Vanessa Joseph et Clarisse Da Silva
Jeunesse Autochtone de Guyane
12 octobre 2019
Journée Annuelle de Solidarité, CSIA-nitassinan
Transcription et photos Christine Prat

Vanessa Joseph et Clarisse Da Silva, représentantes de la Jeunesse Autochtone de Guyane, ont participé à une table ronde, modérée par la journaliste Anne Pastor, au cours de la Journée Annuelle de Solidarité du CSIA-nitassinan, cette année consacrée au thème des Femmes Autochtones en lutte.

 Anne Pastor : […] En Guyane avec le fameux projet de Montagne d’Or, qui pourrait affecter de manière définitive le territoire, ce territoire français.

Vanessa Joseph : C’est un projet qui est « abandonné », avec de gros guillemets…

Anne Pastor : Justement, avec de gros guillemets. Alors, est-ce qu’il y a des gens qui ne connaissent pas encore le projet ? Vous voulez un petit rappel, sur le projet ?

Vanessa : Le projet Montagne d’Or est un projet de méga mine, donc large comme deux stades de France, suffisamment profond pour y mettre la Tour Eiffel sans qu’on en voie le sommet. Ils avaient l’intention de le faire en Guyane. Finalement, la population s’y est opposée, en tous cas une partie de la population. La pression nationale a fait que le Président est revenu sur sa décision et a décidé de mettre fin à ce projet, en tous cas le projet en l’état. A l’ONU, il y a quelques semaines, ils ont confirmé l’abandon de ce projet. Mais en fait, c’est plutôt une transformation du projet. Le projet en lui-même n’est pas validé, je pense dans sa dimension, dans tout ce qui avait été prévu pour le fonctionnement de cette mine. Aujourd’hui, on nous propose d’autres types de mines, des mines plus ‘vertes’, les mines les plus propres possibles, sachant qu’il n’y aura jamais de mine propre, elle rejettera toujours des déchets. Une mine reste une mine. Après, il y a des gens qui travaillent dans ce domaine, on verra où tout cela va nous mener. En tous cas, le projet Montagne d’Or n’est pas abandonné, il est juste abandonné en l’état, il va juste être modifié, c’est tout ce qu’il faut retenir.

Anne Pastor : D’autant que votre nature est déjà malmenée…

Vanessa : Oui, en tous cas, je suis sûre qu’il y a aussi des choses dont nous ne sommes pas au courant. Entre le bois, l’or et d’autres minerais qui font l’objet de recherches actuellement… Et il y a aussi l’orpaillage illégal, donc l’utilisation du mercure par les garimpeiros, des orpailleurs illégaux qui sont d’origine brésilienne pour la plupart. Il y a aussi des Surinamiens, il y a aussi des Français qui y participent. Donc, il y a utilisation de mercure, qui est rejeté dans les eaux de Guyane, donc les principaux fleuves sont touchés.

Anne Pastor : Ça a quand même des conséquences sur la chasse, la pêche, et forcément sur la santé des Amérindiens et des enfants.

Vanessa : La vie dans les villages tout court aussi. On sait très bien que la consommation de mercure porte atteinte à la santé de la personne, que ce soit des adultes ou des enfants, et des enfants à naître. L’orpaillage illégal amène aussi toutes sortes de trafics, des trafics d’humains, de la prostitution. Il n’est pas rare de voir des cas de prostitution dans nos forêts, des assassinats, des échanges de tirs avec les villages. J’ai pu le voir dans un reportage il y a quelques années, ils appelaient la Guyane le ‘Far West français’. Et dans l’intérieur, il est vrai que ça y ressemble plus ou moins. Pas totalement, ce n’est pas exactement ce qu’on essaie de vous faire croire, mais quand on vous dit qu’il y a des échanges de tirs, que certains villages vivent dans la crainte, c’est vrai.

Anne Pastor : Alors, effectivement, un climat d’insécurité et de violence qu’on trouve aussi, malheureusement, au Brésil, en Amazonie…

[Intervention de Daiara Tukano, voir article]

Anne Pastor : Est-ce que vous voulez rebondir sur la dernière phrase de Patricia Gualinga ? Qui dit que ce concept de forêt vivante pourrait être une alternative, en tous cas une idée à résoudre les conséquences du changement climatique, et en ce sens, le message qu’elle prononce à chaque conférence, est un peu celui-là. Aujourd’hui elle s’adresse au monde entier. En tous cas, on voit bien que, à travers l’importance des Droits de la Nature, de la Terre, et finalement toute la question toute la question identitaire qui est posée. Et, en particulier, pour vous, les Kali’na, vous qui êtes là depuis près de 10 000 ans sur votre terre d’origine, qui essayez de continuer à vivre avec votre mode de vie, votre langue, vos croyances, vous êtes engagés depuis quelques décennies dans un processus de revendications territoriales, de reconquête, même, de la terre,

Clarisse Da Silva : Là, on parle beaucoup de droit à la terre, de la relation avec la terre, donc c’est un sujet sensible en ce moment. Je pense que l’on va plus parler de la relation que nous avons avec la tradition et les cultures, donc la question identitaire en soi. Je suis artiste Kali’na, dans mon travail artistique je traite beaucoup de la question la question identitaire, la question de l’Autochtonie, de la relation que les jeunes ont avec les traditions, les coutumes, etc. Aujourd’hui, il faut savoir qu’en Guyane il y a une perdition de la culture. Je fais partie de cette génération qui n’a pas grandi avec la culture. C’est la conséquence des ‘homes Amérindiens’ – les Pensionnats. C’était une éducation religieuse obligatoire. Ma mère y est allée, toutes mes tantes et mes tontons y sont allés. Il y avait une évangélisation, une éducation à la française, il fallait chanter ‘La Marseillaise’, les langues Autochtones étaient interdites, et c’était toujours le cas il y a quelques années, c’est ce que nous avions dénoncé également. En internat ou en famille d’accueil, c’était pareil. Je pense, qu’inconsciemment, ma mère regardait ce processus selon lequel il ne fallait pas parler notre langue, donc nous avons grandi avec ça, nous ne parlons pas la langue Kali’na. Maintenant, nous faisons un travail là-dessus, nous essayons d’apprendre de plus en plus quelques mots, quelques phrases, ce qui n’est déjà pas mal. Mais avec le choc des sociétés, le mode de vie à l’occidentale, le développement, je ne suis pas en tenue traditionnelle, je porte des Airforce One, un pull à la mode, je parle français, je vais à l’école. Donc ma relation avec la tradition est un peu compliquée, je n’ai pas été tout de suite intéressée par tout ce qui était culturel. J’ai commencé à me revendiquer à l’âge de treize ans, puisque c’est quand j’ai commencé mon travail artistique. Ensuite, lorsqu’il y a eu des mouvements sociaux et une très forte revendication identitaire, ça a engagé les jeunes, d’où la visibilité de la Jeunesse Autochtone de Guyane. Maintenant nous essayons de nous réapproprier toute cette relation. Aujourd’hui encore il y a très peu de jeunes qui font l’effort d’aller en forêt, ils sont très peu intéressés. J’ai été l’une des premières jeunes qui suis allée en forêt avec Jean-Jacques Agevi, qui est un très grand artiste Kali’na, qui fait un travail de réappropriation. Et il faut ensuite pouvoir garder en tête et transmettre aux jeunes tout ce travail culturel. C’est vrai qu’aujourd’hui c’est très compliqué, il y a encore des histoires à apprendre, en tant que jeune, j’en apprend tous les jours.

Anne Pastor : Alors il faut quand même préciser, pour ceux qui ne connaissent pas bien ce sujet-là, c’est-à-dire qu’effectivement, avec la scolarisation massive, en particulier pour ceux qui étaient à l’intérieur, les 3000 Wayana ou Wayampi, ils devaient quitter, en fait, leur famille dès l’âge de onze ans pour aller sur le littoral, donc ils ne pouvaient pas suivre l’enseignement traditionnel, et, au bout du compte, c’est une génération qui est aussi en perte de repères. On parle beaucoup de drogue, d’alcool, mais aussi et surtout, et vous en avez beaucoup parlé, de taux de suicides absolument énormes, de vingt fois supérieurs à la moyenne nationale. Je crois que depuis le mois de janvier, dans la communauté Wayana, ils ne sont que 1500, et il y a quand même eu 13 suicides. C’est absolument énorme et, effectivement, peut-être que cette reconnexion, et ce travail que vous faites à travers l’art, permet de retrouver un peu toutes ces valeurs traditionnelles et de savoir qui ont est.

Clarisse : Effectivement. Aujourd’hui, la particularité de notre génération c’est qu’elle vit entre deux mondes et elle doit faire avec ces deux mondes. C’est-à-dire que nous devons pouvoir avancer avec notre identité, donc avec les coutumes, pour garder une connexion avec nos Anciens, avoir une connexion avec notre identité. Mais il faut aussi savoir s’intégrer, on parle beaucoup d’adaptation, c’est ce que nous faisons depuis des années. C’est souvent difficile, on le voit avec les suicides de jeunes Amérindiens. Ils sont ne sont pas habitués à la vie en ville, ils sont complètement en terre inconnue. C’est quelque chose que j’ai connu moi-même, je vis depuis un an en métropole, c’était très compliqué. C’est un autre mode de vie, nous sommes loin de la famille, loin du cocon familial. Heureusement, j’avais mes sœurs avec moi. Mais imaginez des jeunes qui partent tous seuls, c’est déjà difficile à Cayenne, alors imaginez, en France métropolitaine ! Et on parle aussi beaucoup de discrimination. Moi, j’étais en prépa artistique, j’ai voulu développer tout ce travail artistique autour de la culture et de la tradition, et c’est vrai qu’au cours de cette année, même si je me suis rendu compte, un peu trop tard à mon goût, ce qui a développé mon mal-être c’est le fait qu’on ait voulu contrôler mes messages, qu’on ait voulu contrôler cette quête identitaire. Certaines fois, on ne voulait pas que je fasse certaines choses, on voulait que je retire des symboles Kali’na de certaines productions, on voulait complètement déformer des dessins. C’était déjà assez violent, donc, si moi je l’ai vécu comme ça, et pourtant il y a pire, on peut se demander comment ça doit être pour des jeunes qui sont sans repères.

Anne Pastor : Finalement, ce que vous revendiquez c’est une identité propre, un droit aussi à la différence, d’être vous-même dans cet Etat français…

Clarisse : Oui !

Anne Pastor : Oui, mais il faut quand même le réaffirmer, parce que ce n’est pas forcément évident. Quand on suit, par exemple, des cours au collège et qu’on entend parler de TGV, d’autoroutes, on a l’impression qu’effectivement, toute l’identité Autochtone est totalement mise à part. exclue…

Clarisse : En fait, en Guyane, c’est autre chose. C’est une terre pluriculturelle, tout le monde vit en communauté. Nous sommes conscients de ce qu’il y a des Peuples Autochtones, qu’il y a des Peuples Bushinengués, des communautés créoles, haïtiennes, brésiliennes, etc. Nous vivons au quotidien avec ces différences, mais nous ne les voyons pas, ces différences. Un sujet sur lequel je travaille beaucoup aussi, c’est la manière dont l’ancienne génération vivait la Guyane et dans laquelle, maintenant, la nouvelle génération grandit. Avant, on voyait qu’il y avait d’un côté les Créoles, les Amérindiens de l’autre. Aujourd’hui, c’est un peu différent. Nous allons à l’école avec tout le monde, dans ma classe il y a des Créoles et des Brésiliens, des Bushinengués et des Hmong, et nous ne voyons pas nos différences. Je suis amie avec des Créoles, nous parlons facilement des problèmes politiques. Nous n’avons pas la même vision que la génération d’avant. Nous avons plus de facilités pour communiquer, et nous disons souvent que c’est quand la nouvelle génération va reprendre le flambeau que ça va mieux se passer. Et à l’école, j’ai toujours eu la chance d’avoir des professeurs qui nous faisaient des cours sur l’histoire de Guyane, qui nous poussaient à valoriser nos différences, valoriser nos cultures, donc, sur ce plan, nous avons été très bien encadrés. Je parle plus de la France métropolitaine où c’est difficile, mais en Guyane on commence à faire un travail de valorisation des cultures et je trouve que c’est une bonne chose, car en Guyane je ne me sens pas forcément mal. Ce n’est pas comme en métropole.

Anne Pastor : Effectivement. Et puis il y a des projets qui sont initiés, comme le projet SAWA [Savoirs Autochtones Wayana et Apalaï], qui est un projet qui a été initié par des anthropologues, le Quai Branly avec les Wayana, qui effectivement concerne leurs objets, parce que malheureusement, ces cinquante dernières années tous leurs objets ont disparu, ont été volés ou ont été vendus. Et donc, aujourd’hui, ils vont les voir dans les musées et font tout un travail de réappropriation de leur culture et de leur identité.

[Intervention de Daiara Tukano, voir article]

 

Vanessa Joseph, Cindy Van der Pijl, Nicole Chanel, Félix Tiouka, Moëtai Brotherson, Sylvain Duez-Alessandrini

 

AGAINST THE GOLD COMPANY ‘MONTAGNE D’OR’, THE DENIAL OF THEIR IDENTITY, AND THE STRUGGLE FOR MOTHER EARTH: YOUNG WOMEN FROM FRENCH GUÏANA SPOKE, ON OCTOBER 13, 2018, DURING THE ‘SOLIDARITY DAY’ OF THE CSIA

 

Recorded on October 13th, 2018
Article and translation by Christine Prat Français
November 12th, 2018

 

The rainforest of “French” Guïana has been threatened for years by a huge gold mine project, by a mining company calling itself “Montagne d’Or”, meaning “Gold Mountain”. This company is a merger between the Canadian company Columbus Gold – could you think of a more colonialist name – and the Russian company NordGold, which has already devastated a lot of Indigenous lands in the world. NordGold has a majority in the Montagne d’Or merger. The Indigenous Peoples have opposed the project from the beginning. They have long suffered from illegal gold mining, namely from the garimpeiros from Brazil, which pollutes the rivers on which their lives depend. The rainforest of Guïana has more biodiversity than the whole of Europe. Some people there are willing to give it up with the excuse of ‘creating jobs’, the magical words that no magician would dare to use. The Indigenous Peoples, who mainly need clean water, and already felt the damages caused by gold mines, totally reject the project. Between the beginning of March 2018 and the beginning of July 2018, Public Hearings took place in Cayenne and Saint-Laurent-du-Maroni. Indigenous people had the feeling of not being heard. However, the conclusion of the public hearings was that the Montagne d’Or project could not be accepted as it is now. Since then, Montagne d’Or keeps going to Indigenous villages, trying to corrupt traditional leaders, but they don’t give in. The present Director General of Montagne d’Or, Pierre Paris, has worked before for companies as Rio Tinto and BHP Billiton, well-known names to Indigenous Peoples all over the world, who are fighting against desecration and pollution of their ancestral lands by mining companies.

As part of the 37th Day of Solidarity with Indigenous Peoples, organized by CSIA-nitassinan, a panel was composed of Félix Tiouka, member of the town council of Awala-Yalimapo, belonging to the first generation of Indigenous activists, and three young women from the Indigenous Youth of Guïana, JAG, Jeunesse Autochtone de Guyane.

As all Indigenous people who spoke during the meeting, the Indigenous people from Guïana spoke about the destruction of their identity and culture, but also about the problems they had with having to live as “so-called French citizens”, in a Republic that discriminates them, impoverishes them, pollutes their land, while forcing them to submit to the western way of life. “Départementalisation” – meaning that Guïana and other French colonies were officially annexed to France and considered as French “départements” (equivalent to US counties) – was declared in 1945. The “Francization” Act was adopted in 1969. Officially, Indigenous Peoples of Guïana are supposed to be French citizens like all inhabitants of France…

The article below is mainly based on a transcription of speeches by three young women from Guïana, Vanessa Joseph, Nicole Chanel and Cindy van der Pijl, recorded by Pascal Grégis and Christine Prat, members of CSIA, on October 13, 2018.

Vanessa Joseph, vice-Chairperson of the Indigenous Youth of Guïana, already took part in the Solidarity Day of 2017, together with Yanuwana Tapoka. She first said how happy she was to take part in this meeting, “with Moëtai [from Tahiti], Yvannick [from Kanaky, “Nouvelle Calédonie] and my Uncle Félix [Félix Tiouka].” She thanked the CSIA for giving them an opportunity to speak, and also thanked all the people who had reacted to her appeal to donate books for schools inside the country. “We have used them well. Today, it has become a larger project, we are going to build libraries in remote places inside. All this thanks to you, I thank you again.” [In Guïana, the ‘inside’ means the rainforest, where there are no roads, as opposed to the cities on the coast or along the River].

However, Vanessa also had to say that the opening of the school year went wrong. She reminded that “inside the country, there are only primary school, and not in every village.” Students who have to go to secondary or grammar schools, must go to the nearest town which has one, but the ‘nearest’ town can be quite far away. The children then have to live with a foster family or in a boarding school. Last September, some children did not have a place in either a foster family or a boarding school. They went back to their villages, thus wasting a school year. Moreover, some parents don’t want to send their children to families on the coast, as there have been some problems. The only solution proposed by the Administration, each year, is to more carefully select the families. Vanessa says that “children in Taluwen, a town on the Upper Maroni, asked that a secondary school be built, so that they could stay near their parents, which is normal for 12-years-olds”… “At the moment, it is still a project. They started building, then stopped, then started again… Let’s hope that the secondary school will exist one day. They also started to build a boarding school in Maripasoula, again, we hope it will be completed without problems.”

Vanessa added that they are still trying to achieve projects in order to improve the people’s daily life, inside the country. When they succeed, it is thanks to a lot of support, like that of the CSIA.

Vanessa summed up what had happened about the gold mine project, since her last visit. Public hearings have been organized in Cayenne and in Saint-Laurent-du-Maroni, from the beginning of March to the beginning of July 2018.

“The representatives of the Indigenous Peoples have been kind of ignored, for what they had to say. At first, they listened to all questions, but then they started to select them, probably because there were disturbing questions.” …”a public hearing was planned in a village, west of the country, but they [from the company] did not show up.” Thus, the hearings were not very satisfying. However, “the public hearing decided: the project cannot be started as it is. It is not possible to propose such a large project to a population, with so few explanations and so unclear explanations. Thus, the project has to be amended.”

“Meanwhile, Vanessa adds, Montagne d’Or has stared to establish itself in the villages, demanding to meet the traditional leaders to offer them money or positions… It was a bit shocking, thus they all said ‘no’, except for one.” Currently, the Montagne d’Or company keeps trying to convince people, with some modifications of their project, and most of all by modifications of their explanations and communication. But for Indigenous people, it remains ‘no’.

Vanessa thanks the audience, “it is really a great pleasure to see you all again.”

Next speaker is Nicole Chanel, from Camopi. She joined the Indigenous Youth recently.

She explains that she is Teko, a People formerly called ‘Emérillon’ by French explorers, at the time of colonization. ‘Emérillons’ means people who live on fishing. “We demanded to be called Teko’s, which means ‘Indian Warriors’. We, Teko’s, come mainly from the banks of the Oyapock River, which is the border between Brazil and ‘France’. In our village, there were two nations, the Teko’s and the Wayãpi, but now we are mixed. We descend from the Tupi-Guarani, Indians who live in the Amazonian rainforest. Nowadays, the Tupi-Guarani live in Brazil. Some had to run away from wars, this is how we arrived in Camopi.”

In the past, an authorization from the ‘préfecture’ [representation of the French government in regions and counties] was needed to travel to our region. The reason given is that our people were still ‘savages’. Nicole says “we have never been savages. We always warmly welcomed the French people.” But now, it is open to anyone, which is not always an improvement. Nicole says “It takes 4 to 5 hours on a canoe to go to our region, because there are no roads, only the river. Everything is done by the river. Garimpeiros, gold seekers [from Brazil], come and dirty our water. The water we used to drink, that we used to wash ourselves in, that we used for everything. There are no customs, thus anybody can come. So, now, the garimpeiros come without problems, to seek gold. As they cannot do it where they live, they come to ‘French territory’. Then Nicole tells how she noticed that the water was polluted: “I grew up in Indian boarding schools from the age of 4 to 16. An Indian Boarding school is a place where they enlist Native American children who want to ‘become civilized’. They call it to get in line, to learn French, to learn to write, to count, etc. I came back home only in the summers, in July and August. So, in the course of time, when I came back home, I saw the color of the water changing. And I remembered that, as a small child, I used to wash myself in that water. I saw it become yellowish. At the point where it met the water dirtied by the garimpeiros, it formed a kind of white coffee. It looked disgusting.”

Nicole has been living in France for 15 years. She is astounded to see that the French State does nothing for Camopi. In July 2018, the Administration sent Mr. Jérôme Cahuzac, an ex-Minister now convicted to a jail sentence, to work at Camopi Health Center. Nicole says “he has nothing to do with Camopi” …”he is not a doctor”. As matter of fact, Mr. Cahuzac is a doctor, but a plastic surgeon. Nicole was shocked to see that media rushed to see Cahuzac while they showed no interest for the local population. Indigenous people resent it as despise. Of course, the media were interested in Cahuzac for his criminal record, not for political reasons.

Nicole closes her speech saying “In spite of this all, we fight, we shall fight, we Tekos, the Indigenous Youth, we shall fight to let people know, to let the world know, that we exist, that we are there. We are ‘French’, they put a label on us saying ‘French nationality’, thus we are part of France, thus look at us, look at our people! Thank you.”

Then, Cindy Van der Pijl talked. Cindy still lives in Guïana and specially flew to Paris for the Solidarity Day. She is Arawak/Lokono.

“I joined the Indigenous Youth in February of this year.” “I have always been claiming my culture ever since I was a small child. I was looking for an opening, a way to show my non-French identity. Because, back home, they teach us things, we learn all the time, but we are never taught who we are. In between, we are kind of lost in that French culture, in that westernized culture. Where do we stand, what should we do? Am I allowed to wear my traditional clothes, am I allowed to show my feathers without being arrested on the ground that they come from ‘protected species’?”

“Our Peoples have been tormented too long, so many tears have been shed, too many souls have been tortured, while the Earth is subjected to human selfishness and suffers even more than we do. They talk about Guïana, that ‘island’, but they never know where it is.” …”a lot of blood has been shed, and more will probably be shed, because of those ‘good ideas’ of the dominating powers.” Cindy wonders why, on the ‘united’ territory of the Republic, “where they tell us ‘Liberty, Equality and Fraternity’, they teach us to forget ourselves, to forget who we are. All our knowledge, our colors, our identity are trampled and shattered. Nicole’s story, she lived it, my mum lived it too. Indian Boarding Schools are not a myth, it really happened. There, French education is instilled, religion is instilled, it is part of a process of removing someone’s identity. It is as if we were made of clay that they can mold and shape as they want it to be. In Guïana, western culture, western people take and never give back.”

For Cindy, all that is left to Indigenous Peoples is the struggle. “The first Nation is reduced to the fight for its identity, to get its place in French society. For me, the word ‘Indigenous’ is equal to the word ‘struggle’… Is it normal that Indigenous people have to struggle to get their place and to be recognized? I don’t think so.

“Nowadays, we talk of looting. It is unfortunately not to be taken lightly. Apart from the crime of looting our identity, there is also the looting of She who gives us life, She who wakes up to remind the human being how small he is. We don’t always understand earthquakes, but they do happen. What if it were our Mother Earth being angry at us? At all we do to Her? She is the one who feeds us, She is our Mother Earth. Our ancestors bequeathed their struggle to us. Today, we, the youth, are trying to take over that struggle. But rather than being victims of this system, although we are, we are warriors. And with this, I join with all my Indigenous Brothers. My Kanak brothers, going through a difficult situation, and all our other Indigenous brothers. We are all warriors and I am happy about that, otherwise we would not be here today. We would be good little French people who believe in Jesus.”

Then, Cindy talked about Montagne d’Or. “Why won’t we give in to Montagne d’Or? The answer is simple and logical: we are fighting for the Earth, we are fighting for life.” As human beings, what we need most is drinking water, eating, walking… All this is given by the Earth.

“For those who don’t know, Montagne d’Or is a huge project that tries to establish itself in Guïana. It is a Russian-Canadian merger now called Montagne d’Or, Pierre Paris being the new director. Montagne d’Or means 80,000 tons of waste a day, 10 tons of cyanide a day, 10 tons of explosives, about 125,000 gallons of water PER HOUR, when the population is doing badly. Montagne d’Or would be an open site, in a tropical zone where it often rains. Thus, when they tell us there won’t be any accident, it’s difficult to believe.”

“I took part in the public hearings, in Saint-Laurent-du-Maroni and in Cayenne. You can’t believe how those people make you feel small. How tough you must be to tell them ‘no’. Seeing Pierre Paris stand up and say ‘I am Pierre Paris and I am proud to be the director of Montagne d’Or’, ideas of murder can cross your mind… But we stood our ground, we showed our colors, we showed that we were there. The youth was there, the Elders were there, as well as people from all cultures of Guïana who stood with us…” “Those cultures understood that it is a human struggle, a struggle for life, we are going to fight it, to fight to the end. I also would like people to realize what our societies are doing to us, with that capitalist culture. Shall we ever be able to see money for what it truly is, a piece of paper? Shall we ever be able to see gold for what it really is, a piece of stone? It is those things that the world is fighting for, that people kill each other for. It’s because of them that blood is shed, again and again.”

“Finally, I would like to thank you for listening to me, I am very happy to be here. I thank the CSIA for inviting us, and allowing us to speak on this French land. Tomorrow, I shall fly back home. My fight goes on and I really wish that the youth, of whatever culture, ally with us against this project. The problem of our identity, as Indigenous, is our history. We shall fight Montagne d’Or too, with the same virulence. I thank you for listening to me.”

 

Vanessa Joseph, Cindy van der Pijl, Nicole Chanel, Félix Tiouka, Moëtai Brotherson et Sylvain Duez-Alessandrini

 

CONTRE MONTAGNE D’OR, LA NEGATION DE L’IDENTITE, ET POUR LE COMBAT POUR LA TERRE: DES JEUNES FEMMES DE GUYANE SE SONT EXPRIMEES, LE 13 OCTOBRE 2018, LORS DE LA JOURNEE DE SOLIDARITE DU CSIA.

Christine Prat
10 novembre 2018
Enregistrement 13 octobre 2018

Depuis plusieurs années, une partie de la forêt amazonienne de Guyane “française” est menacée par un projet de mine d’or monumental, mené par une compagnie intitulée “Montagne d’Or”, résultat d’une fusion entre la compagnie canadienne Columbus Gold – en tant que nom colonial, on peut difficilement faire mieux – et la compagnie russe NordGold, qui a déjà ravagé beaucoup de terres Autochtones dans le monde. NordGold est majoritaire dans Montagne d’Or. Les Autochtones s’opposent depuis le début au projet. Ils sont déjà depuis longtemps confrontés aux chercheurs d’or illégaux, les garimpeiros venus du Brésil, qui polluent énormément les rivières dont leur vie dépend. La forêt amazonienne de Guyane a une biodiversité beaucoup plus importante que celle de toute l’Europe. Certains sont prêts à en sacrifier une partie, sous prétexte de “créer des emplois”, formule devenue magique, qu’aucun druide ou magicien n’oserait utiliser. Les Autochtones, qui ont surtout besoin d’eau potable et ont déjà constaté les dégâts que les mines d’or y causent, s’opposent absolument au projet. De début mars à début juillet 2018, des “débats publics” ont eu lieu à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni. Les Autochtones ont eu l’impression de ne pas y être écoutés. Cependant, la conclusion a été que le projet Montagne d’Or ne pouvait pas être accepté en l’état. Depuis, Montagne d’Or multiplie les contacts et les tentatives de corruption dans les villages Autochtones. Cependant, l’opposition reste ferme. L’actuel Directeur Général de Montagne d’Or, Pierre Paris, a travaillé précédemment pour des firmes comme Rio Tinto et BHP Billiton, noms bien connus des Peuples Autochtones, un peu partout dans le monde, qui se battent contre la profanation et la pollution de leurs terres ancestrales par les compagnies minières.

Au cours de la 37ème Journée de Solidarité avec les Peuples Autochtones, organisée par le CSIA-nitassinan, une table ronde a réuni Félix Tiouka, 1er adjoint au maire d’Awala-Yalimapo, issu de la première génération d’activistes Autochtones, et trois jeunes femmes de la Jeunesse Autochtone de Guyane.

Comme tous les Autochtones qui sont intervenus lors de cette rencontre, les Autochtones de Guyane ont parlé de la destruction de leur identité et de leur culture, mais aussi de leur difficulté à vivre en tant que “citoyens soi-disant Français” dans une République qui les discrimine, les appauvrit, pollue leur terre, tout en voulant les forcer à se soumettre au “mode de vie” occidental. La “départementalisation” a été décrétée en 1945, la Loi de “Francisation” en 1969. Théoriquement, les Autochtones de Guyane sont des citoyens français comme les autres…

L’article ci-dessous est fondé sur les interventions des trois jeunes femmes, Vanessa Joseph, Nicole et Cindy van der Pijl, d’après des enregistrements réalisés par Pascal Grégis et Christine Prat, membres du CSIA, le 13 octobre 2018.

Vanessa Joseph, Vice-présidente de la Jeunesse Autochtone de Guyane, avait déjà participé à la Journée de Solidarité du CSIA de 2017, en compagnie de Yanuwana Tapoka. Elle a d’abord dit combien elle était heureuse de participer à cette rencontre, “avec Moëtai [de Tahiti], Yvannick [de Kanaky, ou “Nouvelle Calédonie”] et mon Tonto Félix [Félix Tiouka].” Elle a remercié le CSIA de leur fournir cette opportunité de s’exprimer, puis toutes les personnes qui avaient répondu à son appel pour des dons de livres, à l’intention des écoles de l’intérieur. “Nous en avons fait un très bon usage. Aujourd’hui, c’est devenu un projet un peu plus grand, nous allons construire des bibliothèques à l’intérieur. Tout ça, c’est grâce à vous, merci encore.”

Cependant, Vanessa dit aussi que la rentrée scolaire de septembre dernier ne s’est pas bien passée. Elle rappela “qu’à l’intérieur il y a seulement des écoles élémentaires, et pas forcément dans tous les villages.” Les enfants qui doivent aller au collège ou au lycée, doivent partir dans la commune la plus proche ayant un collège ou un lycée, et la commune ‘la plus proche’ peut être très éloignée. Les enfants doivent donc résider dans une famille d’accueil ou un internat. En septembre dernier, certains enfants n’avaient trouvé ni famille d’accueil, ni place en internat. Ils sont retournés dans leur village, et vont perdre une année scolaire. De plus, certains parents ne veulent plus envoyer leurs enfants dans des familles du littoral, vu qu’il y a eu des incidents. L’éducation nationale propose toujours la même solution: mieux sélectionner les familles d’accueil. Vanessa raconte: ” Il y a des enfants de Taluwen, une commune sur le Haut-Maroni, qui ont demandé la construction d’un collège, pour pouvoir rester auprès de leurs parents, ce qui est normal, à 12 ans”… “Pour l’instant, c’est un projet. Ils ont commencé la construction, elle s’est interrompue, puis a été relancée. Espérons que le collège voit le jour. Il y a également un internat en construction à Maripasoula, là aussi nous espérons que ça se déroule sans embûches.”

Vanessa ajoute qu’ils essaient tout de même de faire aboutir certains projets, pour améliorer le quotidien des gens de l’intérieur. Et s’ils peuvent y arriver, c’est grâce à de nombreux soutiens, comme le CSIA.

Vanessa a aussi résumé ce qui s’était passé sur le front de la Montagne d’Or depuis sa dernière visite. Des débats publics ont été organisés à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni, de début mars à début juillet. Vanessa dit que “ce fut très intense.”

“Les représentants des Peuples Autochtones ont été un peu ignorés, pour ce qu’ils avaient à dire. Au départ, ils écoutaient toutes les questions, au final, ils ont commencé à les sélectionner, parce que, je pense, certaines questions dérangeaient.” …” Un débat public devait être organisé dans un village de l’ouest, ils n’ont pas honoré ce rendez-vous.” Donc, ça ne s’est pas très bien passé. Pourtant, “par la suite, le débat public a tranché: le projet ne peut pas se faire en l’état. On ne peut pas proposer à une population un projet de cette ampleur avec aussi peu d’explications, et des explications qui ne sont pas claires du tout. Donc, pour le moment, c’est un projet qui doit être révisé.”

Vanessa précise: “Entretemps, la compagnie Montagne d’Or a commencé à s’implanter dans les villages, à convoquer les chefs coutumiers, à leur faire des propositions, que ce soit de l’argent ou des postes… C’était un peu n’importe quoi, donc ils ont tous dit non, sauf un.” Et, à l’heure actuelle, la compagnie Montagne d’Or continue d’essayer de convaincre les gens, avec quelques modifications de son programme, et surtout des modifications de ses explications et de sa communication. Mais, pour les Autochtones, ça reste ‘non’.

Vanessa conclut en remerciant l’assistance, “c’est vraiment un grand plaisir de vous voir et de vous revoir.”

L’intervenante suivante, Nicole Chanel, est originaire de Camopi. Elle a rejoint la Jeunesse Autochtone récemment.

Elle explique qu’elle est Teko, un Peuple appelé autrefois ‘Emérillon’ par des explorateurs français venus à l’époque de la colonisation. ‘Emérillons’ signifie les gens qui vivent de la pêche. “Et nous avons revendiqué d’être appelés les Tekos, ce qui veut dire ‘Indiens guerriers’. Nous, les Tekos, venons de Camopi, principalement des bords du fleuve Oyapock, qui sert de frontière entre le Brésil et “la France”. Dans notre village, il y a deux ethnies, les Tekos et les Wayampis, mais maintenant, nous sommes mélangés. Nous sommes des descendants des Tupi-Guarani, des Indiens qui vivent dans la forêt Amazonienne. Actuellement, les Tupi-Guarani vivent au Brésil. Certains ont fui des guerres, et c’est ainsi que nous sommes arrivés à Camopi.”

Autrefois, il fallait une autorisation préfectorale pour se rendre dans la région. Le prétexte était que les gens de là-bas étaient encore “sauvages”. Nicole dit, “nous n’avons jamais été sauvages. Nous avons toujours accueilli les Français à bras ouverts.” Mais maintenant, c’est ouvert à tout le monde, ce qui n’est pas forcément un avantage. Nicole raconte: “Pour aller chez nous, il faut 4 ou 5 heures de pirogue, parce qu’il n’y a pas de routes, c’est le fleuve. Tout ce fait par le fleuve. Il y a des garimpeiros, des chercheurs d’or [du Brésil], qui passent salir notre eau. L’eau qu’on buvait, dans laquelle on se lavait, où on faisait tout. Comme il n’y a pas de douane, tout le monde peut venir. Alors maintenant, les garimpeiros rentrent sans soucis, pour aller chercher de l’or, parce que chez eux, ils ne peuvent pas le faire, donc ils viennent en territoire ‘français’, pour le faire.” Et Nicole raconte comment elle s’est aperçue de la pollution de l’eau: “Moi, j’ai grandi dans les homes indiens de 4 à 16 ans. Le home indien est un endroit où ils accueillent les enfants Amérindiens qui veulent être ‘civilisés’. Eux appellent ça rentrer dans le rang, apprendre à parler français, apprendre à écrire, à compter, etc. Je ne rentrais que pendant les étés, en juillet et août. Mais au fur et à mesure, en rentrant chez moi, je voyais que l’eau changeait de couleur. Et je me disais que, petite, je me lavais dans cette eau, et d’autres choses comme ça. Et je voyais l’eau devenir jaunâtre. Au point de rencontre de l’eau salie par les garimpeiros avec celle dans laquelle on se lavait, se formait un genre de café au lait. C’était dégueulasse à voir.”

Nicole vit en France depuis 15 ans. Elle est abasourdie de constater que l’Etat Français ne fait rien pour Camopi. En juillet dernier, l’administration a envoyé, pour assurer un remplacement au Centre de Santé de Camopi, M. Jérôme Cahuzac, un ex-Ministre actuellement condamné à 4 ans de prison, dont 2 avec sursis. Pour Nicole, M. Cahuzac “n’a rien à voir avec Camopi. Ils l’ont envoyé là-bas pour travailler dans un centre de santé, alors qu’il n’est pas médecin”. En réalité, M. Cahuzac est médecin, mais chirurgien esthétique. Nicole s’indigne de ce que les médias s’étaient tous précipité à Camopi pour voir Cahuzac, sans montrer le moindre intérêt pour la population locale. C’est bien entendu à cause de ses déboires en justice que les médias s’intéressent à M. Cahuzac. Certains ont demandé à des habitants ce qu’ils pensaient de Cahuzac, et ils ont répondu: “Mais qu’est-ce qu’on sait de lui?” Tout cela est ressenti par les Autochtones comme un profond mépris.

Nicole conclut: “Malgré tout cela, nous nous battons, nous allons nous battre, nous les Tekos, la Jeunesse Autochtone, nous battre pour nous faire connaître du public, de tout le monde, pour dire que nous existons, que nous sommes là. Nous sommes des ‘Français’, on nous a mis une étiquette ‘nationalité française’, donc nous faisons partie de la France aussi, alors regardez-nous, regardez notre Peuple. Merci.”

Puis, Cindy van der Pijl prit la parole. Cindy vit toujours en Guyane et est venue spécialement pour la Journée de Solidarité. Elle est Arawak/Lokono.

“Je fais partie de la Jeunesse Autochtone depuis février de cette année”. “J’ai toujours été très passionnée, très revendicatrice de ma culture, depuis que j’étais toute petite. Je cherchais une ouverture quelque part, à savoir comment faire pour montrer mon identité autre que française. Parce que, chez nous, on nous apprend des choses, on nous apprend tout le temps, mais on ne nous apprend jamais qui on est. Et, forcément, au bout d’un moment, nous sommes un peu perdus dans cette culture française, dans la culture de l’occidentalisation. Où se positionner, comment faire? Est-ce que j’ai le droit de porter ma tenue, est-ce que j’ai le droit de montrer mes plumes sans que la douane vienne m’arrêter parce que ce sont des espèces protégées?”

“Nos peuples ont été trop longtemps martyrisés, beaucoup de larmes ont été versées, beaucoup trop d’âmes ont été torturées, tandis que la Terre subit l’égoïsme de l’être humain et souffre encore plus que nous-mêmes. On parle de la Guyane, cette fameuse “île”, mais on ne sait pas où elle se trouve.” …”beaucoup de sang a coulé, et coulera sûrement encore, à cause des ‘bonnes idées’ de nos puissances.” Cindy se demande pourquoi, sur le territoire de la République, “où on nous dit ‘Liberté, Egalité, Fraternité’, on nous apprend tellement à nous oublier, à ne plus savoir que nous sommes. Tous nos savoirs, nos couleurs, notre identité, sont comme piétinés, complètement bafoués. L’histoire de Nicole, elle l’a vécue, ma maman l’a également vécue, les homes indiens ne sont pas un mythe, ça s’est vraiment passé. L’éducation française y est inculquée, la religion y est inculquée, ça fait partie d’un processus d’enlèvement de l’identité d’une personne. C’est comme si nous étions faits de pâte à modeler qu’on façonne comme on veut, comme on souhaite qu’elle soit. En Guyane, la culture occidentale, les occidentaux, prennent et ne rendent pas.”

Pour Cindy, tout ce qui reste aux Autochtones, c’est la lutte. ” La place du Peuple Premier est réduite aujourd’hui à se battre pour une reconnaissance de son identité, pour avoir sa place dans la société française. Pour moi, aujourd’hui, le mot ‘Autochtone’ est égal au mot ‘lutte’… ” Est-ce que c’est normal que les Autochtones doivent se battre, pour avoir une place et pour qu’on les reconnaisse? Je ne pense pas.

“Aujourd’hui, on parle de pillage. Malheureusement, ce n’est pas un terme à prendre à la légère, car en dehors de ce crime, le pillage identitaire, il y a le pillage de Celle qui nous donne vie, Celle qui se réveille pour rappeler à l’homme sa petitesse. Les tremblements de terre, les séismes, on ne le comprend pas toujours, mais ça arrive quand même. Et si jamais la Maman Terre était en colère contre nous? Contre tout ce que nous lui faisons subir? C’est Celle qui nous berce, Celle qui nous nourrit, notre Maman la Terre. Nos ancêtres nous ont légué leur combat. Aujourd’hui, nous, la jeunesse, essayons de reprendre ce combat. Mais plutôt que d’être des victimes de ce système, même si, au fond, nous le sommes quand même, nous sommes des guerriers. Et là, je rassemble vraiment tous mes frères Autochtones. Mes frères Kanaks, passant par quelque chose qui n’est vraiment pas facile pour eux, et tous nos autres frères Autochtones. Nous sommes tous des guerriers et j’en suis heureuse, parce que sinon, aujourd’hui, nous ne serions pas là. Nous serions de bons petits Français qui croient en Jésus.”

Ensuite, Cindy parle du projet Montagne d’Or. ” Pourquoi ne lâcherons-nous pas face à Montagne d’Or? La réponse est simple et logique. Nous nous battons pour la Terre, nous nous battons pour la vie. Je me demande, en tant qu’être humain, ce dont nous avons le plus besoin dans nos vies. Nous avons besoin de boire de l’eau potable, nous avons besoin de manger, nous avons besoin de marcher, sur qui? Et qui nous donne tout ça? Encore une fois, c’est la Terre.”

“Montagne d’Or, pour ceux qui ne le savent pas, c’est un projet monumental qui veut s’installer en Guyane. C’est une fusion russo-canadienne qui s’appelle maintenant Montagne d’Or, dont Pierre Paris est le directeur général. Montagne d’Or, c’est 80 000 tonnes de déchets par jour, c’est 10 tonnes de cyanure par jour, 10 tonnes d’explosifs, 472 000 litres d’eau PAR HEURE, quand une population va mal. Montagne d’Or est un site à ciel ouvert, dans une zone tropicale où il pleut souvent. Alors, nous dire qu’il n’y aura pas d’accidents, j’ai du mal à le croire.”

“J’ai participé aux débats publics, qui ont eu lieu à Saint-Laurent-du-Maroni et à Cayenne. Vous n’imaginez pas à quel point on se sent petit face à ces gens-là. A quel point il faut s’affirmer pour leur dire ‘non’. Quand on voit un Pierre Paris qui se lève et qui dit “Je suis Pierre Paris et fier d’être le directeur de la Montagne d’Or”, ça donne des envies de crime, parfois… Mais en tous cas, nous avons tenu bon, nous avons montré nos couleurs, montré que nous étions là. Il y avait la jeunesse, il y avait les Anciens, il y avait aussi toutes les cultures guyanaises qui se sont mises avec nous, parce que ces cultures-là ont compris que, si nous arrivons à faire en sorte que la Montagne d’Or ne se fasse pas, la Terre ne va pas leur dire ‘Cindy m’a sauvée, alors que toi, je m’en fous’, non, pas du tout. Ces cultures-là ont compris qu’il s’agit d’un combat humain, que c’est un combat pour la vie, et nous le mènerons, nous irons jusqu’au bout. Et j’aimerais qu’à un moment donné, on puisse se rendre compte de ce que nos sociétés sont en train de nous faire, avec cette culture du capitalisme. Est-ce qu’un jour on pourrait réduire l’argent à ce qu’il est vraiment? Un morceau de papier. Est-ce qu’un jour on pourrait réduire l’or à ce que réellement? Un petit bout de caillou. Et ce sont ces choses pour lesquelles le monde se bat, pour lesquelles les gens s’entretuent. C’est à cause de ça que le sang coule, et coule encore.”

“Pour conclure, j’aimerais vous remercier de m’avoir écoutée, et je suis très contente d’être ici. Je remercie le CSIA de nous avoir invités, et de nous avoir permis quand même d’avoir la parole sur cette terre française. Demain, je rentre chez moi, mon combat continue et j’aimerais vraiment que la jeunesse, quelle que soit sa culture, puisse s’allier à nous face à ce projet. Le problème autour de notre identité, de l’Autochtone, c’est notre histoire. Nous nous battrons contre Montagne d’Or aussi, et sûrement avec la même virulence.

Je vous remercie de m’avoir écoutée.”

 

 

Depuis quelques mois déjà, les Autochtones de Guyane Française organisent des manifestations et des grèves qui ont fini par obliger les autorités à s’en préoccuper, et les médias à en parler. Le mouvement avait commencé bien avant, mais ce n’est que lorsque les grèves ont véritablement dérangé le cours paisible de la vie des colons et des autorités que les médias ont dû en parler hors de Guyane. Evidemment, les réactions du pouvoir français ne répondent en rien aux préoccupations des Autochtones. Cependant, l’existence et le mécontentement de la population Autochtone de Guyane est devenue visible. Le 14 octobre 2017, Christophe Pierre aka Yanuwana Tapoka, avait été invité à intervenir au cours de la Journée Annuelle de Solidarité avec les Indiens des Amériques, organisée pour la 37ème année par le CSIA-nitassinan. Vous trouverez ci-dessous la transcription de son intervention. Une délégation, en costume traditionnel, était montée sur scène juste avant, pour montrer aux Français présents “qu’il y a des Indiens Français”. J’ai choisi le titre, parmi les propos de Yanuwana et en suis seule responsable.

Christine Prat

 

Christophe Pierre, 14 octobre 2017
Transcription, photos, Christine Prat
In English

 

“Bonjour à tous. Je m’appelle Christophe Pierre dans la langue des colons, “Christophe” … mes parents avaient, je pense, un humour assez ironique – et Yanuwana Tapoka dans ma langue maternelle.

Pour commencer, je pense qu’il faut donner une description, une vision rapide de la situation et de l’histoire de la Guyane, qui est actuellement, si on parle de statut juridique, un département, une région française comme une autre. La Guyane, c’est quoi? La Guyane c’est en Amérique du Sud, c’est un territoire amazonien français. C’est 50% de la diversité biologique de l’Europe, 80% de la biodiversité de France, c’est 300 000 habitants à peu près, sur lesquels il y a une poignée d’Amérindiens qui ont survécu à la colonisation, une poignée: s’il fallait vraiment donner des chiffres, c’est dix à quinze mille aux dernières nouvelles, sur ces dix à quinze mille, on évalue aujourd’hui qu’à l’époque de l’arrivée des colons, il y avait environ 25 à 30 peuples, aujourd’hui il en reste six. Parmi ces six peuples, il y a les Kali’na, les Palikuyene et les Lokono, qui sont sur la bande littorale, et dans l’intérieur, il y a les Teko, les Wayãpi et les Wayana. Les problèmes sont différents, les rapports de force sont différents selon le positionnement géographique des peuples, mais le combat est quasiment le même depuis les années 1980.

Il y a eu le premier rassemblement des Amérindiens de Guyane, à Awala, en 1984, les 8 et 9 décembre 1984, et c’était la première fois que des jeunes – à l’époque ils étaient jeunes, aujourd’hui ce sont des Anciens – des jeunes Amérindiens, prenaient la parole face à l’institution française et prenaient une position politique. C’est à dire qu’une nouvelle forme de lutte commençait pour les Amérindiens de Guyane, lutte politique qui est symbolisée à travers le discours de Félix Tiouka, que je pense le CSIA a accompagnée, avec Alexis Tiouka, et d’autres. C’était des jeunes qui avaient fait les homes Indiens. Les homes Indiens, c’est enlever les enfants aux familles, enlever les enfants aux parents, et les mettre dans des internats catholiques où ils étaient obligés d’apprendre la religion catholique, chrétienne, dès l’âge de 5 ans, dès l’âge de 3 ans parfois, où il y avait l’interdiction de parler la langue maternelle et où, du coup, il y a eu une destruction massive de nos sociétés d’origine. 80 ans durant lesquels la France, à travers l’Eglise, les gérait et les gère toujours aujourd’hui … [la plupart des ‘homes’ sont maintenant fermés, il en reste au moins un, à cause du manque d’établissements scolaires dans certains territoires Autochtones]

On a un statut particulier en Guyane, qui fait que ça reste un territoire à évangéliser, puisque les prêtres sont toujours rémunérés par l’Etat français. On s’est retrouvés face à ce constat, face à une classe politique guyanaise qui ne voulait pas entendre parler des Amérindiens, face à la France qui avait presque exterminé les Amérindiens, physiquement, culturellement, identitairement. Dans les années 1980, c’est une jeunesse principalement menée par des leaders comme Alexis Tiouka, Félix Tiouka, Thomas Appolinaire, qui ont été, pendant les années qui ont suivi, des acteurs de la création des communes françaises, mais à gouvernance amérindienne, également de ce qu’on a appelé par la suite les zones de droit d’usage collectif. Les zones de droit d’usage collectif, c’est l’unique marge de manœuvre qu’on a, au niveau de la récupération des terres ancestrales.

Donc on se retrouve face à ça, des déclarations sont faites, et ensuite est créée l’Association des Amérindiens de Guyane française, qui va regrouper des membres de chaque nation, des six nations, qui par la suite va se transformer en la Fédération des Organisations Amérindiennes de Guyane (FOAG), et qui va pendant plusieurs années mener des luttes d’information à l’échelle internationale. La FOAG a utilisé plusieurs recours auprès de l’ONU et est venue plusieurs fois ici en France, pour rencontrer, par exemple, le Président Chirac, a participé à la reconnaissance des crimes constitués par les zoos humains au Jardin d’Acclimatation ici à Paris. En 1994, il y a eu une cérémonie ici, au Jardin d’Acclimatation où, en 1858, je crois, ou quelques années plus tard, des Kali’na ont été pris dans des villages et exposés parmi les zoos humains au Jardin d’Acclimatation, à Paris. La plupart d’entre eux ne sont jamais rentrés, ils sont morts de froid ou d’autre chose, et les corps, aujourd’hui, sont encore en la possession de la France. Les corps, ensuite, ont été disséqués, il y a eu des expériences sur eux, donc on essaie encore de mener un combat à ce niveau-là. Il y a eu une cérémonie pour faire reposer leur âme.

C’est notre histoire avec la France, jusque dans les années 2000, à peu près. Ensuite, il y a un calme plat, on n’entend plus parler des Amérindiens, les leaders de l’époque s’épuisent un peu, certains, je pense, ont démissionné, ont laissé tomber l’affaire, puisque, disons, que la destruction de l’identité Amérindienne était tellement avancée, que la population, même les villageois, étaient difficiles à mobiliser sur les affaires qui les concernaient directement. L’assimilation avait tellement avancé, qu’on a presque disparu en tant que peuple, en fait. En parallèle, dans l’intérieur, l’orpaillage illégal commence. A partir des années 2000, les premiers orpailleurs clandestins s’implantent sur les territoires Wayana et sur les territoires Teko. Avec tout ce que ça répercute, l’empoisonnement au mercure, l’empoisonnement des poissons, les malformations qui vont s’ensuivre pour les enfants … A plusieurs reprises, les Wayana tentent de prévenir l’Etat français, pour qu’il apporte une solution directe pour éliminer l’orpaillage illégal. Aujourd’hui on fait un constat, l’orpaillage illégal c’est environ 30 000 orpailleurs brésiliens sur une année, ou Guyanais du Guyana, qui sont présents dans le Parc National appelé Parc Amazonien de Guyane, et qui continuent à polluer les cours d’eau. Il y a 120 km de cours d’eau en Guyane, et aujourd’hui, si on fait vraiment un constat, il y a UN fleuve qui n’est pas pollué par l’orpaillage. Le plateau de la Guyane, le Nord de l’Amazonie, c’est quand même la deuxième réserve d’eau douce du monde, la chaîne de montagnes qui va de la frontière sud de la Guyane et du Brésil jusqu’au Venezuela, où commence ensuite l’Orénoque, est la source d’une partie de l’Amazone, qui est le plus grand fleuve du monde. C’est cette situation là à laquelle font face les Wayana, qui aujourd’hui rencontrent peu de soutien. Au niveau national, l’Etat met en place des missions, d’abord Anaconda, des opérations, mais qui sont inefficaces: c’est une vingtaine de gendarmes qui débarquent de temps en temps sur un site illégal; mais des sites illégaux, je crois qu’il y en a 275, cette année, qui ont été recensés, situés, mais il y en a encore d’autres qui ne sont pas recensés.

Donc il y a ce calme plat qui tombe jusque dans les années 2010, et là il y a un renouveau de l’identité amérindienne. Cela, on essaie toujours de le réexpliquer, mais je pense qu’on fait partie de la génération qui est allée au bout des choses. Dans les années 1980, c’était les premiers à avoir fait un peu d’études et à maîtriser déjà le français, et à comprendre les absurdités qu’on nous proposait. Dans les années 2010, nous faisions partie de la première génération qui sommes allés au bout des études supérieures, on avait un modèle de vie quasiment pareil à n’importe quel occidental. Mais en allant tout droit, en ayant fait le bout du chemin, on s’est rendu compte, d’abord de manière isolée, chaque membre de la mouvance autochtone, que ceci ne nous correspondait pas. On a reçu un enseignement, une éducation, traditionnels, puisque nous ne sommes pas allés dans les homes indiens, mais on n’a pas reçu tous les aspects de profondeur de l’identité amérindienne. Et quand on a fait ce constat là, ça a été très violent. Et du coup, on a commencé le processus inverse, de réappropriation de l’identité amérindienne, de l’identité de nos peuples respectifs. Donc, sur cette base-là, on se rend compte de ce qu’on nous propose, de ce qui se passe dans le monde entier, on a décidé de se prendre en main et de commencer des choses, mais différemment de nos anciens. Nos anciens, quelque part, avaient peur, étaient seuls, et se sentaient très isolés. Le dialogue, les échanges qu’ils ont eu avec la France n’étaient pas les mêmes que nous. Aujourd’hui, nous voulons que ça change, et pour ça, nous sommes prêts à tout. Donc, sur cette base-là, ‘nous sommes prêts à tout’, nous avons commencé à mener des actions, on s’est très rapidement rendu compte que l’État français avait bien fait son travail, que l’EMPIRE français a très bien fait son travail. La France est le pays colonisateur le plus doué au monde. Les États-Unis, tous les pays d’Amérique du Sud, sont des petits joueurs à côté de la France. Ils ont créé tous les procédés pour endormir les peuples. Et aujourd’hui, par exemple, la France a signé la Déclaration des Nations Unies sur la reconnaissance des Peuples Autochtones. Mais c’est du déclaratif. Actuellement, dans la Constitution, il est encore écrit que la Guyane est un territoire vacant et sans maître, que quand les Français sont arrivés, il n’y avait pas d’hommes, il n’y avait pas d’êtres humains sur la terre de la Guyane. Aujourd’hui, en réalisant ce qu’est le droit français, nous sommes des populations tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt. C’est ça le statut qu’on a. Et, on fait ce constat-là, aujourd’hui, on peut dire, en étant un peu léger, la lutte amérindienne en Guyane est redevenue un peu à la mode. Et c’est vrai que ça fait du bien. Et, pour rebondir sur ce qu’Edith disait tout à l’heure, pourquoi avons-nous dit ça, pourquoi sommes-nous le rêve le plus fou de nos ancêtres, c’est parce que 525 ans après la fin de notre monde, ce monde a disparu. Celui qu’on a eu pendant des milliers d’années, ce territoire-là qu’on a parcouru, à qui on appartenait et qui nous appartenait, c’est cette relation qu’on avait avec ces terres qui a disparu à ce moment-là. Tout a disparu. Au moment où nos mondes se rencontraient, ça a été la fin pour nous. Aujourd’hui, l’espoir, il n’y en a quasiment plus. Dans quelques années – on se donne 20 ans – dans 20 ans, on pourra faire le constat de ce qu’on a réussi ou pas. Nous n’avons pas des centaines d’années devant nous. Il y a 20 ans on pouvait dire ‘il est temps d’agir’, aujourd’hui ce temps-là est dépassé. Comment le dire? Il faut doublement agir, mais le monde que vous avez proposé, le monde avec lequel vous êtes venus, se dévore lui-même. Comment l’avez-vous fait? Je ne sais pas. Mais convaincre le monde entier que l’eau, que les forêts, que la terre et que l’air étaient des éléments secondaires qui pouvaient être détruits au nom d’une économie, au nom d’un développement, c’est quelque chose que je ne sais pas comment qualifier… Vous êtes des maîtres! C’est cette guérison-là que nous devons apporter, c’est comme ça que nous en parlons. Assainir les esprits, faire comprendre aux gens ce qui est basique. Donc, nous sommes là, un petit groupe de jeunes Amérindiens, avec un petit peu d’espoir quand même, et nous voulons changer les choses face à l’Etat français, doué pour asservir et pour endormir les peuples. Aujourd’hui, nous avons plusieurs points sur lesquels nous devons travailler, nous devons nous battre. Tout d’abord, l’urgence sanitaire, qu’on arrête enfin l’orpaillage illégal, et qu’on répare les choses, parce que c’est un devoir. Nous avons mal à la terre, nous n’avons pas pu empêcher cette blessure-là et cette plaie-là. Mais à un moment, il faut l’arrêter et après avoir arrêté, guérir, guérir la terre, guérir les eaux et guérir nos enfants. Ensuite, il y a une autre absurdité encore, qui est le projet de mine industrielle appelé “Montagne d’Or”. C’est un projet russo-canadien, de site d’exploitation minière d’or à l’échelle industrielle. Ce projet-là, c’est le premier du genre en Guyane. Aujourd’hui, il y a un mouvement en train de se créer autour du rejet de ce projet-là. Mais c’est ici que tout se décide, c’est à Paris que ça se pense, la centralisation c’est le fonctionnement de la France, c’est à Paris que tout se décide. Mais ce sont des choses qui nous concernent, qui vont porter atteinte à nos enfants. C’est ici que ça se décide, ça se décide chez vous, l’avenir de nos enfants se décide chez vous. C’est ce message-là qu’on est venu apporter aujourd’hui. […]

C’est ce que je voulais vous dire aujourd’hui. […] Il y a des points concrets sur lesquels nous pouvons batailler, sur lesquels nous pouvons tous collaborer, tous s’unir, parce que l’urgence, on est dedans depuis quelques années maintenant, et nous en voulons énormément à votre pays, et qu’à un moment, pour qu’il y ait réconciliation, pour qu’il y ait un pardon qui soit envisageable, il faut que chacun, vous reconnaissiez vos méfaits.”