Michelle Cook, avocate Diné [Navajo], était invitée à la Journée Annuelle de Solidarité du CSIA-Nitassinan 2019. Elle a fondé le « Collectif Légal des Protecteurs de l’Eau » pour aider ceux qui avaient tenté d’empêcher la construction de l’oléoduc DAPL, à Standing Rock, de février 2016 à avril 2017. Elle prépare actuellement un doctorat en Sciences Politiques à l’université d’Arizona, sur les questions, indissolublement liées aux Etats-Unis, de Droits Humains Autochtones, de désinvestissement de projets nuisibles et de sexisme. Elle est membre du WECAN (Women Earth and Climate Action Network – Réseau d’Action des Femmes pour la Terre et le Climat) et a effectué une tournée en Europe pour la Campagne intitulée « Divest, Invest, Protect », visant à faire pression sur les banques et les compagnies d’assurance européennes qui investissent dans des projets racistes. Le 12 octobre, au cours de la Journée Annuelle de Solidarité, elle s’est exprimée comme suit.
Michelle Cook in English
12 octobre 2019
Also in English on Censored News
Traduction et photos Christine Prat
« Je pense qu’en termes de campagne de désinvestissement, je ne me considère pas tant comme une lobbyste, que comme un agent de contrôle de la réalité, et quelqu’un qui ne fait qu’exprimer des faits et des vérités. En fin de compte, je pense qu’une chose importante, dans ce que nous faisons, est que nous ne demandons pas à ces banques d’avoir pitié de nous, mais que nous leur donnions un clair avertissement de ce que leur temps de domination de cette Terre touche à son terme.
« Après l’affaire du Dakota Access Pipeline, un oléoduc combattu par plus de 10 000 personnes, au cœur même des Etats-Unis d’Amérique, nous avions pu obtenir, sous le gouvernement Obama, que la construction de l’oléoduc soit interrompue. Cependant, lorsque le gouvernement Trump est arrivé au pouvoir, en quelques jours cette décision a été niée, et le projet d’oléoduc a été autorisé à continuer, et à passer sous le Fleuve Missouri. Avant cela, à partir du 20 août 2016, j’avais dû voir comment les gens de notre peuple étaient maltraités. J’ai vu, j’ai été témoin, et j’ai fait des rapports sur les attaques de chiens, les traces de morsures sur la poitrine de mes semblables, sur la poitrine des femmes. J’ai dû dormir en me demandant si mais amis ne seraient pas assassinés. Nous avons dû voir deux de nos précieux membres de tribus Diné gravement blessés. Ils ont perdu des yeux à cause de l’utilisation par la police d’armes soi-disant ‘non-léthales’.
« Ainsi, lorsque l’oléoduc a été autorisé, après que le gouvernement Trump entre en fonction, pour moi, pour ma propre guérison et mon propre bien-être, j’ai eu besoin de savoir qui payait pour cela. Il fallait que je les voie, c’était important. Il fallait que j’aille là où ils se croyaient en sécurité. Et il fallait qu’ils me voient, afin que toutes les larmes et toute la souffrance que je devais porter ne soient plus les miennes, et qu’ils reprennent pour eux toute la violence et tous les traumatismes qui nous ont été causés par leurs finances. Alors, quand nous sommes allées dans ces banques, j’ai laissé toute cette souffrance avec eux, j’ai laissé les traumatismes dans les murs de leurs institutions. Je pense que si, à la base, ce que nous faisons est d’essayer de changer les lois de finance, à un niveau beaucoup plus profond, ce qui nous faisons est en fait un exorcisme du système, de l’esprit de prédation, qui existe depuis longtemps sur cette planète et nous a déconnecté de qui nous sommes, nous a aliéné de notre héritage en tant que créatures sacrées, d’enfants sacrés de cette terre.
« Ainsi, j’ai appris beaucoup de ces réunions. En particulier d’une Assemblée Générale Annuelle des actionnaires. Quand nous nous sommes approchées de l’immeuble, je pouvais voir des snipers sur le toit. Et nous étions là, des femmes Indiennes. Qu’avions nous fait ? Pourquoi fallait-t-il un sniper au-dessus de nos têtes ? Qu’avions-nous de plus que mes plumes, du pollen et des herbes médicinales ? Donc, je suis allée à cette réunion avec ces fusils pointés sur nous, et c’est ce qu’ont fait aussi les autres femmes. Et nous étions surveillées et suivies, probablement par des agents de la sécurité. Chaque fois que j’allais aux toilettes, j’étais suivie, chaque geste que je faisais été surveillé. Parce que nous étions entrées dans le temple de leur dieu. Parce que l’argent est le dieu des colonialistes. Il a remplacé le sacré. Alors, au lieu d’incantations on entend leurs chansons affairistes, au lieu de voir les symboles sacrés de la vie, on voit leur image affairiste. C’est une prière renversée. Quand je me suis trouvée dans cette réunion, j’ai ressenti … Beaucoup de gens qui nous ont vu disent ‘Oh, vous devez être si courageuses !’, mais nous ne sommes courageuses que parce que nous devons l’être, courageuses par nécessité, il le faut, il faut que je le sois. Et, malgré ces hommes armés qui me suivaient, j’ai dû méditer et me dire ‘je vais le faire, je peux le faire.’ Je pense que tout le monde a de ces moments où on va être confronté à quelque chose qu’on pense ne pas pouvoir faire. Mais il faut s’efforcer de surmonter ces peurs, afin d’être capable de faire ce qui va être nécessaire pour sauver cette planète. J’étais la dernière à prendre la parole à cette Assemblée Générale des actionnaires, mais dès que ma première collègue fut sur scène, le public s’est mis à nous siffler, à hurler et à nous huer. Immédiatement, lorsque nous sommes montées sur scène, bien qu’il y eût encore des actionnaires qui parlaient, nous avons senti comme une vague de méchanceté et d’hostilité. Et la méditation indispensable, face à l’adversité, fut très difficile. Parce qu’il faut savoir qu’ils veulent vous faire tomber, afin que vous ne puissiez pas dire la vérité. Mais j’ai compris ce qui se passait, et grâce à la méditation et la prière, j’ai pu maintenir un certain calme intérieur et leur délivrer un message qui leur donnait de bonnes raisons de nous huer. Alors, je pense que le simple fait d’amener des femmes Autochtones dans ces institutions est en soi un acte d’exorcisme, parce que je pense que la présence même de femmes Autochtones est un acte de purification de ces temples de la soi-disant ‘Civilisation’ Occidentale.
« Je pense que ce qui est unique dans cette campagne et dans le message que nous portons, en tant que femmes Autochtones, dans ce mouvement de désinvestissement, c’est qu’il n’est pas seulement question de retirer de l’argent de ces mauvaises banques pour le placer ailleurs. Essentiellement, ce que nous demandons, c’est aux individus de remettre en question cette abstraction qu’est l’argent lui-même. Il faut absolument comprendre l’histoire de la création des banques d’Europe, afin de comprendre et de raviver, de rétablir les anciennes traditions économiques des Peuples Autochtones comme alternatives possibles qui pourraient conjurer le génocide climatique auquel nous sommes actuellement confrontés. Je pense que nous demandons aussi aux gens : ‘demandez vous quelles sont vos valeurs, que vous a-t-on dit sur votre valeur ? Est-ce que votre valeur est seulement fondée sur ce que vous gagnez ? Est-ce que votre valeur est fondée sur votre sexe ? Est-ce que votre valeur est fondée sur votre race ? Etes-vous assez bien, sommes-nous jamais assez bien ? Sommes-nous complets ? Atteignons-nous jamais la plénitude ?’ Nous n’atteignons jamais la plénitude dans ce système capitaliste, il n’y en a jamais assez et est-ce cela, la valeur ? Pour nous, Autochtones, on nous l’enseigne avant la naissance. Quand le bébé est encore dans le ventre de sa mère, il entend des chants, in-utero, et a déjà reçu le code de l’ancienne connaissance de qui on est. C’est comme ça que ça marche, parce que quand on vous a ôté votre véritable identité, en tant qu’être sacré de cet univers, on ne peut plus comprendre qu’on a du pouvoir, ni comprendre qu’on n’est jamais seul, qu’on est toujours relié, toujours entouré des Ancêtres et de la Création, et que les Eléments sont nos parents.
« Et ça a été la mission ‘civilisatrice’ de la soi-disant ‘Civilisation’ Occidentale, depuis le début du culte de Rome. Et se sont les bulles papales, prononcées par le Pape Alexandre Borgia, qui ont produit la Doctrine de la Découverte, qui a permis la théorie de la ‘Destinée Manifeste’, pour autoriser la colonisation du monde entier, également ici, contre les tribus d’Europe. Vous êtes seulement plus près du siège de l’empire, depuis des siècles. Il se trouve que nous en sommes plus éloignés, et qu’ainsi, nous nous souvenons du temps d’avant le culte de Rome. Mais ce savoir et vos connections vous ont été arrachés violemment par l’Inquisition. Cette histoire de la colonisation, de l’impérialisme, et du racisme et du féminicide qui y sont inhérents, fait partie des forces d’intersection qui nous ont amenés à ce problème actuel de génocide climatique.
« Ainsi, nous les Peuples Autochtones, sommes les gardiens du savoir du temps d’avant, et c’est pourquoi il est si important d’écouter les Peuples Autochtones et de suivre leur direction. Parce que, pour survivre, nous devons nous réaligner, pour que nous survivions tous, vous devez vous guérir. Nous approchons le 400ème anniversaire du débarquement des premiers navires sur nos côtes, et maintenant, des Autochtones reviennent ici, et nous voyons le cercle s’accomplir. Et je vois votre présence ici comme ce que j’espère être un réveil des peuples d’Europe. Se réveiller et rallumer l’esprit sacré à l’intérieur de nous tous, afin que nous puissions guérir et recoller ce qui a été brisé. Alors, je vous invite à vous joindre à nous, et à bien comprendre que je ne suis pas différente de vous, que nous ne sommes qu’Un, que nous sommes un seul peuple. Nous ne devrions pas être divisés et nous devons nous unir, nous devons nous rassembler maintenant, il ne reste plus de temps. Je vous invite à nous rejoindre et à vous autoriser à suivre votre but le plus élevé et à trouver comment vous pouvez contribuer et ce que vous pouvez faire pour participer à la guérison de cette Terre et guérir ce qui a été blessé par la colonisation. En ce qui concerne les banques, c’est la partie la plus simple, il suffit de leur demander de respecter les Droits Humains. Mais pour vraiment changer et transformer la société, nous devons vous changer et vous transformer. Alors, de quoi avez-vous besoin, que voulez-vous entendre, étant donné que vous nous écoutez, que vous êtes tous ici, que voulez-vous entendre de nous ? Je veux que vous exigiez ceci de vous-mêmes : de vous lever à l’aube – c’est ce que nous faisons et ce peut être un savoir que je vous donne afin que vous puissiez vous reconnecter. Donc, levez-vous très tôt le matin, quand le soleil commence juste à se lever. Soyez disciplinés. Réveillez-vous et donnez ce que vous avez, un peu de tabac, ou du pollen de maïs, ou de la farine de maïs. Offrez-le à la Terre. Et demandez à guérir, demandez au Créateur de vous en donner la force et le savoir. C’est par cette réciprocité, cette monnaie spirituelle que vous pouvez vous réaligner et trouver ce qu’est le véritable pouvoir. Et c’est votre véritable héritage en tant qu’enfant sacré de cet univers. »