Vanessa Joseph et Clarisse Da Silva
Jeunesse Autochtone de Guyane
12 octobre 2019
Journée Annuelle de Solidarité, CSIA-nitassinan
Transcription et photos Christine Prat

Vanessa Joseph et Clarisse Da Silva, représentantes de la Jeunesse Autochtone de Guyane, ont participé à une table ronde, modérée par la journaliste Anne Pastor, au cours de la Journée Annuelle de Solidarité du CSIA-nitassinan, cette année consacrée au thème des Femmes Autochtones en lutte.

 Anne Pastor : […] En Guyane avec le fameux projet de Montagne d’Or, qui pourrait affecter de manière définitive le territoire, ce territoire français.

Vanessa Joseph : C’est un projet qui est « abandonné », avec de gros guillemets…

Anne Pastor : Justement, avec de gros guillemets. Alors, est-ce qu’il y a des gens qui ne connaissent pas encore le projet ? Vous voulez un petit rappel, sur le projet ?

Vanessa : Le projet Montagne d’Or est un projet de méga mine, donc large comme deux stades de France, suffisamment profond pour y mettre la Tour Eiffel sans qu’on en voie le sommet. Ils avaient l’intention de le faire en Guyane. Finalement, la population s’y est opposée, en tous cas une partie de la population. La pression nationale a fait que le Président est revenu sur sa décision et a décidé de mettre fin à ce projet, en tous cas le projet en l’état. A l’ONU, il y a quelques semaines, ils ont confirmé l’abandon de ce projet. Mais en fait, c’est plutôt une transformation du projet. Le projet en lui-même n’est pas validé, je pense dans sa dimension, dans tout ce qui avait été prévu pour le fonctionnement de cette mine. Aujourd’hui, on nous propose d’autres types de mines, des mines plus ‘vertes’, les mines les plus propres possibles, sachant qu’il n’y aura jamais de mine propre, elle rejettera toujours des déchets. Une mine reste une mine. Après, il y a des gens qui travaillent dans ce domaine, on verra où tout cela va nous mener. En tous cas, le projet Montagne d’Or n’est pas abandonné, il est juste abandonné en l’état, il va juste être modifié, c’est tout ce qu’il faut retenir.

Anne Pastor : D’autant que votre nature est déjà malmenée…

Vanessa : Oui, en tous cas, je suis sûre qu’il y a aussi des choses dont nous ne sommes pas au courant. Entre le bois, l’or et d’autres minerais qui font l’objet de recherches actuellement… Et il y a aussi l’orpaillage illégal, donc l’utilisation du mercure par les garimpeiros, des orpailleurs illégaux qui sont d’origine brésilienne pour la plupart. Il y a aussi des Surinamiens, il y a aussi des Français qui y participent. Donc, il y a utilisation de mercure, qui est rejeté dans les eaux de Guyane, donc les principaux fleuves sont touchés.

Anne Pastor : Ça a quand même des conséquences sur la chasse, la pêche, et forcément sur la santé des Amérindiens et des enfants.

Vanessa : La vie dans les villages tout court aussi. On sait très bien que la consommation de mercure porte atteinte à la santé de la personne, que ce soit des adultes ou des enfants, et des enfants à naître. L’orpaillage illégal amène aussi toutes sortes de trafics, des trafics d’humains, de la prostitution. Il n’est pas rare de voir des cas de prostitution dans nos forêts, des assassinats, des échanges de tirs avec les villages. J’ai pu le voir dans un reportage il y a quelques années, ils appelaient la Guyane le ‘Far West français’. Et dans l’intérieur, il est vrai que ça y ressemble plus ou moins. Pas totalement, ce n’est pas exactement ce qu’on essaie de vous faire croire, mais quand on vous dit qu’il y a des échanges de tirs, que certains villages vivent dans la crainte, c’est vrai.

Anne Pastor : Alors, effectivement, un climat d’insécurité et de violence qu’on trouve aussi, malheureusement, au Brésil, en Amazonie…

[Intervention de Daiara Tukano, voir article]

Anne Pastor : Est-ce que vous voulez rebondir sur la dernière phrase de Patricia Gualinga ? Qui dit que ce concept de forêt vivante pourrait être une alternative, en tous cas une idée à résoudre les conséquences du changement climatique, et en ce sens, le message qu’elle prononce à chaque conférence, est un peu celui-là. Aujourd’hui elle s’adresse au monde entier. En tous cas, on voit bien que, à travers l’importance des Droits de la Nature, de la Terre, et finalement toute la question toute la question identitaire qui est posée. Et, en particulier, pour vous, les Kali’na, vous qui êtes là depuis près de 10 000 ans sur votre terre d’origine, qui essayez de continuer à vivre avec votre mode de vie, votre langue, vos croyances, vous êtes engagés depuis quelques décennies dans un processus de revendications territoriales, de reconquête, même, de la terre,

Clarisse Da Silva : Là, on parle beaucoup de droit à la terre, de la relation avec la terre, donc c’est un sujet sensible en ce moment. Je pense que l’on va plus parler de la relation que nous avons avec la tradition et les cultures, donc la question identitaire en soi. Je suis artiste Kali’na, dans mon travail artistique je traite beaucoup de la question la question identitaire, la question de l’Autochtonie, de la relation que les jeunes ont avec les traditions, les coutumes, etc. Aujourd’hui, il faut savoir qu’en Guyane il y a une perdition de la culture. Je fais partie de cette génération qui n’a pas grandi avec la culture. C’est la conséquence des ‘homes Amérindiens’ – les Pensionnats. C’était une éducation religieuse obligatoire. Ma mère y est allée, toutes mes tantes et mes tontons y sont allés. Il y avait une évangélisation, une éducation à la française, il fallait chanter ‘La Marseillaise’, les langues Autochtones étaient interdites, et c’était toujours le cas il y a quelques années, c’est ce que nous avions dénoncé également. En internat ou en famille d’accueil, c’était pareil. Je pense, qu’inconsciemment, ma mère regardait ce processus selon lequel il ne fallait pas parler notre langue, donc nous avons grandi avec ça, nous ne parlons pas la langue Kali’na. Maintenant, nous faisons un travail là-dessus, nous essayons d’apprendre de plus en plus quelques mots, quelques phrases, ce qui n’est déjà pas mal. Mais avec le choc des sociétés, le mode de vie à l’occidentale, le développement, je ne suis pas en tenue traditionnelle, je porte des Airforce One, un pull à la mode, je parle français, je vais à l’école. Donc ma relation avec la tradition est un peu compliquée, je n’ai pas été tout de suite intéressée par tout ce qui était culturel. J’ai commencé à me revendiquer à l’âge de treize ans, puisque c’est quand j’ai commencé mon travail artistique. Ensuite, lorsqu’il y a eu des mouvements sociaux et une très forte revendication identitaire, ça a engagé les jeunes, d’où la visibilité de la Jeunesse Autochtone de Guyane. Maintenant nous essayons de nous réapproprier toute cette relation. Aujourd’hui encore il y a très peu de jeunes qui font l’effort d’aller en forêt, ils sont très peu intéressés. J’ai été l’une des premières jeunes qui suis allée en forêt avec Jean-Jacques Agevi, qui est un très grand artiste Kali’na, qui fait un travail de réappropriation. Et il faut ensuite pouvoir garder en tête et transmettre aux jeunes tout ce travail culturel. C’est vrai qu’aujourd’hui c’est très compliqué, il y a encore des histoires à apprendre, en tant que jeune, j’en apprend tous les jours.

Anne Pastor : Alors il faut quand même préciser, pour ceux qui ne connaissent pas bien ce sujet-là, c’est-à-dire qu’effectivement, avec la scolarisation massive, en particulier pour ceux qui étaient à l’intérieur, les 3000 Wayana ou Wayampi, ils devaient quitter, en fait, leur famille dès l’âge de onze ans pour aller sur le littoral, donc ils ne pouvaient pas suivre l’enseignement traditionnel, et, au bout du compte, c’est une génération qui est aussi en perte de repères. On parle beaucoup de drogue, d’alcool, mais aussi et surtout, et vous en avez beaucoup parlé, de taux de suicides absolument énormes, de vingt fois supérieurs à la moyenne nationale. Je crois que depuis le mois de janvier, dans la communauté Wayana, ils ne sont que 1500, et il y a quand même eu 13 suicides. C’est absolument énorme et, effectivement, peut-être que cette reconnexion, et ce travail que vous faites à travers l’art, permet de retrouver un peu toutes ces valeurs traditionnelles et de savoir qui ont est.

Clarisse : Effectivement. Aujourd’hui, la particularité de notre génération c’est qu’elle vit entre deux mondes et elle doit faire avec ces deux mondes. C’est-à-dire que nous devons pouvoir avancer avec notre identité, donc avec les coutumes, pour garder une connexion avec nos Anciens, avoir une connexion avec notre identité. Mais il faut aussi savoir s’intégrer, on parle beaucoup d’adaptation, c’est ce que nous faisons depuis des années. C’est souvent difficile, on le voit avec les suicides de jeunes Amérindiens. Ils sont ne sont pas habitués à la vie en ville, ils sont complètement en terre inconnue. C’est quelque chose que j’ai connu moi-même, je vis depuis un an en métropole, c’était très compliqué. C’est un autre mode de vie, nous sommes loin de la famille, loin du cocon familial. Heureusement, j’avais mes sœurs avec moi. Mais imaginez des jeunes qui partent tous seuls, c’est déjà difficile à Cayenne, alors imaginez, en France métropolitaine ! Et on parle aussi beaucoup de discrimination. Moi, j’étais en prépa artistique, j’ai voulu développer tout ce travail artistique autour de la culture et de la tradition, et c’est vrai qu’au cours de cette année, même si je me suis rendu compte, un peu trop tard à mon goût, ce qui a développé mon mal-être c’est le fait qu’on ait voulu contrôler mes messages, qu’on ait voulu contrôler cette quête identitaire. Certaines fois, on ne voulait pas que je fasse certaines choses, on voulait que je retire des symboles Kali’na de certaines productions, on voulait complètement déformer des dessins. C’était déjà assez violent, donc, si moi je l’ai vécu comme ça, et pourtant il y a pire, on peut se demander comment ça doit être pour des jeunes qui sont sans repères.

Anne Pastor : Finalement, ce que vous revendiquez c’est une identité propre, un droit aussi à la différence, d’être vous-même dans cet Etat français…

Clarisse : Oui !

Anne Pastor : Oui, mais il faut quand même le réaffirmer, parce que ce n’est pas forcément évident. Quand on suit, par exemple, des cours au collège et qu’on entend parler de TGV, d’autoroutes, on a l’impression qu’effectivement, toute l’identité Autochtone est totalement mise à part. exclue…

Clarisse : En fait, en Guyane, c’est autre chose. C’est une terre pluriculturelle, tout le monde vit en communauté. Nous sommes conscients de ce qu’il y a des Peuples Autochtones, qu’il y a des Peuples Bushinengués, des communautés créoles, haïtiennes, brésiliennes, etc. Nous vivons au quotidien avec ces différences, mais nous ne les voyons pas, ces différences. Un sujet sur lequel je travaille beaucoup aussi, c’est la manière dont l’ancienne génération vivait la Guyane et dans laquelle, maintenant, la nouvelle génération grandit. Avant, on voyait qu’il y avait d’un côté les Créoles, les Amérindiens de l’autre. Aujourd’hui, c’est un peu différent. Nous allons à l’école avec tout le monde, dans ma classe il y a des Créoles et des Brésiliens, des Bushinengués et des Hmong, et nous ne voyons pas nos différences. Je suis amie avec des Créoles, nous parlons facilement des problèmes politiques. Nous n’avons pas la même vision que la génération d’avant. Nous avons plus de facilités pour communiquer, et nous disons souvent que c’est quand la nouvelle génération va reprendre le flambeau que ça va mieux se passer. Et à l’école, j’ai toujours eu la chance d’avoir des professeurs qui nous faisaient des cours sur l’histoire de Guyane, qui nous poussaient à valoriser nos différences, valoriser nos cultures, donc, sur ce plan, nous avons été très bien encadrés. Je parle plus de la France métropolitaine où c’est difficile, mais en Guyane on commence à faire un travail de valorisation des cultures et je trouve que c’est une bonne chose, car en Guyane je ne me sens pas forcément mal. Ce n’est pas comme en métropole.

Anne Pastor : Effectivement. Et puis il y a des projets qui sont initiés, comme le projet SAWA [Savoirs Autochtones Wayana et Apalaï], qui est un projet qui a été initié par des anthropologues, le Quai Branly avec les Wayana, qui effectivement concerne leurs objets, parce que malheureusement, ces cinquante dernières années tous leurs objets ont disparu, ont été volés ou ont été vendus. Et donc, aujourd’hui, ils vont les voir dans les musées et font tout un travail de réappropriation de leur culture et de leur identité.

[Intervention de Daiara Tukano, voir article]

 

Daiara Tukano, du peuple Tukano du Brésil, était l’une des invitées Autochtones de la Journée Annuelle de Solidarité organisée par le CSIA-Nitassinan. La table ronde à laquelle elle a participé, avec Vanessa Joseph et Clarisse Da Silva, de la Jeunesse Autochtone de Guyane, était modérée par la journaliste Anne Pastor. Le texte ci-dessous est une transcription de l’intervention de Daiara.

Christine Prat

Daiara Tukano   English
12 octobre 2019
Transcription et photos Christine Prat, CSIA
Also in English on Censored News

Anne Pastor : Disons, qu’il [Bolsonaro] a pris très, très clairement position. Je crois que durant la campagne, il disait même que les lois de protection de la forêt représentaient un obstacle au développement économique du pays, et il avait promis de les faire tomber. On a l’impression quand même qu’il tient parole.

Daiara Tukano : Ce monsieur, au moins, paraît très engagé à réaliser ce qu’il dit, ce qui n’était pas nécessairement le cas du gouvernement antérieur. Mais l’Amazonie a toujours été cible de toutes sortes d’attaques et la lutte des Peuples Autochtones au Brésil est une lutte permanente depuis au moins 519 ans. Et ce n’est pas un gouvernement qui puisse être plus violent que l’autre, c’est une violence permanente. Cependant, en ce moment au Brésil, il faut bien dire que la violence s’institutionalise, par le discours du chef de l’Etat, qui apporte une espèce d’impunité à tous les crimes qui sont commis sur nos territoires et contre notre population.

Anne Pastor : Il est même extrêmement clément concernant l’abattage, par exemple, forestier !

Daiara : Oui ! Je ne sais pas personnellement si c’est intéressant de parler directement de ce monsieur comme ça, au début de cette discussion, parce que le mouvement Autochtone a beaucoup plus de choses à dire. Également, pour cette table ronde, qui a pour titre ‘Notre corps, Notre territoire, Notre esprit’. ‘Notre Territoire’, c’était le titre de la première marche des femmes Autochtones, que nous avons réalisée au mois d’août à Brasilia et qui a marqué un moment très important où les femmes sont sorties d’un peu partout dans le pays. On a rassemblé 1500 femmes de partout pour marcher, face à cette situation qu’est le gouvernement actuel.

Evidemment, l’Amazonie a toujours été en danger, elle a été en danger depuis 1500, au moins. Sur nos territoires, c’est le point de vue de l’exploitation de ce qu’on appelle les ressources naturelles et aussi la continuité d’une relation coloniale, raciste, qui continue à essayer d’envahir tous nos territoires d’existence, non pas seulement les territoires physiques, la terre elle-même, mais aussi à nier l’existence des Peuples Autochtones. Donc, c’est quelque chose de bien plus complexe que seulement le gouvernement Bolsonaro, et c’est clair qu’en ce moment, on est arrivé à une situation de déboisement qui met la forêt en danger imminent. Il y a encore une vingtaine d’années, une trentaine d’années peut-être, quand nous avons eu l’Eco 92 à Rio de Janeiro, il y avait déjà 1000 alertes, montrant que la déforestation en Amazonie avait une limite, avant que la forêt ne commence à s’affaiblir d’une façon irréversible, limite qui à l’époque était de 20% de déforestation. Et seulement cette année, avec le gouvernement Bolsonaro et avec cette garantie d’impunité des grands fermiers, des grands propriétaires terriens, et la promesse d’une exploitation minière en Amazonie et aussi l’exercice de tentatives de flexibiliser tous les droits environnementaux pour permettre que cette exploitation soit faite, on a déjà dépassé de loin les 20% qui tenaient la forêt debout, et ce n’est pas pour rien qu’elle commence à brûler un peu partout, de façon criminelle, et ce n’est pas pour rien non plus que les grandes industries, le grand lobby de l’agro-business et de l’exploitation minière font de plus en plus pression sur le gouvernement – c’était aussi le cas pour les gouvernements antérieurs – pour construire un discours où, encore une fois, le progrès économique se fiche absolument de la vie des Peuples Autochtones, de la vie de la forêt, et de tout ce qu’il y a dedans.

Anne Pastor : Mais il me paraissait important de recontextualiser et de préciser qu’effectivement, depuis 2018, le processus s’est accéléré, et qu’on est aujourd’hui véritablement en situation de danger. […]

[Intervention de Vanessa Joseph, de la Jeunesse Autochtone de Guyane. Voir article.]

Anne Pastor : Alors, effectivement, un climat d’insécurité et de violence qu’on trouve aussi, malheureusement, au Brésil, en Amazonie…

Daiara Tukano : Donc, comme je le disais auparavant, cette histoire existe depuis longtemps, c’est l’histoire de la colonisation, l’histoire du génocide, et dans la région où mon peuple habite à la frontière entre le Brésil, la Colombie et le Vénézuela, c’est aussi un grand couloir pour toutes sortes de trafics. C’est aussi un espace qui est très ciblé par le gouvernement actuel pour l’exploitation minière, principalement près du Pico Da Nablina, pour l’exploitation de niobium, un métal qui, apparemment, coûte très cher. Mais tout ce contexte d’exploitation a toujours été mis en avant, dans une vision de développement. Et il faut dire que la colonisation est accompagnée presque forcément d’un racisme qui est devenu structurel dans notre société et qui crée plusieurs mécanismes pour affaiblir nos sociétés Autochtones, la société des peuples-racine dans nos territoires. Ça inclut la négation de notre identité, de notre culture, de nos langues, l’absence de l’Etat dans toutes les politiques publiques possibles. Donc ce sont toujours des populations qui ont un très mauvais accès à l’éducation, à la santé, aux transports, à la communication, etc. et qui continuent à être invisibilisées délibérément par les médias et ceux qui les tiennent, au pouvoir, au gouvernement, et par les intérêts des grandes industries. Dans le cadre de mon travail, on voit que c’est le cas partout dans le monde, que ce soit en Sibérie, où la forêt était également en flamme et où il y a aussi des territoires attaqués par l’orpaillage illégal, etc., au Canada ou aux Etats-Unis où c’est la même situation en ce qui concerne l’exploitation du pétrole, c’est la même situation un peu partout et c’est la continuité du génocide, du colonialisme et de ce racisme qui est absolument tabou dans une société qui se croit globalisée et post-coloniale. Pour nous, notre réalité est bien différente de ce que les gens apprennent à l’école et même à l’Université. Personne n’en parle, donc il faut que nous en parlions.

Anne Pastor : C’est pourquoi je disais au début de notre conférence qu’il est temps de vous écouter, d’autant plus que vous êtes une sorte de laboratoire d’idées pour demain, ne serait-ce que par rapport à cette Amazonie. Quand même, la sauver c’est l’avenir aussi de notre planète et vous vous positionnez tous, Amérindiens, mais aussi les Peuples de Sibérie dont vous parlez comme les gardiens de cette nature. Il faut repenser le monde et repenser son rapport à la nature.

Daiara : Moi je trouve absolument cynique cette idée d’aujourd’hui, au XXIème siècle, de chercher partout et d’inviter des Autochtones pour leur demander comment on sauve la planète. Et je n’aime pas non plus ce mot ‘Amérindiens’, parce que l’Inde c’est sur un autre continent, et puis on peut utiliser d’autres mots. Donc, si, aujourd’hui dans les territoires Autochtones on a quand même la présence de 80% de la biodiversité de la planète, ce n’est pas pour rien, c’est à cause de notre culture, de notre relation au monde, et du fait que nous nous considérons comme faisant partie de la nature, et non pas que la nature nous appartienne. Il est question d’une série de valeurs – on peut utiliser un gros mot – d’une épistémologie qui est différente dans cette relation avec l’univers et si nous continuons d’exister en tant qu’Autochtones, c’est justement parce que nous avons une pensée, une identité, une relation avec le monde qui subsistent, qui continuent. Nous n’avons pas totalement été colonisés, donc le colonialisme, tant pis pour vous, n’est pas totalement réalisé, nous continuons à résister, notre existence est notre résistance, et ce que nous avons à partager, c’est justement peut-être la possibilité d’autres valeurs. Je trouve très intéressant que les gens aient commencé à discuter, enfin à réfléchir à la colonisation, puisque nous sommes tous enfants de la colonisation. Nous n’allons pas ici questionner l’histoire, nous n’allons pas revenir en arrière, ce n’est pas possible. Mais, quand on parle de pensée ‘décoloniale’, on dénonce beaucoup de violence, mais on fait très peu de propositions. Donc, personnellement, je suis plutôt partante pour le contre-colonialisme, et quand je dis ‘contre-colonialisme’, c’est partager d’autres valeurs, celles qui sont présentes dans nos sociétés. Ça ne veut pas dire que ce partage passe par l’imposition d’autres idées, mais plutôt par le partage de relations de vie. Sinon on va dire ‘Ah, maintenant il y a les Autochtones qui veulent coloniser l’Europe’, mais il n’y a pas grand-chose qui nous intéresse par-là, c’est un territoire plutôt infertile. Ce qui est fertile, par contre, c’est la curiosité des gens et le désir de vouloir faire quelque chose de différent. Et, ce que je peux dire en ce qui concerne la forêt, par exemple – j’en parlais en Angleterre avec nos alliés d’Extinction Rebellion qui font un peu de bruit un peu partout – c’est que c’est nécessaire et très important de mettre des posters et de dénoncer les violences, mais une forêt ça ne se plante pas et ça ne se tient pas debout avec des posters, il n’y a pas de planète B. C’est important de s’aimer, c’est important de planter une forêt, et pour planter une forêt, il faut avoir un compromis de vie. Une forêt se plante, au minimum, pour commencer à naître dans une vingtaine d’années. Donc, ce n’est pas un mouvement pour le week-end, ce n’est pas quelque chose dont il suffit de faire un joli film, un reportage ou une belle photo et dire qu’on donne du soutien à la lutte des Peuples Autochtones, il faut vraiment mettre les mains et les pieds sur terre et planter et se dédier à s’aimer et à maintenir la vie sur cette planète, puisque nous sommes interdépendants.

Anne Pastor : Finalement vous êtes d’accord avec moi, vous n’employez pas les mêmes mots, mais vous êtes exactement d’accord avec moi dans ce que j’ai dit précédemment. Donc parlons justement de ces droits à la nature et je voudrais vous parler de l’Equateur, qui est un pays extractiviste mais qui a été le premier à avoir inscrit dans sa Constitution les Droits de la Nature. Les Sarayaku, un peuple originaire, Kichwa, veulent aller plus loin : en juillet 2018 ils ont présenté la Déclaration de la Forêt Vivante et ils souhaitent que les Nations Unies reconnaissent cette nouvelle catégorie dans son programme pour l’environnement. Depuis plus de vingt ans, cette petite communauté, de 1200 habitants, lutte aussi pour défendre son territoire, sa biodiversité, son patrimoine immatériel, contre l’intrusion des exploitations en tous genres et aujourd’hui il est un modèle et se concentre désormais à promouvoir la cosmovision dans laquelle, vous le disiez si bien, la forêt est vivante, sacrée et doit être protégée au même titre que les être humains, comme en témoigne d’ailleurs le portrait de Patricia Gualinga [photo ci-dessus Ch.P.], écoféministe, leader du Peuple Kichwa de Sarayaku, que nous allons peut-être découvrir. En attendant de découvrir ce portrait, j’imagine que vous connaissez le Peuple Kichwa de Sarayaku, que vous connaissez aussi les positions de Patricia Gualinga qui présente d’ailleurs ce concept un peu partout, et que vous partagez ses idées. En ce moment on a l’impression qu’enfin une solidarité, et l’émergence de groupes de femmes, d’ailleurs, comme souvent, qui revendiquent ces droits à la nature.

Daiara : Je pense que très souvent, dans le peuple, la relation que nous avons avec la nature c’est une relation avec notre Mère. Donc, forcément cette Nature est une femme, puisqu’elle porte dans son ventre toute la vie, et quand les femmes marchent, nous marchons toujours accompagnées de cette grande famille, de toute cette forêt, de tout ce ventre qui nous donne origine. Dans le cas de certains pays d’Amérique du Sud, ou di continent américain, ils ont la plus grande population Autochtone, c’est le cas de l’Equateur, de la Bolivie et du Mexique. Mais il faut dire qu’au Brésil, la population Autochtone est considérée comme moins de 1% de la population nationale, par contre chez eux ça surpasse les 40%, ça représente pas mal de monde, ce sont des relations territoriales et identitaires différentes, ce n’est pas pour rien qu’en Equateur et en Bolivie ils ont tout de même réussi à créer un mouvement qui a permis la création d’Etats plurinationaux, c’est-à-dire des Etats nationaux qui reconnaissent plusieurs nationalités et parmi ces nationalités les Nations Autochtones. Au Brésil, par contre, l’idée qu’un Peuple Autochtone puisse être une nation est considérée comme une menace pour l’Etat National. Donc, ça implique justement toute la violence qui se produit, on nous considère comme des terroristes. C’est très simple : si on est Autochtone, on est déjà né comme criminel, pour cette vision qui nie tous nos territoires. Un territoire est identitaire, un territoire a des pensées. Et je voulais enfin, dans cet hommage à cette guerrière d’Equateur, aussi affirmer toute notre solidarité pour ce qui se passe en Equateur en ce moment. Il faut les accompagner sur les réseaux sociaux, soutenir ce qui se passe, parce qu’il y a une foule qui part d’une situation très extrême de violence, à cause justement des grandes industries et tout ce qui va avec, le travail esclave, la violence sexuelle, la négation de la culture et du territoire. Et ce sont des gens qui encore une fois sont en train de bousculer – car ce n’est pas la première fois – leur gouvernement, et ce gouvernement, encore une fois, répond d’une façon extrêmement violente, avec des assassinats, même de petits enfants, dans la rue. Donc tout soutien relatif à cette grande guerrière…

[Intervention de Clarisse Da Silva. Voir article.]

Anne Pastor : […] Quand vous entendez Clarisse parler de cette nouvelle génération, parler justement de ce travail artistique, identitaire, au Brésil je crois que vous travaillez aussi dans cette direction, dans votre webradio…

Daiara Tukano : Oui, je suis coordinatrice d’une radio web Autochtone, qui s’appelle Ràdio Yandê, sur Internet, nous avons un portail d’informations qui transmet 24 heures sur 24, en plus d’articles. Nous essayons de partager un peu ce qui se passe dans le Mouvement Autochtone, non seulement au Brésil mais aussi autour monde. Nous considérons que l’information et la communication est le principal territoire de dispute que nous avons par rapport à toutes ces relations de pouvoir en société. Et pouvoir les aborder autrement est toujours très intéressant.

Anne Pastor : Finalement, puisque toutes les trois vous partagez ce point de vue, vous êtes là aujourd’hui parce que vous appelez à la résistance et en particulier à la solidarité.

A la fin des interventions, Daiara a expliqué qu’elle était venue avec un message à exprimer, mais que les questions posées ne lui avaient pas permis de le faire. Il a donc été décidé de supprimer la pose, afin qu’elle puisse transmettre son message.

Daiara : Je pense que c’est intéressant de construire les choses ensemble, principalement avec les filles, parce que, si nous venons jusque-là, pour se trouver des espaces d’autoreprésentation et d’autonomie, nous n’avons pas vraiment besoin d’interlocuteur, nous pouvons parler directement, nous pouvons poser nos questions et nous pouvons passer les messages que nous sommes venues ici pour passer.

Donc je vous remercie beaucoup pour cette opportunité. Je me présente encore une fois : Je suis Daiara Tukano, mon peuple habite à la frontière entre le Brésil, la Colombie et le Vénézuela. C’est un territoire qui est tout au centre de l’Amazonie et qui fait face à toute une situation, un contexte de violence qui ne s’arrête pas depuis 1630, quand les premiers Portugais ont remonté le Fleuve Amazone extrêmement vite. Et cette colonisation est venue d’une façon hyper dure, hyper forte. Il a toujours été question d’exploiter cette vision de l’Eldorado qui ne s’arrête jamais, même sur les Montagnes d’Or, et aussi de l’imposition d’une culture qui continue jusqu’à aujourd’hui à nier notre identité, nier nos savoirs, à démoniser nos pratiques culturelles. Et donc, le mouvement Autochtone au Brésil, nous considérons qu’il a toujours existé.

La génération de mes parents, par exemple, fait partie de cette génération qui, pendant les années 1960, 1970 et 1980, a réussi à construire, sur le plan constitutionnel, des droits affirmés et reconnus comme des droits originels qui passent avant tous les autres droits et qui sont inviolables, qui devraient être inviolables. Cependant, l’Etat Brésilien – pas seulement la République fédérative du Brésil, mais aussi l’Empire, la Couronne portugaise auparavant, qui avait aussi des politiques par rapport aux Peuples Autochtones – n’a jamais respecté aucun accord, aucun traité, ni même leur propre Constitution. Donc, aujourd’hui, plus que jamais, nous faisons face à une situation d’une violence qui s’accroit chaque jour.

Notre pays est énorme et il n’est pas question seulement de l’Amazonie. Bien sûr, je viens d’un Peuple qui vit en Amazonie, mais la question Autochtone ne se limite pas à l’Amazonie. Le Brésil est un pays qui est énorme, presque continental, et la population Autochtone est partout. 40% de la population Autochtone est en dehors d’Amazonie aujourd’hui, parce que c’est une population qui a perdu sa forêt, qui a perdu son territoire, volé, envahi, et qui continue à voir toute sa population violentée jour après jour par les mêmes protagonistes de ces violences, qui sont l’agro-industrie, l’exploitation minière et, encore plus, en ce moment, sous ce gouvernement, qui se déclare ouvertement d’extrême-droite, et qui vient avec un discours pseudo positiviste intégrationniste, c’est-à-dire un discours d’assimilation vis-à-vis des cultures des Peuples-racine. Nous avons, par exemple, en ce moment, une Ministre des Droits Humains, au Brésil, qui est absolument anti Droits Humains, et qui utilise un discours très religieux – elle est aussi représentante d’une église néo-pentecôtiste, évangélique, qui continue à faire aujourd’hui, au siècle XXI, un discours qui démonise des pratiques traditionnelles, qui allègue des violences qui n’existent pas, comme par exemple l’infanticide, et qui dit que, pour le bien de la famille traditionnelle et chrétienne, il faut qu’on s’intègre à cette société.

Donc, le discours n’a pas changé depuis 519 ans et la violence ne fait que croître, et l’invisibilisation, la négation de nos identités, de nos territoires, paraît quelque chose de perpétuel. C’est pour ça que le mouvement a toujours existé et c’est pour ça qu’il est évident qu’en fait, la Démocratie, pour nous, n’a jamais été là. Au Brésil, je ne sais pas où elle existe cette supposée démocratie. La démocratie existe seulement pour ceux qui ont le pouvoir économique, elle n’a jamais existé pour les Peuples Autochtones. Donc, nous n’avons pas de raisons de faire confiance à l’Etat ou à n’importe quelle institution que ce soit, qu’elle soit nationale ou internationale, pour réussir à avoir le respect et la garantie des droits que nous demandons en tant qu’êtres humains. Parce que nous SOMMES des êtres humains. Et notre humanité est constamment violée de toutes les façons possibles. C’est pour cela que notre mouvement, aujourd’hui, est un mouvement qui réclame que les droits qui ont été défendus par la Constitution soient respectés. Mais, dans le cas où ces droits ne sont pas respectés, nous les implémentons nous-mêmes.

Donc, pour ça, personnellement, j’ai l’habitude de dire que c’est très beau la pensée ‘décoloniale’, mais décoloniser, c’est plutôt au colonisateur de le faire. Nous, nous contre-colonisons, nous réaffirmons notre identité, nous reconnaissons notre territoire, nous nous maintenons sur notre territoire, sur tous nos territoires, malgré toutes les violences. Et, le plus grand exemple, c’est justement celui des Peuples qui sont en dehors de l’Amazonie. Ce sont des Peuples qui, à un certain moment de leur histoire, ont eu leur territoire volé, volé par l’Etat, vendus arbitrairement par l’Etat brésilien aux propriétaires terriens. C’est le cas des Peuples Guarani, par exemple, qui aujourd’hui se trouvent en situation de reprendre leurs territoires. Donc, si vous allez sur Internet, vous allez trouver pas mal de médias qui vont dire ‘Il y a les Indiens qui envahissent des propriétés privées de pauvres agriculteurs.’ Bien sûr, ce sont des propriétés privées qui ont été acquises par des familles ou données par l’Etat, ou vendues pour presque rien, à prix de bananes, sans considérer que ces territoires étaient habités par des populations originales et qui ont perpétué pour ces Peuples-racine la situation d’esclaves, la situation de violences sexuelles, de violence psychologique, d’aliénation de nos identités. Donc, on reprend.

Nous reprenons nos territoires, nous réaffirmons notre identité, et si les institutions, si les lois des allochtones, des Blancs, n’ont jamais été de vraies lois, qu’est-ce qui légitime les choses ? Moi, je ne le sais pas. Elles n’ont jamais été respectées, ce sont des lois pour rien, juste sur le papier. Mais personne ne respecte leurs papiers. Donc, ce que nous faisons, c’est que nous travaillons pour continuer à être vivants. Si quelque fois c’est nécessaire de défendre notre territoire avec notre corps, nous le faisons.

Très bientôt, le mois prochain, une délégation de l’articulation des Peuples Autochtones du Brésil, constituée des principaux représentants des organisations Autochtones régionales – il y a cinq régions au Brésil –  une délégation de quinze personnes, viendra en Europe, dans plusieurs villes, y compris Paris, pour parler d’une campagne de désinvestissement des grandes entreprises et des grands lobbies internationaux, notamment du soja, de la canne à sucre, du bœuf et de l’exploitation minière, et pointer du doigt, montrer, retirer le masque des banques qui sont en train d’investir dans le génocide, puisque c’est l’industrie de la mort, alerter la population européenne sur VOTRE responsabilité, concernant toutes les violations des Droits Humains qui subsistent et continuent sur nos territoires, parce qu’il est question de responsabilité. Si l’Europe continue à être le principal investisseur de ceux qui promeuvent toutes sortes de violences, et si vous êtes encore cet espace qui se dit à l’origine de cette supposée démocratie, il faudrait que nous travaillions ensemble pour la défendre. Défendre la démocratie chez nous, c’est défendre la démocratie au monde. Croire en l’existence des Droits Humains c’est faire que ces Droits soient respectés partout dans le monde et pas seulement chez soi. C’est partout. Donc, si aujourd’hui l’agro-industrie, l’industrie minière, sont en train de tuer des populations entières, de mettre fin à des civilisations, de polluer les eaux de cette planète, tout le monde est soumis aux conséquences de ces violences, nous sommes dans le même bateau et il faut bien que nous travaillions ensemble. C’est le message que je voulais vous transmettre. J’espère que nous pourrons construire, à partir de ce moment, un dialogue véritable, merci à tous.

Au cours de sa réponse à une question du public, Daiara a précisé quelques points. Au sujet de la stratégie de ‘désobéissance civile’ prônée par certains groupes européens, elle a répondu que naître Autochtone, c’était déjà être considéré comme une espèce de ‘terroriste’, et que pour eux, ‘désobéir c’est exister, tout simplement’. Elle a expliqué qu’il y avait dans le monde des groupes de population privilégiés, et que le privilège impliquait des responsabilités. Elle poursuivit en soulignant que la forêt dépendait de l’existence des Autochtones, qui se sentent donc coresponsables, et font leur part du travail. Elle a rappelé que le pays qui tue le plus de défenseurs des Droits Humains et de défenseurs des Droits de la Nature au monde, c’est le Brésil. Les Autochtones sont en première ligne pour défendre la Nature avec leurs vies. C’est dans les territoires Autochtones partout dans le monde que subsiste 80% de la biodiversité de la planète. Daiara fit aussi remarquer qu’il était aussi important d’avoir une diversité culturelle, car la biodiversité est interdépendante de la diversité culturelle.

Michelle Cook, a Diné attorney, was one of the guests of the Annual Solidarity Day of the CSIA-Nitassinan, on October 12th, 2019. She is now preparing a Ph.D. in political sciences at Arizona University, on the, in the USA not separable issues of Indigenous Human Rights, disinvestment and gender. She is founder of the Water Protectors Legal Collective (for those who tried to stop the DAPL in Standing Rock, from February 2016 to April 2017). She is a member of Women Earth and Climate Action Network (WECAN). She has been touring Europe for a campaign (Divest Invest Protect) that aims to put pressure on banks and insurance companies to remove their funds from racist projects, deadly to environment and peoples depending on it.

Michelle Cook  en français
Also on Censored News
October 12th, 2019
Transcription and photos Christine Prat

I think in terms of Divest, Invest, Protect, I don’t consider myself so much a lobbyist as a reality check, and someone who is merely delivering facts and truths. And ultimately, I think that one of the important things we are doing is that we are not there to ask these banks to pity us, we are giving them a very clear warning that their time of dominating this earth is coming to an end.

After the Dakota Access Pipeline, which was a pipeline that over 10,000 people fought, in the heartlands of the United States of America, we were able to achieve, within the Obama administration, a halt to the pipeline. Yet, when the Trump administration came to power, within days that easement was denied and the pipeline was allowed to go through and under the Missouri River. Before that, since August 20, 2016, I had to watch our people being abused. I watched and had to witness and document the dog attacks, the bite marks on the breasts of my peers, on the breasts of the women. I had to sleep wondering whether or not my friends would be murdered. We had to watch as two of our precious Diné tribal members were injured. Their eyes were blinded through the use of so called non-lethal weapons by the police forces.

So, when the pipeline was going through, after the Trump administration took office, for me, for my own healing and my own wellness, I needed to know who paid for this. I had to see them, it was important. I needed to go where they thought they were safe. And they had to see me, so that whatever tears and whatever pains I had to carry was no longer mine, that all that violence and all that trauma that was given to us by their finance, they were going to take it back to them. So, when we visit these banks, I leave that pain with them, I leave that suffering, I leave that trauma within the walls of their institutions. I think that, on a very  basic level, what we are doing is trying to change financial laws, but I think on a much deeper level, what we are doing is really an exorcism of the system, of the spirit of predation, that has existed on this planet, that has disconnected us from who we are, that has alienated us from our inheritance as sacred creatures, sacred children of this earth.

So, I learned a lot from these meetings. From that particular A.G.M., this Annual General shareholders Meeting. As we approached the building, I could see the snipers on the roof. And here we are, Indian women. What have we done? Why do we need a sniper on our head? What more did we have than my feathers and pollen, and the medicine? So, I went to that meeting with those guns on us, and so did those women. And we were watched and we were followed by maybe security officers. Every time I went to the bathroom I was followed, every move I made, I was watched, in that space. Because we had entered into the temple of their god. Because money is the god of the colonialists. It has taken the place of the sacred. So, instead of chants you hear corporate songs, instead of seeing the sacred symbols of life you see their corporate image. This is a reverse prayer. When I was in that meeting I felt – a lot of people see that and say “Oh, you must be so brave”, but we are only brave because we have to be, only brave because of necessity, we have to, I have to. And, even though I had these men with guns following me, I had to meditate in there, and say to myself “I am going to do this, I can do this.” I think everyone has moments where you are going to be confronted with something that you feel that you can’t do. But you have to work through those fears, to be able to take the steps that are going to be necessary to save this planet. So, I was the last person to speak at the A.G.M. and as soon as my first colleague was on the stage, the audience was hissing at us, yelling and hissing at us. Immediately, as we entered the stage, despite of the fact that there were more shareholders there who were speaking, as soon as we got on the stage, we felt all this wave of malice and hostility. And the meditation that was required, in the face of that adversity, was very difficult. Because the point is, they are to knock you off so that you can’t communicate the truth. But I understood what was happening and through that meditation, through that prayer, I was able to maintain that calm center and to give them a message to hiss about. So, I think the process of taking women into those institutions is on its own an act of exorcism, because I think the very presence of Indigenous women is an act of purification of these temples of this so-called Western Civilization.

What I think is unique about the campaign and the message we carry as Indigenous women within this divestment movement, is that it’s not just about taking money from that bad bank and placing it somewhere else. Centrally, what we are asking is for individuals to question the construction and the abstraction of money itself. We really need to understand the creation story of the banks of Europe in order to understand and to revive, to restore the ancient economic traditions of Indigenous Peoples that can be alternatives and that can heal this climate genocide that we are currently faced with. I think it’s also asking people: “Ask yourself what are your values, what have you been told as your value? Is your value just based on what you earn? Is your value based on your gender? Is your value based on your race? Are you good enough, are we ever good enough? Are we ever whole? Are we ever full?” We are never full in this capitalist system, there is never enough and is that value? What is your value? For us, as Indigenous people, we are taught even before we are born. When the baby is still in the womb, it receives songs, inside, in-utero, it is already encoded with the ancient knowledge of who you are. That is how it works, because when you are removed from your true identity as a sacred being of this universe, you don’t understand your power, and you don’t understand that you are never alone, that you are always connected, that you are always surrounded by your ancestors and by Creation, the elements are your relatives.

And this has been the civilizing mission of the so-called Western Civilization since the cult of Rome began. And it was those papal bulls issued by Pope Alexander Borgia that issued the Doctrine of Discovery that allowed the “Manifest Destiny” theory, to allow the colonization of the entire world, but also here against the tribes of Europe. You just happen to be closer to the seat of the empire, centuries ago. We just happen to be farther away, so we remember the time before the cult of Rome came. But that knowledge and your connections have been removed violently from you, by the Inquisition. That history of colonization, of imperialism, and inherently that racism and that feminicide, is all part of the intersectional forces that are bringing us to that problem that we have now with climate genocide.

So, as Indigenous Peoples we are the guardians of that knowledge of the time before, and that is why it is so important to listen to Indigenous Peoples and to follow their leadership. Because, in order for us to survive, we have to realign, in order for us to survive, you have to heal yourself. We are coming up to the 400th anniversary of the first ships coming to our shores, and now Indigenous Peoples are coming back here, so we see this full circle coming, and I see our presence here as what I hope will be a real awakening for the people of Europe. To re-awaken and to rekindle that sacred spirit that is inside us all, so that we can heal and bring together back what has been broken.

So, I invite you to join us and to really understand that I am not different from you, that we are one, that we are one people. We should not be divided and we have to unite, we have to come together now, there is no more time. I invite you to join and give yourself permission to follow your higher purpose and to find what you can contribute and what you can do to participate in the healing of this earth and to heal what has been wounded through colonization. In terms of the bank work, that kind of the simple part, that is just asking to follow Human Rights. But in order to really shift and transform society, we have to shift and transform you. So, what is it you need, what is it you want to hear, because you are here listening to us, you are all here, why are you here, what is it that you need to hear from us? I want you to ask for that from yourself: to wake up in the morning at dawn – this is what we do and this is maybe a knowledge I give you so that you can reconnect. So, in the morning wake up very early, when the sun is beginning to come up. Be disciplined. Wake up and give what you have, if it’s tobacco or if it’s corn pollen or if it’s corn meal. Offer that to the Earth. And ask for your healing, ask for the Creator to give you the strength and the knowledge. It is through this reciprocity, through this spiritual currency that you can realign and find what true power is. And that is your true inheritance as a sacred child of this universe.

Michelle Cook, avocate Diné [Navajo], était invitée à la Journée Annuelle de Solidarité du CSIA-Nitassinan 2019. Elle a fondé le « Collectif Légal des Protecteurs de l’Eau » pour aider ceux qui avaient tenté d’empêcher la construction de l’oléoduc DAPL, à Standing Rock, de février 2016 à avril 2017. Elle prépare actuellement un doctorat en Sciences Politiques à l’université d’Arizona, sur les questions, indissolublement liées aux Etats-Unis, de Droits Humains Autochtones, de désinvestissement de projets nuisibles et de sexisme. Elle est membre du WECAN (Women Earth and Climate Action Network – Réseau d’Action des Femmes pour la Terre et le Climat) et a effectué une tournée en Europe pour la Campagne intitulée « Divest, Invest, Protect », visant à faire pression sur les banques et les compagnies d’assurance européennes qui investissent dans des projets racistes. Le 12 octobre, au cours de la Journée Annuelle de Solidarité, elle s’est exprimée comme suit.

Michelle Cook  in English
12 octobre 2019
Also in English on Censored News
Traduction et photos Christine Prat

« Je pense qu’en termes de campagne de désinvestissement, je ne me considère pas tant comme une lobbyste, que comme un agent de contrôle de la réalité, et quelqu’un qui ne fait qu’exprimer des faits et des vérités. En fin de compte, je pense qu’une chose importante, dans ce que nous faisons, est que nous ne demandons pas à ces banques d’avoir pitié de nous, mais que nous leur donnions un clair avertissement de ce que leur temps de domination de cette Terre touche à son terme.

« Après l’affaire du Dakota Access Pipeline, un oléoduc combattu par plus de 10 000 personnes, au cœur même des Etats-Unis d’Amérique, nous avions pu obtenir, sous le gouvernement Obama, que la construction de l’oléoduc soit interrompue. Cependant, lorsque le gouvernement Trump est arrivé au pouvoir, en quelques jours cette décision a été niée, et le projet d’oléoduc a été autorisé à continuer, et à passer sous le Fleuve Missouri. Avant cela, à partir du 20 août 2016, j’avais dû voir comment les gens de notre peuple étaient maltraités. J’ai vu, j’ai été témoin, et j’ai fait des rapports sur les attaques de chiens, les traces de morsures sur la poitrine de mes semblables, sur la poitrine des femmes. J’ai dû dormir en me demandant si mais amis ne seraient pas assassinés. Nous avons dû voir deux de nos précieux membres de tribus Diné gravement blessés. Ils ont perdu des yeux à cause de l’utilisation par la police d’armes soi-disant ‘non-léthales’.

« Ainsi, lorsque l’oléoduc a été autorisé, après que le gouvernement Trump entre en fonction, pour moi, pour ma propre guérison et mon propre bien-être, j’ai eu besoin de savoir qui payait pour cela. Il fallait que je les voie, c’était important. Il fallait que j’aille là où ils se croyaient en sécurité. Et il fallait qu’ils me voient, afin que toutes les larmes et toute la souffrance que je devais porter ne soient plus les miennes, et qu’ils reprennent pour eux toute la violence et tous les traumatismes qui nous ont été causés par leurs finances. Alors, quand nous sommes allées dans ces banques, j’ai laissé toute cette souffrance avec eux, j’ai laissé les traumatismes dans les murs de leurs institutions. Je pense que si, à la base, ce que nous faisons est d’essayer de changer les lois de finance, à un niveau beaucoup plus profond, ce qui nous faisons est en fait un exorcisme du système, de l’esprit de prédation, qui existe depuis longtemps sur cette planète et nous a déconnecté de qui nous sommes, nous a aliéné de notre héritage en tant que créatures sacrées, d’enfants sacrés de cette terre.

« Ainsi, j’ai appris beaucoup de ces réunions. En particulier d’une Assemblée Générale Annuelle des actionnaires. Quand nous nous sommes approchées de l’immeuble, je pouvais voir des snipers sur le toit. Et nous étions là, des femmes Indiennes. Qu’avions nous fait ? Pourquoi fallait-t-il un sniper au-dessus de nos têtes ? Qu’avions-nous de plus que mes plumes, du pollen et des herbes médicinales ? Donc, je suis allée à cette réunion avec ces fusils pointés sur nous, et c’est ce qu’ont fait aussi les autres femmes. Et nous étions surveillées et suivies, probablement par des agents de la sécurité. Chaque fois que j’allais aux toilettes, j’étais suivie, chaque geste que je faisais été surveillé. Parce que nous étions entrées dans le temple de leur dieu. Parce que l’argent est le dieu des colonialistes. Il a remplacé le sacré. Alors, au lieu d’incantations on entend leurs chansons affairistes, au lieu de voir les symboles sacrés de la vie, on voit leur image affairiste. C’est une prière renversée. Quand je me suis trouvée dans cette réunion, j’ai ressenti … Beaucoup de gens qui nous ont vu disent ‘Oh, vous devez être si courageuses !’, mais nous ne sommes courageuses que parce que nous devons l’être, courageuses par nécessité, il le faut, il faut que je le sois. Et, malgré ces hommes armés qui me suivaient, j’ai dû méditer et me dire ‘je vais le faire, je peux le faire.’ Je pense que tout le monde a de ces moments où on va être confronté à quelque chose qu’on pense ne pas pouvoir faire. Mais il faut s’efforcer de surmonter ces peurs, afin d’être capable de faire ce qui va être nécessaire pour sauver cette planète. J’étais la dernière à prendre la parole à cette Assemblée Générale des actionnaires, mais dès que ma première collègue fut sur scène, le public s’est mis à nous siffler, à hurler et à nous huer. Immédiatement, lorsque nous sommes montées sur scène, bien qu’il y eût encore des actionnaires qui parlaient, nous avons senti comme une vague de méchanceté et d’hostilité. Et la méditation indispensable, face à l’adversité, fut très difficile. Parce qu’il faut savoir qu’ils veulent vous faire tomber, afin que vous ne puissiez pas dire la vérité. Mais j’ai compris ce qui se passait, et grâce à la méditation et la prière, j’ai pu maintenir un certain calme intérieur et leur délivrer un message qui leur donnait de bonnes raisons de nous huer. Alors, je pense que le simple fait d’amener des femmes Autochtones dans ces institutions est en soi un acte d’exorcisme, parce que je pense que la présence même de femmes Autochtones est un acte de purification de ces temples de la soi-disant ‘Civilisation’ Occidentale.

« Je pense que ce qui est unique dans cette campagne et dans le message que nous portons, en tant que femmes Autochtones, dans ce mouvement de désinvestissement, c’est qu’il n’est pas seulement question de retirer de l’argent de ces mauvaises banques pour le placer ailleurs. Essentiellement, ce que nous demandons, c’est aux individus de remettre en question cette abstraction qu’est l’argent lui-même. Il faut absolument comprendre l’histoire de la création des banques d’Europe, afin de comprendre et de raviver, de rétablir les anciennes traditions économiques des Peuples Autochtones comme alternatives possibles qui pourraient conjurer le génocide climatique auquel nous sommes actuellement confrontés. Je pense que nous demandons aussi aux gens : ‘demandez vous quelles sont vos valeurs, que vous a-t-on dit sur votre valeur ? Est-ce que votre valeur est seulement fondée sur ce que vous gagnez ? Est-ce que votre valeur est fondée sur votre sexe ? Est-ce que votre valeur est fondée sur votre race ? Etes-vous assez bien, sommes-nous jamais assez bien ? Sommes-nous complets ? Atteignons-nous jamais la plénitude ?’ Nous n’atteignons jamais la plénitude dans ce système capitaliste, il n’y en a jamais assez et est-ce cela, la valeur ? Pour nous, Autochtones, on nous l’enseigne avant la naissance. Quand le bébé est encore dans le ventre de sa mère, il entend des chants, in-utero, et a déjà reçu le code de l’ancienne connaissance de qui on est. C’est comme ça que ça marche, parce que quand on vous a ôté votre véritable identité, en tant qu’être sacré de cet univers, on ne peut plus comprendre qu’on a du pouvoir, ni comprendre qu’on n’est jamais seul, qu’on est toujours relié, toujours entouré des Ancêtres et de la Création, et que les Eléments sont nos parents.

« Et ça a été la mission ‘civilisatrice’ de la soi-disant ‘Civilisation’ Occidentale, depuis le début du culte de Rome. Et se sont les bulles papales, prononcées par le Pape Alexandre Borgia, qui ont produit la Doctrine de la Découverte, qui a permis la théorie de la ‘Destinée Manifeste’, pour autoriser la colonisation du monde entier, également ici, contre les tribus d’Europe. Vous êtes seulement plus près du siège de l’empire, depuis des siècles. Il se trouve que nous en sommes plus éloignés, et qu’ainsi, nous nous souvenons du temps d’avant le culte de Rome. Mais ce savoir et vos connections vous ont été arrachés violemment par l’Inquisition. Cette histoire de la colonisation, de l’impérialisme, et du racisme et du féminicide qui y sont inhérents, fait partie des forces d’intersection qui nous ont amenés à ce problème actuel de génocide climatique.

« Ainsi, nous les Peuples Autochtones, sommes les gardiens du savoir du temps d’avant, et c’est pourquoi il est si important d’écouter les Peuples Autochtones et de suivre leur direction. Parce que, pour survivre, nous devons nous réaligner, pour que nous survivions tous, vous devez vous guérir. Nous approchons le 400ème anniversaire du débarquement des premiers navires sur nos côtes, et maintenant, des Autochtones reviennent ici, et nous voyons le cercle s’accomplir. Et je vois votre présence ici comme ce que j’espère être un réveil des peuples d’Europe. Se réveiller et rallumer l’esprit sacré à l’intérieur de nous tous, afin que nous puissions guérir et recoller ce qui a été brisé. Alors, je vous invite à vous joindre à nous, et à bien comprendre que je ne suis pas différente de vous, que nous ne sommes qu’Un, que nous sommes un seul peuple. Nous ne devrions pas être divisés et nous devons nous unir, nous devons nous rassembler maintenant, il ne reste plus de temps. Je vous invite à nous rejoindre et à vous autoriser à suivre votre but le plus élevé et à trouver comment vous pouvez contribuer et ce que vous pouvez faire pour participer à la guérison de cette Terre et guérir ce qui a été blessé par la colonisation. En ce qui concerne les banques, c’est la partie la plus simple, il suffit de leur demander de respecter les Droits Humains. Mais pour vraiment changer et transformer la société, nous devons vous changer et vous transformer. Alors, de quoi avez-vous besoin, que voulez-vous entendre, étant donné que vous nous écoutez, que vous êtes tous ici, que voulez-vous entendre de nous ? Je veux que vous exigiez ceci de vous-mêmes : de vous lever à l’aube – c’est ce que nous faisons et ce peut être un savoir que je vous donne afin que vous puissiez vous reconnecter. Donc, levez-vous très tôt le matin, quand le soleil commence juste à se lever. Soyez disciplinés. Réveillez-vous et donnez ce que vous avez, un peu de tabac, ou du pollen de maïs, ou de la farine de maïs. Offrez-le à la Terre. Et demandez à guérir, demandez au Créateur de vous en donner la force et le savoir. C’est par cette réciprocité, cette monnaie spirituelle que vous pouvez vous réaligner et trouver ce qu’est le véritable pouvoir. Et c’est votre véritable héritage en tant qu’enfant sacré de cet univers. »