, et qui continuent d’avoir des problèmes de santé dus à la fuite.
En 2005 le gouvernement de la nation Diné a interdit l’exploitation de mines et le traitement à l’intérieur de ses frontières à cause des conséquences nocives de l’uranium en matière d’impacte grave sur la santé et d’empoisonnement de l’environnement. Cependant, le taux élevé de cancers, de malformations congénitales et autres effets sur la santé perpétuent le legs mortel de l’industrie de l’uranium.
LES DECHETS NUCLEAIRES ET LES TERRES INDIGENES SACREES
Aujourd’hui les Etats-Unis ont près de 60 000 tonnes de déchets hautement radioactifs stockés dans des digues de béton sur les sites des centrales nucléaires dans tout le pays. Les déchets s’accroissent de 2000 tonnes par an. L’uranium appauvri est un sous-produit de l’enrichissement et du retraitement de l’uranium qui a des usages militaires controversés tels que les missiles antichar. Il a été établi que l’uranium appauvri a des effets à long terme sur la santé, allant de la détérioration d’organes aux avortements spontanés et aux malformations congénitales. En 1987 le Congrès a lancé un projet controversé visant à transporter et entreposer la quasi-totalité des déchets toxiques des Etats-Unis sur le Mont Yucca situé à environ 100 miles au nord ouest de Las Vegas, dans le Nevada. Le Mont Yucca est considéré comme sacré par les Paiutes et les Shoshones de l’ouest depuis des temps immémoriaux.
En février 2009 Obama a satisfait à une promesse de campagne en réduisant le financement du projet de plusieurs milliards de dollar de Dépôt de Déchets Nucléaires du Mont Yucca. Le projet controversé, initialement déposé en 1987, proposait de transporter des déchets radioactifs de tous les Etats-Unis par chemins de fer et autoroutes. A l’heure actuelle une nouvelle proposition de méthode expérimentale, dite de « retraitement », visant à extraire plus de combustible des déchets nucléaires, renouvelle la menace de profanation de la montagne sacrée sur le territoire des Shoshones de l’ouest.
Les terres des Shoshones de l’ouest, qui n’ont jamais été cédées au gouvernement US, subissent les attaques des militaires et de l’industrie nucléaire depuis longtemps. De 1951 à 1992 plus de 1000 essais nucléaires, à ciel ouvert et souterrains, ont eu lieu dans une zone appelée le Site d’Essais du Nevada, sur les terres des Shoshones de l’ouest, ce qui en fait une des nations les plus bombardées sur terre. Les communautés des environs du site d’essais ont été exposées aux retombées radioactives qui ont causé des cancers, leucémies et autres maladies. Le guérisseur spirituel Shoshone occidental Corbin Harney, décédé depuis, a aidé à mettre sur pied un mouvement populaire pour obtenir la fermeture du site et abolir les armes nucléaires.
Les Peuples indigènes des Iles Marshall ont également subi de graves dommages dus aux essais nucléaires des Etats-Unis. Dans son livre « La Conquête : Violence Sexuelle et le Génocide des Indiens d’Amérique », Andrea Smith écrit que certains Peuples indigènes des îles ont cessé de se reproduire à cause de la gravité des cancers et malformations congénitales auxquels ils ont été confrontés.
LA RESISTANCE CONTINUE
En mars 1988 plus de 8000 personnes se sont rassemblées pour 10 jours d’action de masse directe afin de « se réapproprier » le site d’essais, près de 3000 personnes ont été arrêtées. Des groupes comme le Nevada Desert Experience et le Réseau Shundahai continuent à travailler à la fermeture du site d’essais et resistent aux industries nucléaires civiles et militaires.
Tout au long des années 1980 un puissant mouvement populaire de résistance et d’action directe contre l’exploitation de mines d’uranium près du Grand Canyon a pris forme, galvanisé par les tribus Havasupai, Hopi, Diné (Navajo), Hualapai et un groupe de Flagstaff intitulé « le Canyon en Etat de Siège ». Des meetings consacrés à la prière et la stratégie ont été tenus annuellement au cours des années 1980. En 1989 les membres d’un groupe connu sous le nom d’ « Arizona 5 » ont été mis en examen pour des éco-actions, entre autres pour avoir sectionné les lignes électriques de la Mine d’Uranium du Canyon. En partie à cause de la résistance, mais surtout de la forte chute du prix de l’uranium, des compagnies comme Denison ont dû fermer leurs mines.
Le Mont Taylor, situé sur des terres administrées par le Service des Forêts, au Nouveau Mexique, entre Albuquerque et Gallup, a aussi été menacé par l’exploitation des mines d’uranium. La montagne se trouve sur une des plus riches réserves de minerai d’uranium du pays, et elle est considérée comme sacrée par les Nations Diné, Acoma, Laguna, Zuni et Hopi. En juin 2009 des Nations indigènes et des groupes écologistes s’unirent pour protéger la montagne sacrée et grâce à leurs efforts le Mont Taylor a obtenu une protection temporaire en tant que Propriété Culturelle Traditionnelle.
Depuis 7 ans des Indigènes du monde entier se réunissent au Forum Indigène du Sud Ouest sur l’Uranium, dans la Nation Acoma, pour s’organiser contre l’industrie nucléaire.
Au Sommet Indigène Mondial sur l’Uranium de 2006, sur le territoire de la Nation Diné, des organisations communautaires comme les Navajo Diné de l’Est Contre l’Exploitation de l’Uranium (ENDAUM – Eastern Navajo Diné Against Uranium Mining) se sont jointes à des participants d’Australie, d’Inde, d’Afrique, des Iles du Pacifique et de toute l’Amérique du Nord pour publier une déclaration demandant «une interdiction mondiale de l’exploitation, du traitement, de l’enrichissement et de l’utilisation comme combustible de l’uranium, ainsi que des essais et déploiement d’armes nucléaires et de la décharge de déchets nucléaires sur des territoires indigènes. »
Klee Benally est membre du collectif Indigenous Action Media, membre du Conseil d’Administration du Réseau Shundahai, et musicien dans le groupe Blackfire.
L’auteur Mary Sojourner à aidé à corriger cet article.
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