Par Klee Benally
Publié par Indigenous Action Media
22 avril 2021
Traduction Christine Prat, CSIA-Nitassinan

Note : Cet article a d’abord été écrit en mai 2020 et publié partiellement dans Black Seed #8. Cette version a été légèrement revue et mise à jour.

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Indigenous Action Media
22 avril 2021
Traduction Christine Prat

Diné Bikéyah (la Nation Navajo) a fait face au plus haut pourcentage de cas de COVID-19 de tous les états coloniaux de peuplement des Etats-Unis.

Tandis que ce virus respiratoire ravage ces terres, les médias dominants ont à nouveau sacré notre peuple mascotte de la pauvreté et de la victimisation. Les statistiques sont répétées lourdement pour susciter la pitié du colon : Environ 33% des nôtres n’ont ni eau courante ni électricité. Nous vivons dans un ‘désert alimentaire’ avec 13 épiceries pour près de 200 000 résidents. Diné Bikéyah a un taux de chômage d’approximativement 50%. Bien que ces faits ne soient pas faux, la solution n’est pas d’organiser plus de collectes pour les ‘pauvres Indiens’.

Est-ce que cette pandémie a touché notre peuple hors de toutes proportions seulement parce que nous manquons de lignes électriques et de plomberie ? Est-ce seulement parce qu’il n’y a pas d’énormes centres commerciaux dans tous les coins de notre réserve ? Serions-nous vraiment mieux immunisés contre cette maladie si chaque membre de notre tribu avait un emploi ?

Déshumaniser les récits a toujours fait partie du décor, ici dans le Sud-ouest aride. Si vous clignez des yeux sur votre route vers le Grand Canyon, c’est facile de manquer le contexte brutal de colonisation et l’expansion du capitalisme. Nous vivons ici et nous ne le voyons même pas nous-mêmes. Nous sommes trop occupés à planter le panneau ‘Gentils Indiens Derrière Vous’.

Alors que les politiciens de la Nation Navajo imposent des couvre-feu strictes le weekend, interdisent les rassemblements cérémoniaux, et restreignent l’aide mutuelle indépendante. Alors que les soi-disant ‘villes-frontière’ de la réserve, notoirement racistes comme ‘Gallup, Nouveau-Mexique, se débarrassent de nos parents SDF contaminés et instaurent des ‘Décrets anti-Émeute’ pour restreindre le flux de Diné qui dépendent des provisions entassées dans leurs centres commerciaux, le spectre du but historique du système de réserves nous hante comme un fantôme négligé, qui retient chacune de nos respirations, qui s’accroche à nos os.

Ce qui est omis dans le spectacle fiévreux du tourisme de désastre du COVID-19, c’est que ces statistiques sont dues aux attaques permanentes contre nos modes de vie culturels, notre autonomie, et, par extension, notre autosuffisance individuelle et collective.

Alors que les privations économiques et la rareté des ressources sont les réalités auxquelles nous sommes confrontés, notre histoire est beaucoup plus complexe et plus puissante que cela, c’est une histoire d’espace entre l’harmonie et la dévastation. C’est l’histoire de nos ancêtres et des générations à venir. C’est une histoire de ce moment de mutualisme et de résistance Autochtones.

La Colonie d’exploitation des ressources Navajo et le COVID-19

La violence coloniale et la violence contre la terre ont rendu notre peuple plus réceptif aux virus tels que le COVID-19.

Tandis que le virus se répand de manière invisible à travers notre région, un nuage de méthane de 6500 km², dont on ne parle pas non plus, flotte au-dessus des terres Diné, ici, dans la région des ‘Quatre Coins’. Des chercheurs de la NASA ont déclaré que « la source est vraisemblablement l’extraction et le traitement de gaz, de charbon et de méthane de houillères ». Le méthane est le second plus important gaz à effet de serre émis aux soi-disant ‘Etats-Unis’ et peut être jusqu’à 84 fois plus puissant que le dioxyde de carbone.

Deux énormes centrales au charbon, la San Juan Generating Station et la Centrale de Four Corners fonctionnent dans la région. Prises comme une seule entité, ces deux centrales sont le deuxième consommateur de charbon des ‘Etats-Unis’. La plupart de l’énergie produite est transmise directement, en passant le long des maisons de la réserve, aux colons en ‘Arizona, Nevada et Californie’.

On sait depuis longtemps qu’au fil du temps, respirer la pollution de sources telles que des centrales au charbon endommage les poumons et affaiblit la capacité à lutter contre les infections respiratoires. Les universités coloniales des USA et des médias ont admis que l’exposition à la pollution de l’air accroissait le taux de mortalité du COVID-19. En même temps, l’Agence pour la Protection de l’Environnement (EPA) a assoupli les règles environnementales pour les pollueurs, en réaction à la pandémie, ouvrant ainsi la porte à des projets d’extraction coloniaux imposés sur les terres Diné, afin qu’ils intensifient leurs activités.

Selon un récent rapport intitulé « Exposition à la pollution de l’air et mortalité du COVID-19 aux Etats-Unis », les malades atteints du COVID-19 dans les régions impactées par de hauts niveaux de pollution de l’air avant la pandémie, sont plus susceptibles de mourir du virus que les malades d’autres régions des ‘USA’.

Le New York Times a publié un article sur le rapport, disant qu’ « une personne exposée à de hauts niveaux de particules fines a 15% de risque de plus de mourir du coronavirus qu’une autre dans une région avec seulement une unité de pollution aux particules fines de moins. »

Le rapport dit aussi que « bien que l’épidémiologie du COVID-19 évolue, nous avons déterminé qu’il y a une large coïncidence entre les causes de décès de malades du COVID-19 et les maladies causées par une longue exposition aux particules fines. » Le rapport note également que « le 26 mars 2020, l’Agence de Protection de l’Environnement des Etats-Unis a annoncé un assouplissement considérable des règles environnementales en réaction à la pandémie de coronavirus, permettant aux centrales électriques, aux usines et autres sites industriels de déterminer eux-mêmes s’ils sont capables de satisfaire aux exigences légales de signaler la pollution de l’air et de l’eau. »

Selon le site web de la Compagnie du Gaz et du Pétrole de la Nation Navajo (NNOGC), « en 1923, un gouvernement tribal Navajo a été établi en premier lieu pour que le Bureau des Affaires Indiennes approuve des contrats avec des compagnies pétrolières américaines, avides [sic] de commencer des opérations de forage pétrolier sur les terres Navajo. »

Sans doute, presque toutes les décisions économiques prises par le gouvernement tribal depuis (à quelques exceptions près) ont facilité l’exploitation de Notre Mère la Terre pour le profit.

Pour chaque attaque contre Notre Mère la Terre menée par des entités coloniales, les Diné se sont farouchement organisés pour protéger Nahasdzáán dóó Yádilhil Bits’áádéé Bee Nahaz’áanii ou la Loi Naturelle Diné.

Des groupes comme Diné CARE se sont mobilisés depuis la fin des années 1980 pour affronter la dévastation écologique et culturelle. Adella Begaye et son mari Leroy Jackson ont organisé la protection des Montagnes Chuska contre l’exploitation forestière du gouvernement tribal Navajo. Ils ont fondé Diné CARE et se sont opposés aux opérations. Il semble que Jackson avait obtenu des documents qui montraient que des officiels du Bureau des Affaires Indiennes avaient travaillé en sous-main pour que la tribu soit exemptée des restrictions d’abattage prévues pour protéger des espèces menacées de la région. Il a été retrouvé assassiné peu après.

Au mépris du travail de groupes écologistes Diné, comme Diné CARE, pour mettre fin à l’extraction de charbon et aux centrales, face au réchauffement climatique, l’ex-Porte-parole du Conseil de la Nation Navajo, Lorenzo Bates, déclarait « la guerre contre le charbon est une guerre contre l’économie Navajo et notre capacité à agir en Nation souveraine. » À l’époque, l’industrie du charbon générait 60% des revenus de la Nation Navajo. Bates disait que « ces revenus représentent notre capacité à agir en Nation souveraine et à satisfaire nos propres besoins. »

Au prix de notre santé et de la destruction de Notre Mère la Terre, des politiciens de la Nation Navajo ont perpétué et profité des centrales au charbon et des mines à ciel ouvert, qui ont causé le déplacement forcé de plus de 20 000 Diné de Black Mesa, et une grave dégradation de l’environnement.

Pendant 41 ans, Peabody Coal, qui exploitait deux énormes mines sur Black Mesa, a consommé 5,5 milliards de litres d’eau par an, de la nappe aquifère située sous la zone. Bien que les mines soient maintenant fermées et la Centrale Navajo [NGS : Navajo Generating Station] qu’elles alimentaient détruite, les effets sur la santé, l’environnement et les sources d’eau vitales de la région sont très graves. La NGS avait été établie à l’origine dans le but de fournir l’énergie pour pomper de l’eau pour les gigantesques métropoles de Phoenix et Tucson. Pendant des décennies, tandis que des lignes à haute tension traversaient en tous sens les foyers des familles Diné et que de l’eau était pompée à des milliers de kilomètres pour des piscines et des terrains de golf, des milliers de Diné n’avaient ni eau courante ni électricité.

Des groupes écologistes Diné, comme Black Mesa Water Coalition [Coalition pour l’Eau de Black Mesa] et Tó Nizhóní Ání’, qui ont longtemps résisté au colonialisme d’exploitation des ressources sur Dził Yijiin (Black Mesa), ont récemment célébré la fermeture de la NGS, alors que la Nation Navajo [dans ce cas, le gouvernement – NdT] s’efforçait pour maintenir la centrale dépassée, prétendant que c’était vital pour l’économie Navajo. Ce qui était ignoré dans la mêlée, c’est que les propriétaires et les utilisateurs de la centrale au charbon, étaient enclins à passer au gaz naturel, devenu meilleur marché par la fracturation.

En 2019, la Nation Navajo en a rajouté en achetant trois mines de charbon dans la région du Bassin de la Powder River, situées dans les soi-disant Wyoming et Montana. Environ 40% du charbon des soi-disant Etats-Unis vient de cette région, constituant plus de 14% de la pollution au carbone des ‘USA’. L’affaire a aussi forcé la Compagnie Navajo d’Energie Transitionnelle (NTEC) à renoncer à son immunité souveraine, comme condition pour acheter les mines d’une compagnie qui venait de se déclarer en faillite.

Actuellement, il y a plus de 20 000 puits de gaz naturel, et des milliers d’autres en projet, dans et près de la Nation Navajo, dans le Bassin de la rivière San Juan, une structure géologique d’environ 20 000 km², dans la région des Quatre Coins [Four Corners]. L’Agence pour la Protection de l’Environnement des ‘Etats-Unis’ a trouvé que le Bassin de la San Juan était « le bassin de méthane de houillère le plus productif d’Amérique du Nord. » Rien qu’en 2007, les entreprises ont extrait près de 4000 milliards de m³ de gaz naturel de la région, en faisant la plus grande source aux Etats-Unis. Halliburton, qui fut ‘pionnier’ de la fracturation hydraulique en 1947, a entrepris la ‘refracturation’ de puits dans la région. La fracturation gaspille et pollue une incroyable quantité d’eau. Un seul puits de méthane de houillère peut utiliser jusqu’à 1,6 millions de litres d’eau, et un seul puits de gaz de schistes jusqu’à 45 millions de litres. Comme je l’ai déjà mentionné, c’est une région dans laquelle environ 30% des familles n’ont pas accès à l’eau courante. Le Bassin de la San Juan est aussi considéré comme « le plus prolifique producteur d’uranium des Etats-Unis. » L’uranium est un métal lourd radioactif, utilisé dans les réacteurs nucléaires et la production d’armes. On estime que 25% de tout l’uranium encore exploitable du pays se trouve dans Diné Bikéyah. Pendant la soi-disant ‘Guerre Froide’, les terres Diné ont été extrêmement exploitées par l’industrie nucléaire. De 1944 à 1986, environ 30 millions de tonnes de minerai d’uranium ont été extraits des mines. Les travailleurs Diné ont été peu informés des risques pour leur santé, beaucoup n’ayant même pas été équipés de protections. Quand la demande d’uranium a décru, les mines ont fermé, laissant plus de 1000 sites contaminés. À ce jour, aucun n’a été complètement nettoyé.

En 1979, le plus grand accident de fuite radioactive s’est produit dans Diné Bikéyah, à l’usine de traitement d’uranium de Church Rock. Plus de 1000 tonnes de déchets radioactifs solides et plus de 400 millions de litres de liquide radioactif se sont déversés dans la Rivière Puerco, suite à la rupture d’une digue en terre. Aujourd’hui, l’eau de la communauté de ‘Sanders, Arizona’, en aval, est toujours empoisonnée par la radioactivité de la fuite.

Bien que l’extraction d’uranium soit actuellement interdite dans la réserve, à cause de l’opposition de militants Diné anti-nucléaire, les politiciens Navajo ont tenté récemment d’autoriser une nouvelle exploitation dans les régions déjà contaminées par l’héritage empoisonné de l’industrie. En 2013, le Délégué du Conseil de la Nation Navajo Leonard Tsosie, a proposé une résolution pour outrepasser l’interdiction, mais ses activités ont été réduites à néant par Diné No Nukes, une organisation de base « engagée à créer une Nation Navajo débarrassée de tous les dangers de la radioactivité et de la prolifération nucléaire. » Il est estimé qu’il y a plus de 2000 mines d’uranium dangereuses dans et autour de la Nation Navajo. 22 puits qui fournissent de l’eau à plus de 50 000 Diné ont été fermés par l’Agence de Protection de l’Environnement [EPA], à cause de hauts taux de radioactivité. La récente pression pour promouvoir l’énergie nucléaire comme ‘énergie propre’ a rendu la région plus vulnérable à une reprise de l’extraction d’uranium, y compris la lixiviation in-situ (un procédé proche de la fracturation hydraulique) à proximité du Mont Taylor, une des six montagnes sacrées des Diné. L’exposition à l’uranium peut se produire par l’air, l’eau, les plantes et les animaux, et peut être ingérée, respirée ou absorbée par la peau. Bien qu’il n’y ait jamais eu d’étude exhaustive des effets sur la santé humaine de l’extraction d’uranium dans la région, l’EPA dit que l’exposition à l’uranium peut perturber le système immunitaire, causer une tension excessive, des maladies rénales, des cancers des poumons et des os, et plus. Une initiative en cours, appelée ‘Navajo Birth Cohort Study’, a également détecté de l’uranium dans l’urine de bébés nés de mères Diné exposées à l’uranium.

Dans le livre ‘Bitter Water : Diné Oral Histories of the Navajo-Hopi Land Dispute’ [‘L’Eau Amère : Histoires Orales Diné du conflit territorial Navajo-Hopi’,] Roberta Blackgoat, ma grand-mère et une des matriarches de la résistance Diné au déplacement forcé de Black Mesa, disait « Le charbon qu’ils arrachent est le foie de la terre. Les organes internes de la terre sont déterrés. Notre Mère la Terre a dû s’asseoir. L’uranium qu’ils ont extrait pour de l’énergie était ses poumons. Son cœur et ses organes sont déterrés par avidité. C’est du smog sur les horizons. Son souffle, sa chaleur, est pollué maintenant et elle est en colère quand les Navajos parlent de leur maladie. En hiver, la poussière de charbon souffle pour tapisser la terre comme un dieu jusqu’au fond des canyons. C’est très douloureux pour les poumons quand on attrape un rhume. Les symptômes s’atténuent lentement, quand de la poussière de charbon sèche souffle à cause de l’extraction par explosion. Les gens disent que l’uranium peut dessécher votre cœur. Il n’y a plus de compassion pour la terre maternelle. Nous sommes devenus son ennemi. »

Les Anciens Diné qui ont résisté à la déportation forcée de Black Mesa, ont subi des attaques constantes de leur mode de vie, particulièrement par la confiscation du bétail. La destruction systématique des modes de subsistance Autochtones à travers Diné Bikéyah est une stratégie utilisée depuis le début des invasions coloniales des ces terres. Cette dévastation est profitable pour les politiciens Navajo qui cherchent à maintenir notre rôle de colonie d’exploitation des ressources.

En 2015, l’EPA a relâché accidentellement plus de 13 millions de litres de déchets toxiques de la mine d’or Gold King, dans la Rivière Animas. La fuite toxique a coulé à travers les communautés Diné, polluant la Rivière San Juan, dont dépendent beaucoup d’agriculteurs Diné. Les récoltes ont été perdues, cette année-là. Pour compenser le manque d’eau, l’EPA a d’abord envoyé de l’eau dans des barils à pétrole rincés. Chili Yazzie, ex-Président du Chapitre de Shiprock dit : « La compagnie de transport d’eau engagée par l’EPA pour amener de l’eau non-polluée de la Rivière San Juan, a amené 11 grands réservoirs de 73 000 litres chacun, dans toutes les zones agricoles de Shiprock et les a remplis d’eau pour les cultures. Quand ils ont commencé à prendre de l’eau des réservoirs pour leur maïs et leurs melons, les agriculteurs ont remarqué que l’eau de certains réservoirs avait la couleur de la rouille, sentait le pétrole et était visqueuse. »

Le colonialisme d’exploitation des ressources vise particulièrement les femmes, les êtres à deux esprits et les transsexuels, comme nous le voyons dans le lien avec les assassinats de masse contre lesquels le mouvement ‘Missing and Murdered Indigenous Women, Girls, Trans and Two-Spirits, #MMIWGT2S’ [Femmes, Filles, Trans et Deux-Esprits Autochtones Disparues ou Assassinées]. #MMIWGT2S est une campagne d’abord entreprise au soi-disant ‘Canada’ pour réagir à la violence extrêmement disproportionnée et non dénoncée contre les femmxs [en Anglais womxn] Autochtones. Le mouvement a été étendu aux Petites Filles, Trans et Deux-Esprits (MMIWT2S) étant donné le taux alarmant de violence fondée sur le genre plongée dans l’invisibilité.

#MMIWGT2S s’est d’abord concentré sur le lien entre le colonialisme d’exploitation des ressources et la violence fondée sur le genre. Les ‘camps masculins’ de l’industrie minière, sont des sites des projets extractivistes à grande échelle, où des travailleurs masculins sont entassés dans des camps temporaires, dans des zones proches des réserves. Depuis des années, les communautés Autochtones ont exprimé des inquiétudes à propos de ces problèmes, mais ce n’est que très récemment que le mouvement #MMIWGT2S a été plus largement reconnu.

La violence du colonialisme d’exploitation des ressources est de la violence contre le territoire, qui est de la violence contre nos corps.

Les Déserts Alimentaires : Un Projet de Violence Coloniale

Notre santé a été détruite par des maladies liées à la malnutrition, imposées par les attaques coloniales contre notre système culturel d’alimentation. Diné Bikéyah n’était pas un ‘désert alimentaire’ avant la colonisation. Selon l’Association Américaine du Diabète, « Les diabétiques ont une plus grande chance d’avoir de graves complications avec le COVID-19. En général, les diabétiques ont plus de chances d’avoir des symptômes graves et des complications quand ils sont contaminés par un virus. » Un Diné sur trois est diabétique ou prédiabétique, dans certaines régions, les soignants signalent avoir diagnostiqué du diabète chez tous les malades.

En 2014, l’organisatrice Diné Dana Eldrige, a publié un rapport accablant sur la Souveraineté Alimentaire Diné, par l’intermédiaire de l’Institut pour les Politiques Diné. Dans le rapport, le concept de Nation Navajo comme ‘désert alimentaire’ était replacé dans le contexte d’un processus de colonialisme et de capitalisme.

Le rapport définissait un Désert Alimentaire comme « une zone, urbaine ou rurale, sans accès à une nourriture fraiche et saine à un prix abordable. Alors que les déserts alimentaires sont privés de nourriture saine abordable, les aliments transformés, mauvais pour la santé, y sont plus facilement accessibles… [Les Déserts Alimentaires] impliquent un fort taux de maladies dues à la malnutrition. Pour les communautés rurales, le Département de l’Agriculture des Etats-Unis, a défini comme déserts alimentaires des régions avec des populations à bas revenus, où le supermarché le plus proche est à plus de 32 km, et où les gens ont un accès limité à des véhicules… Les Diné avec des revenus limités ou aucun revenu, sont limités dans leurs choix alimentaires, les aliments frais et bons pour la santé étant plus chers, les gens financièrement limités n’ont souvent pas d’autre choix que d’acheter des produits bon marché, transformés, à haut taux de calories, qui mènent à l’apparition de maladies liées à la malnutrition. »

Le rapport a constaté qu’une majorité de participants à l’étude des communautés Diné, avaient à faire au moins 250 km aller-retour, pour acheter leurs produits alimentaires, et d’autres faisaient régulièrement jusqu’à 390 km. Il y a 13 supermarchés fournissant tous les produits d’épicerie dans la Nation Navajo, selon le rapport, l’un d’eux vend 80% de produits transformés. Le rapport ajoute que « un examen du système alimentaire de la Nation Navajo révèle que notre système actuel ne remplit pas les besoins de la Nation Navajo, mais affecte aussi le bien-être des Diné. Ces problèmes incluent des niveaux épidémiques de maladies liées à la malnutrition, dont le diabète et l’obésité, le manque de nourriture (haut taux de famine), une importante fuite des dollars Navajo vers les villes-frontière, la désintégration des modes de vie Diné et de K’é (l’ancien système de parenté observé entre les Diné et toutes les choses vivantes de l’existence), entre autres problèmes ; et tout cela alors que la Nation Navajo se débat avec un taux de chômage extrême, la dépendance aux revenus de l’extraction de Ressources Naturelles et des fonds fédéraux irréguliers. »

Nos terres ne sont pas devenues un ‘désert alimentaire’ par accident ou par manque d’infrastructures économiques, l’histoire du manque de nourriture dans nos communautés est directement corrélée à une histoire d’invasion coloniale violente.

Après avoir fait face à une farouche résistance Diné au milieu du XIXe siècle, les troupes ‘US’ envahir et attaquèrent le Canyon de Chelly, au cœur de Diné Bikéyah. Ils employaient ‘la tactique de la terre brûlée’ en brûlant les maisons avec chaque champ ou verger qu’ils rencontraient. Le Colonel ‘US’ Kit Carson mena une campagne de terreur pour pousser les Diné à ce qui est appelé ‘La Longue Marche’ jusqu’à un camp de concentration appelé Fort Sumner, à des centaines de kilomètres, à l’est du ‘Nouveau-Mexique’.

Le rapport dit :

« La campagne de la terre brûlée de Carson impliquait l’abattage du bétail, l’incendie des champs et des vergers, et la destruction des sources d’eau. Cette politique de terre brûlée à effectivement affamé beaucoup de Diné au point qu’ils se rendent. La rumeur a atteint ceux qui n’avaient pas encore été capturés, que de la nourriture été distribuée à Fort Defiance. Beaucoup de familles ont choisi de se rendre au fort pour calmer leur faim et discuter de la paix, ignorant les projets de déportation de Carleton. En arrivant au fort, les Diné se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas rentrer chez eux et étaient prisonniers des militaires des Etats-Unis… Suite à l’absence de récoltes, aux restrictions sur la chasse et l’absence de plantes Autochtones familières, les Diné ont dû dépendre des militaires des Etats-Unis pour les nourrir, ce qui marqua un tournant décisif dans l’histoire de l’alimentation et de l’autosuffisance des Diné. Les rations étaient inadéquates et très pauvres en éléments nutritifs, consistant surtout en porc salé, bétail, farine, sel, sucre, café et lard. »

Quand les colonisateurs établissaient des forts militaires et menaient des guerres brutales contres les Peuples Autochtones, ils leur fournissaient aussi des rations, comme moyen de pacification et d’assimilation.

Le livre ‘Food, Control, and Resistance: Rations and Indigenous Peoples in the United States and South Australia’,

illustre comment les programmes de rationnement de la nourriture étaient un instrument de colonisation et travaillaient parallèlement aux politiques d’assimilation, pour affaiblir les sociétés Autochtones et mettre les peuples Autochtones sous contrôle colonial. Dès que les peuples Autochtones devenaient dépendants de ces rations de nourriture, les officiels des gouvernements les manipulaient délibérément, en décidant où et quand la nourriture serait distribuée, mettant des restrictions sur la sorte et la quantité d’aliments distribués, et déterminant à qui ils seraient distribués. La faim était une arme matérielle et politique.

La stratégie des sociétés de colons était de détruire les bisons, les moutons, les champs de maïs, les sources d’eau, et tout ce dont les Peuples Autochtones se nourrissaient, afin de restreindre notre autonomie et de créer la dépendance.

Alors que les stratégies militaires se concentraient de plus en plus sur l’attaque des systèmes alimentaires des Autochtones, la libération et la redistribution des ressources étaient familières pour nos ancêtres, et ils ont efficacement fait des raids dans les provisions du colonisateur et brûlé des forts jusqu’à les réduire en cendres. Mais il est clair que les stratégies de la terre brûlée étaient terriblement efficaces.

A partir des années 1930, le Bureau des Affaires Indiennes (BIA) a ordonné la réduction des troupeaux des Diné. Des officiels du BIA massacraient les troupeaux « et les laissaient pourrir, sous les yeux des familles Diné. Certains troupeaux furent poussés du haut des falaises, d’autres étaient arrosés de kérosène et brûlés vifs. »

L’abattage de masse des animaux réduisit gravement l’autosuffisance des Diné. Beaucoup ont dû dépendre des rations du gouvernement et de l’économie croissante des postes commerciaux [trading posts] pour nourrir leurs familles. Bien que la justification politique de l’extrême réduction des troupeaux était de freiner l’érosion du sol, le rapport montre que d’autres facteurs comme « la désertification et la détérioration des pâturages, comme le changement climatique, les sécheresses périodiques, l’invasion de végétation exotique, et un abaissement du niveau des nappes phréatiques » étaient des problèmes essentiels.

En 1968, le premier supermarché a ouvert dans la Nation Navajo, à Tségháhoodzání (Window Rock, ‘Arizona’).

Le rapport montre que :

« L’impact de ces supermarchés et le déclin des aliments Diné fut expliqué au cours de recherches nutritionnelles. Dès les années 1980, les sodas et autres boissons sucrées, le pain acheté au supermarché et le lait étaient devenus communs dans le régime alimentaire Navajo, tandis que le pain frit et les tortillas, les pommes de terre, le mouton et le café étaient toujours des aliments de base. Bien que beaucoup de familles Navajo continuent de cultiver (le maïs, les courges et les melons étant les principales cultures), les jardins étaient généralement petits et n’étaient plus la source principale de nourriture pour beaucoup de familles… En plus des changements diététiques, la rupture de l’autosuffisance, du savoir Diné, de la famille et de la communauté, et le détachement de la terre, faisaient aussi partie des variations dans la vie et la société Diné. Ces changements ne se sont pas produits par hasard, ils ont été favorisés par une série d’interventions et de politiques Américaines (le processus de colonisation) ; à savoir la déportation forcée, la réduction du bétail, les pensionnats Indiens, le déplacement de populations et les programmes de distribution de nourriture, ainsi que le passage de styles de vie de subsistance à une société fondée sur le salariat, et l’intégration au capitalisme américain… Avant les entreprises américaines de colonisation, les Diné fonctionnaient dans un système de nourriture qui n’était pas seulement partie intégrante de notre culture, mais faisait que les Diné produisaient activement et cueillaient la nourriture nécessaire pour nourrir leurs communautés. Ça veut dire que les Diné ne dépendaient pas de gouvernements et de systèmes extérieurs pour la nourriture. Non seulement les gens s’assuraient de la qualité et des propriétés nutritives des aliments qu’ils fournissaient, mais ils le faisaient hors de l’autorité ou de la gouvernance de ces entités extérieures. »

Dans la conclusion du rapport, l’Institut des Politiques Diné recommandait de « revitaliser les aliments traditionnels et le savoir traditionnel en matière de nourriture, en rétablissant un système alimentaire autosuffisant pour le peuple Diné. »

Il est caractéristique que le gouvernement colonial et les politiciens Navajo aient approfondi le processus d’assimilation par leurs actions pour réformer le problème de désert alimentaire, en impulsant une initiative agricole qui achète des graines de Syngenta et Monsanto et utilise des avantages fiscaux pour rendre la nourriture saine plus abordable, ce qui accroit la dépendance des Diné à la nourriture-marchandise.

Bien que le Conseil Tribal Navajo ait introduit une initiative d’agriculture à grande échelle, appelée ‘Industrie Navajo des Produits Agricoles (NAPI)’, l’entreprise a déclaré sur son site web qu’elle plantait des graines de maïs génétiquement hybrides, achetées aux « entreprises Pioneer Seed Company, Syngenta Inc., et Monsanto. » En 2014, dans une tentative de juguler l’épidémie de diabète, le Conseil de la Nation Navajo a passé une loi qui augmentait la TVA sur la malbouffe bon marché vendue dans la Nation Navajo, et une autre supprimant la TVA sur les fruits et légumes frais. La pression économique mise sur ceux qui déjà n’y arrivent pas, sans s’attaquer à la racine des causes ni à la dégradation environnementale, va dans le sens du gouvernement colonial et des politiciens Navajo.

Au lieu de nourrir nos communautés directement, nous sommes devenus dépendants de commerces et de grandes compagnies qui se préoccupent plus des profits que de notre santé et notre bien-être. Les pensionnats Indiens débordaient d’endoctrinement capitaliste pour assimiler de force les enfants Diné dans la société coloniale. Le programme était établi pour une raison claire : Pour nourrir nos familles, nous avions besoin d’emplois. Pour avoir des emplois, nous devions être formés. Pour être formés, nous devions obéir. Ne pas avoir d’emploi veut dire que vous êtes pauvre. Employer d’autres travailleurs, c’est construire la richesse. Construire la richesse signifie le succès.

Le processus de destruction du soi Autochtone et de l’autosuffisance collective est un procédé toujours en cours d’assimilation capitaliste. La famine est utilisée comme une arme contre notre peuple.

Nous ne pouvons pas parler de privation économique et de manque de ressources sans parler de l’histoire, nous ne pouvons pas aborder la crise du COVID-19 sans parler des crises du capitalisme et du colonialisme. La disparition et l’annihilation du Peuple Autochtone a toujours fait partie du projet d’extraction des ressources et du colonialisme.

Une Foi Virulente

Le 7 mars 2020, dans la petite communauté isolée de Chilchinbito, dans Diné Bikéyah, un groupe Chrétien a organisé un rassemblement et une ‘Journée de Prière’ en réaction à l’épidémie de coronavirus. Selon un rapport, un pasteur toussait pendant son sermon. Le 17 mars, le premier cas de COVID-19 a été confirmé dans la réserve, et Chilchinbito comme épicentre de l’épidémie montante. Le 18, la Nation s’est fermée aux visiteurs. Le 20 mars, comme le nombre de cas de COVID-19 doublait, puis triplait, la Nation Navajo a décrété un ordre de ‘refuge-sur-place’ pour tous ceux qui vivaient dans la réserve et imposé un couvre-feu dix jours plus tard.

Alors que les écoles étaient fermées à cause de la crise, le pensionnat de Rocky Ridge – situé sur Black Mesa, juste à côté des terres divisées au cours du soi-disant Conflit Territorial Navajo-Hopi – est resté ouvert. Le personnel de l’école avait participé au rassemblement Chrétien de Chilchinbito, et environ 100 écoliers avaient été exposés au virus.

Ce n’est pas la première fois que des Chrétiens et des pensionnats chrétiens exposent nos terres et nos Peuples Autochtones à une pandémie. Le COVID-19 n’est pas le premier virus auquel notre peuple est confronté.

Des couvertures infectées à la rougeole et la variole, à l’épidémie de grippe de 1918 (au cours de laquelle il est estimé que 2000 Diné ont péri), les Peuples Autochtones sont depuis longtemps familiers des stratégies coloniales de guerre bactériologique. Certaines estimations disent qu’environ 20 millions d’Autochtones ont pu mourir, dans les années suivant la première vague d’invasion européenne, de maladies amenées par les colonisateurs – jusqu’à 95% de la population des soi-disant ‘Amériques’ [certaines estimations plus récentes considèrent que la population des Amériques à l’arrivée des Espagnols pouvait être de 100 millions, certains ont même dit 200-250 millions- NdT]. La colonisation des ‘Amériques’ était une stratégie de christianisation, codifiée par la Bulle Papale ‘Inter Caetera’ de 1493, pour assurer un ‘droit exclusif’ de réduire les Peuples Autochtones en esclavage et de s’emparer de leurs terres.

Comme beaucoup de documents en témoignent, en 1763, pendant un long siège du poste avancé de l’armée coloniale appelé ‘Fort Pitt’ conduit par les Obwandiyag (Odawa Nation, ou ‘Pontiac’), les envahisseurs britanniques ont utilisé des couvertures contaminées à la variole comme arme bactériologique. Le général britannique Jeffrey Amherst avait écrit : « Ne pourrions-nous pas nous arranger pour envoyer la variole dans ces Tribus d’Indiens mécontents ? Nous devons, à cette occasion, utiliser tous les stratagèmes en notre pouvoir pour les réduire. »

En 1845, John Louis O’Sullivan déclarait que la croyance ‘américaine’ en la ‘mission donnée par Dieu’ des soi-disant Etats-Unis, était leur ‘destinée manifeste’. Cette idée accéléra la violence coloniale de l’expansion ‘américaine’.

Sous la soi-disant ‘Politique de Paix’ du Président Grant, les réserves étaient administrées par diverses églises chrétiennes, qui étaient autorisées à convertir de force les Peuples Autochtones au christianisme. Dès 1872, 63 ou 75, les réserves étaient gérées par des groupes religieux chrétiens. La ‘Politique de Paix’ établissait aussi que, si des Peuples Autochtones refusaient de déménager dans des réserves, ils pouvaient être délogés de force de leurs terres ancestrales par les soldats U.S. Ces politiques chrétiennes suprémacistes blanches conduirent à ce que le Congrès ‘U.S.’ adopte en 1882 des lois contre les religions Autochtones. Tout Autochtone qui défendait ses croyances culturelles, organisait des danses religieuses ou participait à des cérémonies religieuses, serait emprisonné.

L’assimilation totale était aussi le but ultime de la violente déshumanisation du projet des pensionnats Indiens ‘U.S.’ C’était un processus suprémaciste blanc, fondé religieusement, de ‘tuer l’Indien pour sauver l’homme’, avec le but de ‘civiliser’ ou forcer les Autochtones à être des membres ‘productifs’ de la société des colons. Chaque petite qualification pour un emploi subalterne dans l’ère d’assimilation subséquente, représentait un barreau sur l’échelle que notre peuple était forcé d’escalader pour une ‘meilleure’ éducation, et l’éloignait davantage de nos systèmes de savoir culturel et de notre autonomie individuelle et collective, et le poussait plus loin dans un système d’exploitation économique. C’était aussi une stratégie pour accomplir le vol de territoire en éradiquant les liens et la confiance Autochtones de nos terres.

Le capitalisme est un système économique et politique fondé sur le profit, la compétition, le marché libre et la propriété privée, et se caractérise par un individualisme extrême. Sa généalogie est enracinée dans l’esclavage, le génocide et l’écocide. Le capitalisme d’exploitation des ressources est la domination et l’exploitation systématiques des territoires et des vies Autochtones au profit d’un ordre social non-Autochtone agresseur. C’est différent du colonialisme de peuplement, qui est l’invasion, la dépossession et/ou l’éradication des territoires et des vies Autochtones, dans le but d’établir une occupation non-Autochtone de ces territoires.

À cette fin, les modèles de développement économique pour soulager ‘la pauvreté’ dans nos communautés, signifie seulement que notre peuple continuera à être dépendant et que cela solidifiera la configuration qui a été établie par la domination coloniale et capitaliste de nos terres et de nos peuples. Le processus ‘d’indigénisation’ ou de ‘décolonisation’ de la richesse dans ce contexte, ne fait que nous rendre de plus en plus complices de notre propre génocide.

Le projet colonial est très incomplet, étant donné que nos cultures sont incompatibles avec le capitalisme. Il n’y a pas de dualisme d’identité Autochtone et capitaliste, elles sont diamétralement opposées comme ennemies naturelles et contre-nature. Finalement, une seule peut exister et l’autre doit périr.

Au milieu des batailles géopolitiques pour les minéraux, le pétrole et le gaz dans la colonie d’exploitation des ressources qu’est la Nation Navajo, des écologistes ont demandé à grands cris ‘une transition juste’ vers une ‘économie verte.’ C’est exhorter à trouver de ‘nouveaux arrangements’ pour rendre le capitalisme plus écologique et soutenir des modes de vie insoutenables par l’énergie solaire ou éolienne, tout en maintenant subrepticement des relations de pouvoir d’exploitation intactes. Cet arrangement ne cherche pas à mettre fin aux relations coloniales avec les industries extractivistes, ça les lave plus rouge ou plus vert, et en assure la promotion.

De cette façon, les politiciens de la Nation Navajo et les groupes écologistes à but non-lucratif (et même certains qui se proclament radicaux) sont dans le même business qui consiste à réaliser complètement l’expansion du capitalisme sur nos territoires.

À travers nos terres de déserts colorés, notre sang versé est obscurci par les couchés de soleil ocre rouge caressant une peau brune.

C’est là où les dieux sont toujours en guerre dans les têtes de ceux qui sont obsédés par des mots dans des livres qui ne sont pas les nôtres.

Tout est profané. Tout est à vendre.

De notre Mère la Terre à nos corps, dans le capitalisme tout à été réduit à une marchandise. Tant que ça peut être vendu, acheté, ou exploité, rien n’est sacré. Tant que les terres (et par extension, nos corps) seront vues de cette façon, nous serons en conflit, car le capitalisme est l’ennemi de Notre Mère la Terre et de tout ce que nous tenons pour sacré.

Charité et Alliantisme Missionnaires

Les familles Diné dans la région isolée de Black Mesa, dans Diné Bikéyah – en particulier celles qui ont été frappées par le déplacement forcé – sont depuis longtemps les perpétuels ‘pauvres’ qui fascinent les aspirants sauveurs blancs. Des alliés autoproclamés, allant, dans le spectre politique, d’anarchistes à des missionnaires chrétiens, se sont précipités pour apporter du soutien par des ‘courses alimentaires’ et d’autres formes de charité. Ils s’en tiennent à un arrangement bien net, en donnant de l’aide à certaines familles et en laissant les autres de côté, qui construit des relations à long terme, qui remplissent des comptes quelque part, tout en aidant à maintenir le système même de rationnement et de contrôle mis en place durant les soi-disant ‘Guerres Indiennes’.

Ce type de ‘charité’ continue d’être une stratégie des sociétés coloniales pour contrôler les Peuples Autochtones dans le monde entier. Les opérateurs de l’industrie non-lucrative (alliés et Autochtones) évangélisent la dépendance capitaliste et coloniale, tout en affamant notre peuple de son autonomie. Ils remplissent pratiquement la fonction de nouveaux forts des vieilles guerres. Le colonialisme de peuplement et d’exploitation des ressources, et le capitalisme, ont été et continuent d’être la crise qui a dépossédé les Peuples Autochtones du monde entier de leurs moyens de survie.

Des campagnes de terre brûlée qui détruisaient intentionnellement nos champs et notre bétail et nous forçaient à dépendre des rations du gouvernement et des missions, à la déclaration par des groupes chrétiens, des organisations à but non-lucratif, et même quelques projets radicaux, de nos communautés comme zones de catastrophes perpétuellement ‘appauvries’, notre autonomie a constamment été attaquée. C’est exacerbé aujourd’hui, par ceux qui perpétuent et bénéficient de cycles de dépendance déguisés en actes de ‘charité’.

Dans ce théâtre obscène, la politique des alliés est presque devenue une mise en scène de Danses avec les Loups. Que ce soit l’auto-découverte et la distanciation de la culpabilité de projets dé-coloniaux ou des groupes comme Showing Up for Racial Justice et le Catalyst Project, parachutés sur les lignes de front de luttes Autochtones (de Big Mountain à Standing Rock), le regard fétichiste du colon voit rarement plus loin que la périphérie des ses propres intérêts et de son confort. Dans des séminaires sans fin et des réunions par Zoom, il se concentre sur des interprétations de la résistance et de la libération selon ses propres termes. C’est particulièrement évident lorsque ces faux amis pourchassent un chèque de justice sociale de plus, ou nous abandonnent quand les conditions deviennent trop dures. Le complexe industriel des alliés est en train de coloniser la résistance Autochtone. Les ‘Alliés’ sont les nouveaux missionnaires.

La société de colons se débat pour savoir comment comprendre et réagir à cette crise, mais pour que cela arrive vraiment, ils devront se résoudre à admettre que leurs façons de vivre et leur compréhension du monde sont construites sur un temps linéaire, et que ce temps arrive à sa fin. Au lieu de fétichiser cette fin par des fantaisies de survie apocalyptique et de scénarios d’un sauveur, c’est le moment de se salir les mains, c’est le temps de l’action directe, de la solidarité significative et des interventions critiques. C’est un temps de solidarité et de cérémonie. Si nous devons avoir une véritable solidarité et non la charité sur des terres volées, nous devons établir des conditions réciproques qui impliquent une compréhension profonde de l’héritage toujours présent de la violence coloniale.

L’Aide Mutuelle Autochtone est Nécessaire

Début mars 2020, des projets d’aide mutuelle ont commencé à se mobiliser dans Diné Bikéyah. Au moment où nous écrivons, plus de 30 groupes coordonnent l’aide d’urgence sous différentes formes d’actions directes, dans toutes nos communautés.

L’idée de soin et de soutien collectifs, d’assurer le bien-être de tous nos parents par une association bénévole et non-hiérarchique, et d’entreprendre une action directe, a toujours été facilement traduisible en Diné Bizáad (la langue Navajo). T’áá ni’ínít’éego t’éiyá est une traduction de cette idée d’autonomie. Beaucoup de jeunes gens sont encore élevés avec l’enseignement de t’áá hwó’ají t’éego, qui signifie : si ça doit être, ça dépend de toi. Personne ne le fera pour toi. Ké’, ou relations familiales, nous guide afin que personne ne soit laissé se débrouiller tout seul. J’ai écouté beaucoup d’anciens qui affirmaient que cette connexion par notre système de clan, qui a établi que nous sommes tous parents d’une manière ou d’une autre, et que nous devons prendre soin les uns des autres, a été la clé de la survie de ceux qui étaient emprisonnés à Fort Sumner. Il est important de comprendre aussi que Ké’ n’exclut pas nos parents non-humains ni la terre.

Les Peuples Autochtones ont établi depuis longtemps des pratiques de soins mutuels pour assurer notre existence. Nos communautés ayant une longue histoire d’organisation pour nous soutenir mutuellement en temps de crise, nous avons déjà de nombreux modèles d’aide mutuelle à notre disposition.

Ça avait la forme d’une petite équipe qui coordonnait ses parents ou amis pour couper du bois et le distribuer aux Anciens. Ça avait la forme de cliniques de médecine traditionnelle à base d’herbes et de distribution de fournitures d’hygiène sexuelle. Ça avait la forme d’efforts communautaires de portage d’eau ou de courses de fournitures à grande échelle, pour assurer que les Anciens avaient ce qu’il fallait pour passer des hivers rudes. Ça avait la forme de soutien aux parents SDF par des distributions de vêtements, de nourriture, et plus.

Chaque fois que des individus ou des groupes dans nos communautés ont entrepris des actions directes (sans compter sur des politiciens, des ONG, ou d’autres moyens indirects) et aidé les autres – non pas pour leurs propres intérêts, mais par amour pour leur peuple, la terre, et les autres êtres – est ce que nous connaissons comme ‘aide mutuelle’.

Et quand nous comprenons que nous sommes tous ensemble dans ce qui arrive, que personne ne vaut plus qu’un autre et que nous devons nous occuper les uns des autres pour survivre, c’est ce que les anarchistes en sont venus à appeler ‘Aide Mutuelle’. C’est une pratique sur laquelle l’auteur anarchiste Pierre Kropotkine a écrit dans son livre publié en 1902 sous le titre ‘Aide Mutuelle : Un Facteur d’Evolution’. Son analyse a été développée en grande partie par l’observation de communautés Autochtones qui coopéraient pour survivre, contrairement aux notions Européennes qui tentaient d’affirmer que la compétition et la domination étaient des conduites humaines ‘naturelles’. Kropotkine comprenait l’aide mutuelle comme une loi de la nature, que, quand on observe et écoute la nature, on comprend que la vie ne florit pas en luttant pour l’existence ni selon la notion superficielle de survie du plus fort, mais par le soutien mutuel, la coopération et la défense mutuelle. Nous n’avons jamais eu besoin, et n’en avons toujours pas, d’hommes blancs venus d’Europe pour nous apprendre comment vivre.

L’Aide Mutuelle Autochtone défie les modèles de ‘charité’ pour l’organisation et l’aide, qui ont historiquement traité nos communautés comme des ‘victimes’ et n’ont fait qu’accentuer la dépendance et nous ont dépouillés de notre autonomie. Nous nous organisons contre les capitalistes à but non-lucratif qui entretiennent des institutions néocoloniales, et nous rejetons l’ONG-isation et la marchandisation à but non-lucratif de notre aide mutuelle.

Tandis que la solidarité signifie nous soutenir les uns les autres activement et de manière significative, ça ne signifie pas avoir des illusions aveugles d’’unité’, ni que nous devions niveler les diverses façons d’agir culturelles et politiques et les visions du monde de chacun de nous. Il y a des tensions et des factions nécessaires dans nos communautés et dans les politiques Autochtones radicales. Certaines ONG Autochtones comme le ‘Collectif’ NDN et le Fond de Secours COVID-19 aux Familles Navajo et Hopi (NHFCRF) ont touché des millions de dollars pour des actions de secours en réaction à la pandémie. Le secours est devenu un gros business, alors que les causes de base sont renforcées et plus profondément enracinées. Pour illustrer la déconnexion des analyses, le NHFCRF a commencé par distribuer du charbon aux familles Diné et Hopi, à brûler pour se tenir au chaud dans les moments de froid intense de l’hiver. D’autres proposent un programme ‘révolutionnaire Autochtone socialiste’, dans une avant-garde universitaire chargée de prolétarianiser les manières d’être Autochtones par du marxisme lavé plus rouge. Cette recontextualisation des réactions politiques de Marx et Engels au capitalisme européen, ne fait rien pour promouvoir l’autonomie Autochtone. Le processus aliène fondamentalement des composition sociales Autochtones diverses et complexes, en les forçant à agir en sujets d’une structure révolutionnaire autoritaire, fondée sur la classe et la production industrielle. Les collectivités et la mutualité Autochtones existent de manières que les idéologues politiques gauchistes ne peuvent ni ne veulent imaginer. Le faire serait en conflit avec l’architecture de base sur laquelle leur monde est construit, et peu importe comment c’est revisionné, la science du matérialisme dialectique n’est pas une science produite par la pensée Autochtone. Les politiques coloniales de gauche comme de droite, sont toujours des politiques coloniales.

Alors que la pandémie de COVID-19 ravage nos communautés et menace les plus vulnérables tels que nos Anciens, ceux avec des problèmes de santé dus à la nourriture coloniale, la dévastation écologique et les industries polluantes, ceux dont l’immunité est compromise, nos parents SDF et d’autres, il y a un besoin évident d’aide mutuelle organisée. Considérant les contextes culturels, les besoins, et plus spécialement l’histoire de la violence coloniale et de la destruction des nos moyens de subsistance individuels et collectifs, la formation d’une organisation distincte d’Aide Mutuelle et de Défense Mutuelle Autochtones, est nécessaire. L’Aide Mutuelle Autochtone ne consiste pas seulement en redistribution des ressources, c’est aussi la redistribution radicale du pouvoir de restaurer nos modes de vie, de guérir nos communautés et le territoire.

Prophétie et Médecine

Seulement deux générations après la Longue Marche et l’emprisonnement de masse à Fort Sumner, Diné Bikéyah a dû faire face à l’épidémie de grippe ‘espagnole’ de 1918. Avant l’apparition de la grippe, ma grand-mère Zonnie Benally, qui pratiquait la médecine, a reçu un avertissement quand une selle prit feu spontanément. Après avoir prié, elle comprit qu’une maladie viendrait, en corrélation avec une averse de météorites, et qu’elle pourrait survivre en mangeant de la viande de cheval. Zonnie Benally répandit la nouvelle et appela les gens à se préparer en allant s’isoler. La maladie arriva aussi après une éclipse de soleil totale, dont nos hommes et femmes-médecine avaient prévenu qu’elle causerait des dommages à notre peuple.

Dook’o’oosłííd est l’une de six montagnes sacrées pour les Diné, nous avons reçu l’instruction de vivre dans les limites de ces piliers qui soutiennent notre cosmologie. La station de ski Arizona Snowbowl a pompé des millions de litres d’eaux usées de la Ville de Flagstaff pour faire de la neige artificielle sur ces pentes sacrées. Etant donné que le Service des Forêts ‘gère’ la montagne sacrée comme ‘terres publiques’, il approuve cette profanation.

Lorsque le projet initial de profanation de la montagne a été présenté, les praticiens [de médecine traditionnelle] ont témoigné au tribunal que cette perturbation et cet empoisonnement extrêmes auraient des conséquences graves pour tous. Leur témoignage était prophétique.

Daniel Peaches, membre de l’Association des Hommes-Médecine Diné, déclara « Dès que la tranquillité et la sérénité de la Montagne est perturbée, l’harmonie qui permet à la vie d’exister est interrompue. Le temps se comportera anormalement, le sol bougera et tremblera, le territoire ne sera plus hospitalier pour la vie. Le schéma naturel de la vie deviendra erratique et les comportements des animaux et des gens deviendront imprévisibles. La violence sera la norme et l’agitation dominera, en conséquence de quoi la paix et la sérénité ne seront plus possibles. Les plantes ne donneront plus de baies et les sécheresses seront si sévères que toute existence sera menacée. »

En 1996, deux êtres sacrés ont rendu visite à une Ancienne, près de Rocky Ridge, où l’affaire de Black Mesa avait eu lieu. Ils avaient fait des visites et délivré des messages depuis quelques temps, et quand Sarah Begay, la fille de l’Ancienne revint à la maison un jour, elle vit les êtres sacrés. Tous les messages délivrés furent vérifiés par des Hataałiis (praticiens traditionnels). Ça devint une situation problématique, parce que les terres ancestrales de la famille devaient être saisies au cours d’un ‘conflit territorial’ monté de toutes pièces, avec la Tribu Hopi. Albert Hale, alors président de la Nation Navajo (récemment décédé du COVID-19) avait même déclaré un ‘jour de prière’. Leur message était une prophétie. Elle parlait des Anciens et des temps que nous vivons maintenant. Des conditions avaient été posées et ce qu’ils avaient dit s’est réalisé.

Dans le Rapport sur la Souveraineté Alimentaire de l’Institut pour les Politiques Diné, de la prophétie a également été trouvée dans leur étude, « … il est dit que les Êtres Sacrés ont partagé avec les Diné les enseignements sur comment planter, entretenir, préparer, manger et conserver nos récoltes sacrées comme le maïs. L’importance de ces enseignements pour notre bien-être a été clairement montrée en ce que les Êtres Sacrés dirent que nous serions en sécurité et en bonne santé jusqu’au jour où nous oublierions nos graines, nos fermes et notre agriculture. Il fut dit que quand nous oublierions ces choses, nous serions de nouveau atteints par les maladies et les épreuves, c’est ce à quoi des Anciens se réfèrent comme le début du diabète, de l’obésité et d’autres maux auxquels les Diné sont confrontés aujourd’hui. »

En réaction aux tentatives répétées de la faire partir de sa terre et de confisquer son bétail, Roberta Blackgoat dit « Cette terre est sacrée. La loi humaine n’est pas notre loi. La nature, la nourriture et la façon dont nous vivons est notre loi. Les projets de perturber et de creuser des sites sacrés sont contre la loi du Créateur. Nos grands ancêtres sont enterrés partout, ils sont devenus du sable, ils sont devenus les montagnes, et leur présence spirituelle est encore là pour nous guider… Nous résistons pour garder cette terre sacrée à sa place. Nous le faisons pour nos enfants. »

Pauline Whitesinger, une matriarche Diné de la résistance contre le déplacement forcé de Black Mesa, dit un jour « Washington D.C. est la cause de beaucoup de souffrance et de désastre. C’est comme un virus humain avec des effets secondaires. »

Quand j’ai demandé à mon père, Jones Benally, praticien de la médecine traditionnelle, ce qu’il pensait de la crise actuelle, il dit « Je t’avais dit de te préparer à ça. » Et il l’a fait, surtout depuis une autre éclipse de soleil récente. Il dit « Le gouvernement ne prendra pas soin de nous. Il fait partie de la raison pour laquelle la nature attaque. »

Nous avons survécu à des massacres et aux marches forcées, nous avons subi les réserves et les pensionnats, nous avons été confrontés à des stérilisations forcées et aux zones de sacrifice national. Nous avons résisté aux attaques contre Notre Mère la Terre, étant donné que nous considérons depuis longtemps que l’équilibre et l’harmonie de la création sont intrinsèquement liés à notre bien-être et à la santé de tous les êtres vivants. Notre système immunitaire est compromis à cause de la nourriture coloniale et de l’écocide. Des mines d’uranium abandonnées qui empoisonnent nos terres et nos eaux, à l’extraction de charbon, la fracturation, les oléoducs, et la profanation de nos sites les plus sacrés, nous sommes devenus plus réceptifs à cette maladie et à d’autres, à cause du capitalisme et du colonialisme.

Nos prophéties ont mis en garde contre les conséquences de la violation de Notre Mère la Terre. Nos manières d’être nous ont guidés à travers des fins du monde précédentes. Nous écoutons maintenant plus que jamais nos ancêtres, la terre, et ceux qui apportent notre médecine. En ces temps, nous prenons soin les uns des autres plus farouchement que jamais. Nous vivons le temps de la prophétie. Les systèmes qui ont précipité cette désharmonie ne nous conduiront pas à travers ou hors d’elle, ils créeront seulement de nouvelles chaînes et de nouvelles cages. Tandis que la maladie ravage nos terres, nous devons nous demander, « continuerons-nous à permettre à cet empire de récupérer ? »

J’ai grandi dans un monde de ruines. Nous avons des enseignements et des prophéties sur les fins de cycles, mais c’est comme ça a toujours été ici, dans ce monde d’harmonie, de désharmonie, et de destruction. Les Diné l’enseignent comme Hózhóji et Anaaji.

Un monde anticolonial et anticapitaliste existe déjà, mais, comme dit mon père, « il n’y a pas deux mondes, il n’y a qu’un monde avec beaucoup de voies. » Les voies coloniale et capitaliste sont linéaires à dessein. Dans cet espace entre l’harmonie et la dévastation, nous écoutons ces cycles, nous écoutons la terre, et nous conspirons. Si la voie de l’avidité, de la domination, de l’exploitation et de la compétition n’accepte pas qu’elle a touché sa fin, alors c’est à nous de l’assurer.

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