Par Indigenous Action
1er juin 2021
Traduction Christine Prat
La stratégie des pensionnats, ou écoles résidentielles, comme elles s’appelaient au soi-disant ‘Canada’, faisait partie d’une guerre politique et idéologique contre les enfants Autochtones.
Maintenant que les restes de 215 enfants Autochtones ont été récemment découverts dans une fosse commune, près d’une école résidentielle, au ‘Canada’, une rage collective Autochtone s’est déclenchée, en réaction au violent héritage des écoles coloniales.
A la fin du 19ème siècle, la politique des Etats-Unis contre les Peuples Autochtones est passée de l’annihilation brutale à l’assimilation forcée. En 1885, le Commissaire aux Affaires Indiennes Hiram Price a déclaré « …ça coûte moins cher de les éduquer que de les combattre. » Un autre politicien colonial, nommé Carl Schurz, a clarifié le point de vue économique derrière cette stratégie, en disant que « …ça couterait un million de dollars de tuer un Indien à la guerre, alors que ça ne coûte que 1200 dollars de scolariser un enfant Indien pendant huit ans. »
Dans le cadre du changement de stratégie, le Général Richard Pratt créa le premier pensionnat hors réserves financé par le gouvernement, avec la mission de « Tuer l’Indien, sauver l’homme. » Pratt et d’autres colonisateurs de l’époque ont dit clairement qu’il s’agissait d’un projet de civilisation : « Transférez un enfant né sauvage dans un milieu de civilisation, et il grandira pour s’approprier une langue et des habitudes civilisées. » Le système scolaire colonial suprémaciste blanc était fait explicitement pour imposer par la violence les valeurs chrétiennes et capitalistes, pour former des membres « productifs » de l’ordre social colonial.
Ces violentes institutions militaires et chrétiennes de séparation, d’assimilation forcée, et de violences physiques et sexuelles extrêmes, étaient si efficaces que la stratégie a été reproduite par d’autres forces coloniales, y compris au soi-disant Canada.
Se confronter à la réalité toujours présente de l’assimilation forcée par l’éducation dans les communautés Autochtones n’est pas nouveau. Nos communautés cherchent depuis longtemps des voies de guérison, tout en appelant à la justice pour tous ceux qui ont survécu, et ceux qui n’ont pas pu.
En 2007, après des décennies de demandes de réparations, au soi-disant Canada, un règlement a été accepté, au cours du plus grand recours collectif [class action] auquel le gouvernement colonial ait jamais été confronté. Le règlement comprenait un paiement de 10 000 dollars « d’expérience commune », aux quelques 90 000 personnes ayant survécu aux écoles résidentielles et 3000 dollars de plus pour chaque année où ils avaient été détenus dans les écoles. Environ 200 millions de dollars ont été alloués pour financer les programmes de guérison et d’éducation.
Un groupe appelé Commission de Vérité sur le Génocide au Canada, qui a accusé les écoles résidentielles d’être responsables de la mort et la disparition de milliers d’enfants Autochtones, a rejeté le règlement, déclarant : « Cette corruption et bâillonage légal sont présentés comme la ‘résolution’ finale des plaintes des survivants des écoles résidentielles, comme si les innommables crimes de stérilisations de masse, de viols en réunion, de torture et de meurtres rituels pouvaient être résolus par, et réduits à, une question d’argent… »
Nous ne pouvons pas considérer les horreurs de l’assimilation forcée par l’éducation forcée, sans regarder en face comment leur héritage colonial continue de remplir ses objectifs malfaisants.
Les graves effets des pensionnats et écoles résidentielles sur nos communautés continuent à se faire sentir aujourd’hui. Des survivants de la génération de nos parents font toujours face à des traumatismes largement inexprimés. Nous en sommes encore à prendre conscience du grave dommage que cette stratégie a causé à nos communautés, en particulier les façons dont les rôles sacrés des êtres à deux esprits et des matriarches ont été systématiquement attaqués.
Bien qu’en 1978 les parents Autochtones aux Etats-Unis aient obtenu le droit légal d’empêcher la séparation des familles, le système d’éducation colonial continue sa stratégie de génocide culturel.
Le système que les colons envahisseurs ont conçu pour annihiler le savoir Autochtone et le remplacer par le leur, fonctionne toujours. Nous étions forcés d’aller dans les écoles des colonisateurs pour apprendre leurs manières et participer à leur projet de « civilisation. » Aujourd’hui, nous allons de notre plein gré dans ses amphis, dans ses salles de classe et faisons avancer notre statut social dans l’ordre colonial capitaliste.
Nous avons des universitaires Autochtones qui ont réalisé les rêves de colonisateurs comme Pratt. Ils continuent à développer une classe de dirigeants d’élite dans les communautés Autochtones, qui forme et soumet nos systèmes de savoir traditionnels, tout en servant l’expansion coloniale économique et politique. C’est la malédiction du fameux chant « Va Mon Fils », écrit par des Mormons pour encourager l’auto assimilation par des systèmes d’éducation néocoloniaux.
Nous avons aussi des soldats Autochtones, qui représentent le plus fort taux d’engagement par groupe ethnique dans l’appareil militaire même qui cherchait notre destruction totale il y a tout juste un siècle. Les motivations économiques et d’éducation étant la principale motivation de leur service volontaire. Ils représentent l’accomplissement de la politique de « tuer l’Indien ». Quoique, les « Indiens » qu’ils tuent effectivement sont nos ancêtres qui ont donné leurs vies pour empêcher ce futur de se produire.
Afin de réaliser et de maintenir la domination et l’exploitation coloniales, les colonisateurs forment et contrôlent l’identité politique des Peuples Autochtones. Ceci se produit sous toutes les formes d’engagement social, économique et politique ; des écoles et des casinos aux services de santé des conseils Tribaux.
La formidable activiste Noire Assata Shakur, écrivait dans son autobiographie « Les écoles où nous allons sont des reflets de la société qui les a créées. Personne ne va vous donner l’éducation qu’il vous faut pour le renverser. Personne ne va vous enseigner votre vraie histoire, vos vrais héros, sachant que ce savoir va aider à vous libérer. »
Cependant, tandis que nous sommes confrontés à cet héritage colonial génocidaire, nous entendons des appels répétés à la reconnaissance et aux excuses, à « honorer les traités » et à « améliorer » les leçons d’histoire, ou à la réconciliation.
Ces mesures ne défient pas directement les relations de pouvoir sous-jacentes qui maintiennent le colonialisme de population. Par exemple, si nous examinons beaucoup des traités que certains appellent à être « honorés », nous nous rendons vite compte que beaucoup contiennent des dispositions d’éducation pour « civiliser » les Peuples Autochtones.
Le Traité Diné (Navajo) de 1868 ne codifie pas seulement l’hétéro-patriarcat, l’éducation obligatoire par des colonisateurs blancs en était une condition spécifique. L’article 6 dit « Afin d’assurer la civilisation des Indiens engagés dans ce traité, la nécessité d’une éducation est admise … ils s’engagent donc à obliger leurs enfants, garçons et filles, entre les âges de six à seize ans, à fréquenter l’école ; … » Les Diné s’engagèrent à envoyer leurs enfants dans des écoles coloniales pour une période de dix ans, tandis que le gouvernement s’engageait à fournir un enseignant pour trente enfants.
Le « droit » à l’éducation du traité était fait pour attaquer les systèmes de savoir Autochtones.
Bien que le programme d’assimilation forcée brutale soit terminé, le Bureau de l’Education Indienne « éduque » toujours plus de 40 000 élèves, dans 183 écoles, dans 64 réserves, dans 23 états, avec les mêmes objectifs essentiels. Selon la Coalition pour la Guérison des Pensionnats, des 367 pensionnats des soi-disant Etats-Unis, 73 sont toujours ouverts, et 15 d’entre eux sont toujours des pensionnats. En décembre 2004, une élève Autochtone a été trouvée morte dans une cellule de rétention, dans un de ces pensionnats contemporains : le Pensionnat Chemawa, dans le soi-disant Oregon. L’élève avait été placée dans la cellule parce qu’elle était ivre, et aurait dû être contrôlée toutes les quinze minutes, mais elle a été trouvée inanimée trois heures plus tard. Le Procureur général a refusé d’accuser le personnel d’homicide involontaire.
Une guerre contre les enfants Autochtones est une guerre continuelle contre un avenir Autochtone.
Dès que nous comprenons le contexte de violence coloniale et comment c’est transmis à travers les générations en cascades de violence, nous commençons à comprendre que cette attaque historique toujours en cours contre les enfants Autochtones peut aussi faire partie des raisons pour lesquelles les jeunes Autochtones ont des taux de suicides si élevés. Les jeunes Autochtones sont les dommages collatéraux de l’histoire coloniale.
Mais ils ont aussi une puissante histoire de refus et de résistance.
Beaucoup d’enfants Autochtones ont résisté et rejeté la « civilisation » coloniale imposée par les pensionnats et les écoles résidentielles. Ils s’enfuyaient et résistaient à l’autoritarisme et à la stabilité économique et sociale à laquelle nous participons de si bonne volonté aujourd’hui. Nos communautés ont des histoires incroyables d’enfants farouches qui conspiraient et arrivaient à se libérer eux-mêmes et à en libérer d’autres, certains parcourant des centaines de kilomètres pour rentrer chez eux. Il y avait aussi ceux qui restaient, souvent les plus âgés, qui protégeaient et consolaient les plus jeunes.
Le gouvernement des Etats-Unis utilisait la nourriture comme arme, en ne donnant pas de rations aux familles qui refusaient d’envoyer leurs enfants volontairement, et des parents étaient aussi menacés d’emprisonnement.
En un acte de défi à l’obligation d’envoyer leurs enfants aux pensionnats, et de résistance à devenir fermiers comme les envahisseurs leur disaient de faire, 19 Hopi, considérés comme « Hostiles », se sont rendus aux militaires U.S. et ont été emprisonnés à l’infâme prison d’Alcatraz. Ils devaient être « détenus, aux travaux forcés, jusqu’à … ce qu’ils montrent … avoir complètement compris l’erreur de leurs façons maléfiques… [et] jusqu’à ce qu’ils montrent, d’une manière évidente, un désir de cesser d’interférer avec les projets du gouvernement pour la civilisation et l’éducation de ses pupilles Indiens. »
Les pensionnats nous ont forcés à abandonner nos cultures, notre langue, nos noms, nos cérémonies, nos cheveux. La stratégie de l’éducation coloniale obligatoire était de détruire ce qui nous fait ce que nous sommes. Pour briser le lien que nous avons avec la terre, l’esprit, et nos ancêtres. Alors, il est de notre responsabilité de nous reconnecter radicalement. Par définition, nous ne pouvons pas nous reconnecter par les élections du colonisateur, les postes politiques, les emplois dans le privé, les diplômes universitaires, ou l’activisme à but non-lucratif.
La colonisation c’est la guerre, ceci signifie qu’il n’y a rien à négocier dans le combat pour un avenir Autochtone. La lutte anticoloniale signifie qu’en nous défendant, nous guérissons aussi. C’est une célébration et un honneur rendu au savoir et à la colère Autochtones.
C’est quand nous rejetons les idées et les valeurs enfoncées en nous par la violence et restaurons ce qui en a été extirpé par la violence. C’est quand nous rejetons et détruisons les idées et les institutions qui maintiennent la domination et le contrôle du colon, et reconstruisons la mutualité fondée sur le savoir culturel et les modes de vies. Nous nous reconnectons.
Nous le faisons par la cérémonie, en restaurant les noms, par l’immersion dans la langue, par nos cheveux, par nos nourritures et nos médecines, par nos chants et nos jeux, en fermant les oléoducs et les bureaux des compagnies, en protégeant les sites sacrés, en perturbant, en intervenant et en attaquant ce qui nous détruit.
Nous entendons nos parents militants anticoloniaux au soi-disant Canada, quand ils expriment leur puissante colère, « La Réconciliation est morte. La conscience de la question n’est pas le problème. Nous voulons la vengeance. »
Venger les 215. Venger ceux qui sont enterrés à Haskell et à l’Ecole Indienne de Phoenix et tous les pensionnats et écoles résidentielles.
Nous rêvons d’avenirs Autochtones s’élevant des cendres de toutes les institutions coloniales. Nous rêvons de nos ancêtres, vengés.
Poster, images ©Indigenous Action Media
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Ressources :
www.boardingschoolhealing.org
https://warriorpublications.wordpress.com/?s=residential+schools
“Education for Extinction: American Indians and the Boarding School Experience, 1875-1928” Adams, David Wallace.
“Kill the Indian, Save the Child: Cultural Genocide and the Boarding School,” Barker, Debra. www.boardingschoolhealing.org/education/us-indian-boarding-school-history/
Cheaper Than Bullets: American Indian Boarding Schools and Assimilation Policy, 1890-1930
From Arizona to Alcatraz: Hopi prisoners on Alcatraz
Indigenous Peoples and Boarding Schools: A Comparative Study
Documentary: A Century of Genocide in the Americas: A Residential School Experience