CSIA-NITASSINAN: JOURNEE DE SOLIDARITE DU 13 OCTOBRE 2018
Cette Journée a aussi célébré le 40e annivesaire du CSIA et le 50e anniversaire de l’AIM
La Journée a débuté par une danse offerte par un groupe de jeunes Kanaks aux invités Amérindiens:
LES PARTICIPANTS
Voir le texte de son intervention
Nataanii Means, Diné (Navajo), Lakota, Omaha
Voir le texte de son intervention
Jimbo Simmons, Choctaw, de l’AIM
Voir le texte de son intervention
Voir le texte de son intervention
Félix Tiouka, Guyane “Française”
Vanessa Joseph, Ka’lina, Guyane “Française”,
Nicole Chanel, Teko, Guyane “Française”
Cindy Van der Pijl, Arawak/Lokono, Guyane “Française”
Voir le texte des trois interventions
Moëtai Brotherson, député, Tahiti
Mauro Millan, Mapuche, Argentine,
Natividad LLanquileo, Avocate Mapuche, Chili
Depuis quelques mois déjà, les Autochtones de Guyane Française organisent des manifestations et des grèves qui ont fini par obliger les autorités à s’en préoccuper, et les médias à en parler. Le mouvement avait commencé bien avant, mais ce n’est que lorsque les grèves ont véritablement dérangé le cours paisible de la vie des colons et des autorités que les médias ont dû en parler hors de Guyane. Evidemment, les réactions du pouvoir français ne répondent en rien aux préoccupations des Autochtones. Cependant, l’existence et le mécontentement de la population Autochtone de Guyane est devenue visible. Le 14 octobre 2017, Christophe Pierre aka Yanuwana Tapoka, avait été invité à intervenir au cours de la Journée Annuelle de Solidarité avec les Indiens des Amériques, organisée pour la 37ème année par le CSIA-nitassinan. Vous trouverez ci-dessous la transcription de son intervention. Une délégation, en costume traditionnel, était montée sur scène juste avant, pour montrer aux Français présents “qu’il y a des Indiens Français”. J’ai choisi le titre, parmi les propos de Yanuwana et en suis seule responsable.
Christine Prat
Christophe Pierre, 14 octobre 2017
Transcription, photos, Christine Prat
In English
“Bonjour à tous. Je m’appelle Christophe Pierre dans la langue des colons, “Christophe” … mes parents avaient, je pense, un humour assez ironique – et Yanuwana Tapoka dans ma langue maternelle.
Pour commencer, je pense qu’il faut donner une description, une vision rapide de la situation et de l’histoire de la Guyane, qui est actuellement, si on parle de statut juridique, un département, une région française comme une autre. La Guyane, c’est quoi? La Guyane c’est en Amérique du Sud, c’est un territoire amazonien français. C’est 50% de la diversité biologique de l’Europe, 80% de la biodiversité de France, c’est 300 000 habitants à peu près, sur lesquels il y a une poignée d’Amérindiens qui ont survécu à la colonisation, une poignée: s’il fallait vraiment donner des chiffres, c’est dix à quinze mille aux dernières nouvelles, sur ces dix à quinze mille, on évalue aujourd’hui qu’à l’époque de l’arrivée des colons, il y avait environ 25 à 30 peuples, aujourd’hui il en reste six. Parmi ces six peuples, il y a les Kali’na, les Palikuyene et les Lokono, qui sont sur la bande littorale, et dans l’intérieur, il y a les Teko, les Wayãpi et les Wayana. Les problèmes sont différents, les rapports de force sont différents selon le positionnement géographique des peuples, mais le combat est quasiment le même depuis les années 1980.
Il y a eu le premier rassemblement des Amérindiens de Guyane, à Awala, en 1984, les 8 et 9 décembre 1984, et c’était la première fois que des jeunes – à l’époque ils étaient jeunes, aujourd’hui ce sont des Anciens – des jeunes Amérindiens, prenaient la parole face à l’institution française et prenaient une position politique. C’est à dire qu’une nouvelle forme de lutte commençait pour les Amérindiens de Guyane, lutte politique qui est symbolisée à travers le discours de Félix Tiouka, que je pense le CSIA a accompagnée, avec Alexis Tiouka, et d’autres. C’était des jeunes qui avaient fait les homes Indiens. Les homes Indiens, c’est enlever les enfants aux familles, enlever les enfants aux parents, et les mettre dans des internats catholiques où ils étaient obligés d’apprendre la religion catholique, chrétienne, dès l’âge de 5 ans, dès l’âge de 3 ans parfois, où il y avait l’interdiction de parler la langue maternelle et où, du coup, il y a eu une destruction massive de nos sociétés d’origine. 80 ans durant lesquels la France, à travers l’Eglise, les gérait et les gère toujours aujourd’hui … [la plupart des ‘homes’ sont maintenant fermés, il en reste au moins un, à cause du manque d’établissements scolaires dans certains territoires Autochtones]
On a un statut particulier en Guyane, qui fait que ça reste un territoire à évangéliser, puisque les prêtres sont toujours rémunérés par l’Etat français. On s’est retrouvés face à ce constat, face à une classe politique guyanaise qui ne voulait pas entendre parler des Amérindiens, face à la France qui avait presque exterminé les Amérindiens, physiquement, culturellement, identitairement. Dans les années 1980, c’est une jeunesse principalement menée par des leaders comme Alexis Tiouka, Félix Tiouka, Thomas Appolinaire, qui ont été, pendant les années qui ont suivi, des acteurs de la création des communes françaises, mais à gouvernance amérindienne, également de ce qu’on a appelé par la suite les zones de droit d’usage collectif. Les zones de droit d’usage collectif, c’est l’unique marge de manœuvre qu’on a, au niveau de la récupération des terres ancestrales.
Donc on se retrouve face à ça, des déclarations sont faites, et ensuite est créée l’Association des Amérindiens de Guyane française, qui va regrouper des membres de chaque nation, des six nations, qui par la suite va se transformer en la Fédération des Organisations Amérindiennes de Guyane (FOAG), et qui va pendant plusieurs années mener des luttes d’information à l’échelle internationale. La FOAG a utilisé plusieurs recours auprès de l’ONU et est venue plusieurs fois ici en France, pour rencontrer, par exemple, le Président Chirac, a participé à la reconnaissance des crimes constitués par les zoos humains au Jardin d’Acclimatation ici à Paris. En 1994, il y a eu une cérémonie ici, au Jardin d’Acclimatation où, en 1858, je crois, ou quelques années plus tard, des Kali’na ont été pris dans des villages et exposés parmi les zoos humains au Jardin d’Acclimatation, à Paris. La plupart d’entre eux ne sont jamais rentrés, ils sont morts de froid ou d’autre chose, et les corps, aujourd’hui, sont encore en la possession de la France. Les corps, ensuite, ont été disséqués, il y a eu des expériences sur eux, donc on essaie encore de mener un combat à ce niveau-là. Il y a eu une cérémonie pour faire reposer leur âme.
C’est notre histoire avec la France, jusque dans les années 2000, à peu près. Ensuite, il y a un calme plat, on n’entend plus parler des Amérindiens, les leaders de l’époque s’épuisent un peu, certains, je pense, ont démissionné, ont laissé tomber l’affaire, puisque, disons, que la destruction de l’identité Amérindienne était tellement avancée, que la population, même les villageois, étaient difficiles à mobiliser sur les affaires qui les concernaient directement. L’assimilation avait tellement avancé, qu’on a presque disparu en tant que peuple, en fait. En parallèle, dans l’intérieur, l’orpaillage illégal commence. A partir des années 2000, les premiers orpailleurs clandestins s’implantent sur les territoires Wayana et sur les territoires Teko. Avec tout ce que ça répercute, l’empoisonnement au mercure, l’empoisonnement des poissons, les malformations qui vont s’ensuivre pour les enfants … A plusieurs reprises, les Wayana tentent de prévenir l’Etat français, pour qu’il apporte une solution directe pour éliminer l’orpaillage illégal. Aujourd’hui on fait un constat, l’orpaillage illégal c’est environ 30 000 orpailleurs brésiliens sur une année, ou Guyanais du Guyana, qui sont présents dans le Parc National appelé Parc Amazonien de Guyane, et qui continuent à polluer les cours d’eau. Il y a 120 km de cours d’eau en Guyane, et aujourd’hui, si on fait vraiment un constat, il y a UN fleuve qui n’est pas pollué par l’orpaillage. Le plateau de la Guyane, le Nord de l’Amazonie, c’est quand même la deuxième réserve d’eau douce du monde, la chaîne de montagnes qui va de la frontière sud de la Guyane et du Brésil jusqu’au Venezuela, où commence ensuite l’Orénoque, est la source d’une partie de l’Amazone, qui est le plus grand fleuve du monde. C’est cette situation là à laquelle font face les Wayana, qui aujourd’hui rencontrent peu de soutien. Au niveau national, l’Etat met en place des missions, d’abord Anaconda, des opérations, mais qui sont inefficaces: c’est une vingtaine de gendarmes qui débarquent de temps en temps sur un site illégal; mais des sites illégaux, je crois qu’il y en a 275, cette année, qui ont été recensés, situés, mais il y en a encore d’autres qui ne sont pas recensés.
Donc il y a ce calme plat qui tombe jusque dans les années 2010, et là il y a un renouveau de l’identité amérindienne. Cela, on essaie toujours de le réexpliquer, mais je pense qu’on fait partie de la génération qui est allée au bout des choses. Dans les années 1980, c’était les premiers à avoir fait un peu d’études et à maîtriser déjà le français, et à comprendre les absurdités qu’on nous proposait. Dans les années 2010, nous faisions partie de la première génération qui sommes allés au bout des études supérieures, on avait un modèle de vie quasiment pareil à n’importe quel occidental. Mais en allant tout droit, en ayant fait le bout du chemin, on s’est rendu compte, d’abord de manière isolée, chaque membre de la mouvance autochtone, que ceci ne nous correspondait pas. On a reçu un enseignement, une éducation, traditionnels, puisque nous ne sommes pas allés dans les homes indiens, mais on n’a pas reçu tous les aspects de profondeur de l’identité amérindienne. Et quand on a fait ce constat là, ça a été très violent. Et du coup, on a commencé le processus inverse, de réappropriation de l’identité amérindienne, de l’identité de nos peuples respectifs. Donc, sur cette base-là, on se rend compte de ce qu’on nous propose, de ce qui se passe dans le monde entier, on a décidé de se prendre en main et de commencer des choses, mais différemment de nos anciens. Nos anciens, quelque part, avaient peur, étaient seuls, et se sentaient très isolés. Le dialogue, les échanges qu’ils ont eu avec la France n’étaient pas les mêmes que nous. Aujourd’hui, nous voulons que ça change, et pour ça, nous sommes prêts à tout. Donc, sur cette base-là, ‘nous sommes prêts à tout’, nous avons commencé à mener des actions, on s’est très rapidement rendu compte que l’État français avait bien fait son travail, que l’EMPIRE français a très bien fait son travail. La France est le pays colonisateur le plus doué au monde. Les États-Unis, tous les pays d’Amérique du Sud, sont des petits joueurs à côté de la France. Ils ont créé tous les procédés pour endormir les peuples. Et aujourd’hui, par exemple, la France a signé la Déclaration des Nations Unies sur la reconnaissance des Peuples Autochtones. Mais c’est du déclaratif. Actuellement, dans la Constitution, il est encore écrit que la Guyane est un territoire vacant et sans maître, que quand les Français sont arrivés, il n’y avait pas d’hommes, il n’y avait pas d’êtres humains sur la terre de la Guyane. Aujourd’hui, en réalisant ce qu’est le droit français, nous sommes des populations tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt. C’est ça le statut qu’on a. Et, on fait ce constat-là, aujourd’hui, on peut dire, en étant un peu léger, la lutte amérindienne en Guyane est redevenue un peu à la mode. Et c’est vrai que ça fait du bien. Et, pour rebondir sur ce qu’Edith disait tout à l’heure, pourquoi avons-nous dit ça, pourquoi sommes-nous le rêve le plus fou de nos ancêtres, c’est parce que 525 ans après la fin de notre monde, ce monde a disparu. Celui qu’on a eu pendant des milliers d’années, ce territoire-là qu’on a parcouru, à qui on appartenait et qui nous appartenait, c’est cette relation qu’on avait avec ces terres qui a disparu à ce moment-là. Tout a disparu. Au moment où nos mondes se rencontraient, ça a été la fin pour nous. Aujourd’hui, l’espoir, il n’y en a quasiment plus. Dans quelques années – on se donne 20 ans – dans 20 ans, on pourra faire le constat de ce qu’on a réussi ou pas. Nous n’avons pas des centaines d’années devant nous. Il y a 20 ans on pouvait dire ‘il est temps d’agir’, aujourd’hui ce temps-là est dépassé. Comment le dire? Il faut doublement agir, mais le monde que vous avez proposé, le monde avec lequel vous êtes venus, se dévore lui-même. Comment l’avez-vous fait? Je ne sais pas. Mais convaincre le monde entier que l’eau, que les forêts, que la terre et que l’air étaient des éléments secondaires qui pouvaient être détruits au nom d’une économie, au nom d’un développement, c’est quelque chose que je ne sais pas comment qualifier… Vous êtes des maîtres! C’est cette guérison-là que nous devons apporter, c’est comme ça que nous en parlons. Assainir les esprits, faire comprendre aux gens ce qui est basique. Donc, nous sommes là, un petit groupe de jeunes Amérindiens, avec un petit peu d’espoir quand même, et nous voulons changer les choses face à l’Etat français, doué pour asservir et pour endormir les peuples. Aujourd’hui, nous avons plusieurs points sur lesquels nous devons travailler, nous devons nous battre. Tout d’abord, l’urgence sanitaire, qu’on arrête enfin l’orpaillage illégal, et qu’on répare les choses, parce que c’est un devoir. Nous avons mal à la terre, nous n’avons pas pu empêcher cette blessure-là et cette plaie-là. Mais à un moment, il faut l’arrêter et après avoir arrêté, guérir, guérir la terre, guérir les eaux et guérir nos enfants. Ensuite, il y a une autre absurdité encore, qui est le projet de mine industrielle appelé “Montagne d’Or”. C’est un projet russo-canadien, de site d’exploitation minière d’or à l’échelle industrielle. Ce projet-là, c’est le premier du genre en Guyane. Aujourd’hui, il y a un mouvement en train de se créer autour du rejet de ce projet-là. Mais c’est ici que tout se décide, c’est à Paris que ça se pense, la centralisation c’est le fonctionnement de la France, c’est à Paris que tout se décide. Mais ce sont des choses qui nous concernent, qui vont porter atteinte à nos enfants. C’est ici que ça se décide, ça se décide chez vous, l’avenir de nos enfants se décide chez vous. C’est ce message-là qu’on est venu apporter aujourd’hui. […]
C’est ce que je voulais vous dire aujourd’hui. […] Il y a des points concrets sur lesquels nous pouvons batailler, sur lesquels nous pouvons tous collaborer, tous s’unir, parce que l’urgence, on est dedans depuis quelques années maintenant, et nous en voulons énormément à votre pays, et qu’à un moment, pour qu’il y ait réconciliation, pour qu’il y ait un pardon qui soit envisageable, il faut que chacun, vous reconnaissiez vos méfaits.”