Vanessa Joseph et Clarisse Da Silva
Jeunesse Autochtone de Guyane
12 octobre 2019
Journée Annuelle de Solidarité, CSIA-nitassinan
Transcription et photos Christine Prat
Vanessa Joseph et Clarisse Da Silva, représentantes de la Jeunesse Autochtone de Guyane, ont participé à une table ronde, modérée par la journaliste Anne Pastor, au cours de la Journée Annuelle de Solidarité du CSIA-nitassinan, cette année consacrée au thème des Femmes Autochtones en lutte.
Anne Pastor : […] En Guyane avec le fameux projet de Montagne d’Or, qui pourrait affecter de manière définitive le territoire, ce territoire français.
Vanessa Joseph : C’est un projet qui est « abandonné », avec de gros guillemets…
Anne Pastor : Justement, avec de gros guillemets. Alors, est-ce qu’il y a des gens qui ne connaissent pas encore le projet ? Vous voulez un petit rappel, sur le projet ?
Vanessa : Le projet Montagne d’Or est un projet de méga mine, donc large comme deux stades de France, suffisamment profond pour y mettre la Tour Eiffel sans qu’on en voie le sommet. Ils avaient l’intention de le faire en Guyane. Finalement, la population s’y est opposée, en tous cas une partie de la population. La pression nationale a fait que le Président est revenu sur sa décision et a décidé de mettre fin à ce projet, en tous cas le projet en l’état. A l’ONU, il y a quelques semaines, ils ont confirmé l’abandon de ce projet. Mais en fait, c’est plutôt une transformation du projet. Le projet en lui-même n’est pas validé, je pense dans sa dimension, dans tout ce qui avait été prévu pour le fonctionnement de cette mine. Aujourd’hui, on nous propose d’autres types de mines, des mines plus ‘vertes’, les mines les plus propres possibles, sachant qu’il n’y aura jamais de mine propre, elle rejettera toujours des déchets. Une mine reste une mine. Après, il y a des gens qui travaillent dans ce domaine, on verra où tout cela va nous mener. En tous cas, le projet Montagne d’Or n’est pas abandonné, il est juste abandonné en l’état, il va juste être modifié, c’est tout ce qu’il faut retenir.
Anne Pastor : D’autant que votre nature est déjà malmenée…
Vanessa : Oui, en tous cas, je suis sûre qu’il y a aussi des choses dont nous ne sommes pas au courant. Entre le bois, l’or et d’autres minerais qui font l’objet de recherches actuellement… Et il y a aussi l’orpaillage illégal, donc l’utilisation du mercure par les garimpeiros, des orpailleurs illégaux qui sont d’origine brésilienne pour la plupart. Il y a aussi des Surinamiens, il y a aussi des Français qui y participent. Donc, il y a utilisation de mercure, qui est rejeté dans les eaux de Guyane, donc les principaux fleuves sont touchés.
Anne Pastor : Ça a quand même des conséquences sur la chasse, la pêche, et forcément sur la santé des Amérindiens et des enfants.
Vanessa : La vie dans les villages tout court aussi. On sait très bien que la consommation de mercure porte atteinte à la santé de la personne, que ce soit des adultes ou des enfants, et des enfants à naître. L’orpaillage illégal amène aussi toutes sortes de trafics, des trafics d’humains, de la prostitution. Il n’est pas rare de voir des cas de prostitution dans nos forêts, des assassinats, des échanges de tirs avec les villages. J’ai pu le voir dans un reportage il y a quelques années, ils appelaient la Guyane le ‘Far West français’. Et dans l’intérieur, il est vrai que ça y ressemble plus ou moins. Pas totalement, ce n’est pas exactement ce qu’on essaie de vous faire croire, mais quand on vous dit qu’il y a des échanges de tirs, que certains villages vivent dans la crainte, c’est vrai.
Anne Pastor : Alors, effectivement, un climat d’insécurité et de violence qu’on trouve aussi, malheureusement, au Brésil, en Amazonie…
[Intervention de Daiara Tukano, voir article]
Anne Pastor : Est-ce que vous voulez rebondir sur la dernière phrase de Patricia Gualinga ? Qui dit que ce concept de forêt vivante pourrait être une alternative, en tous cas une idée à résoudre les conséquences du changement climatique, et en ce sens, le message qu’elle prononce à chaque conférence, est un peu celui-là. Aujourd’hui elle s’adresse au monde entier. En tous cas, on voit bien que, à travers l’importance des Droits de la Nature, de la Terre, et finalement toute la question toute la question identitaire qui est posée. Et, en particulier, pour vous, les Kali’na, vous qui êtes là depuis près de 10 000 ans sur votre terre d’origine, qui essayez de continuer à vivre avec votre mode de vie, votre langue, vos croyances, vous êtes engagés depuis quelques décennies dans un processus de revendications territoriales, de reconquête, même, de la terre,
Clarisse Da Silva : Là, on parle beaucoup de droit à la terre, de la relation avec la terre, donc c’est un sujet sensible en ce moment. Je pense que l’on va plus parler de la relation que nous avons avec la tradition et les cultures, donc la question identitaire en soi. Je suis artiste Kali’na, dans mon travail artistique je traite beaucoup de la question la question identitaire, la question de l’Autochtonie, de la relation que les jeunes ont avec les traditions, les coutumes, etc. Aujourd’hui, il faut savoir qu’en Guyane il y a une perdition de la culture. Je fais partie de cette génération qui n’a pas grandi avec la culture. C’est la conséquence des ‘homes Amérindiens’ – les Pensionnats. C’était une éducation religieuse obligatoire. Ma mère y est allée, toutes mes tantes et mes tontons y sont allés. Il y avait une évangélisation, une éducation à la française, il fallait chanter ‘La Marseillaise’, les langues Autochtones étaient interdites, et c’était toujours le cas il y a quelques années, c’est ce que nous avions dénoncé également. En internat ou en famille d’accueil, c’était pareil. Je pense, qu’inconsciemment, ma mère regardait ce processus selon lequel il ne fallait pas parler notre langue, donc nous avons grandi avec ça, nous ne parlons pas la langue Kali’na. Maintenant, nous faisons un travail là-dessus, nous essayons d’apprendre de plus en plus quelques mots, quelques phrases, ce qui n’est déjà pas mal. Mais avec le choc des sociétés, le mode de vie à l’occidentale, le développement, je ne suis pas en tenue traditionnelle, je porte des Airforce One, un pull à la mode, je parle français, je vais à l’école. Donc ma relation avec la tradition est un peu compliquée, je n’ai pas été tout de suite intéressée par tout ce qui était culturel. J’ai commencé à me revendiquer à l’âge de treize ans, puisque c’est quand j’ai commencé mon travail artistique. Ensuite, lorsqu’il y a eu des mouvements sociaux et une très forte revendication identitaire, ça a engagé les jeunes, d’où la visibilité de la Jeunesse Autochtone de Guyane. Maintenant nous essayons de nous réapproprier toute cette relation. Aujourd’hui encore il y a très peu de jeunes qui font l’effort d’aller en forêt, ils sont très peu intéressés. J’ai été l’une des premières jeunes qui suis allée en forêt avec Jean-Jacques Agevi, qui est un très grand artiste Kali’na, qui fait un travail de réappropriation. Et il faut ensuite pouvoir garder en tête et transmettre aux jeunes tout ce travail culturel. C’est vrai qu’aujourd’hui c’est très compliqué, il y a encore des histoires à apprendre, en tant que jeune, j’en apprend tous les jours.
Anne Pastor : Alors il faut quand même préciser, pour ceux qui ne connaissent pas bien ce sujet-là, c’est-à-dire qu’effectivement, avec la scolarisation massive, en particulier pour ceux qui étaient à l’intérieur, les 3000 Wayana ou Wayampi, ils devaient quitter, en fait, leur famille dès l’âge de onze ans pour aller sur le littoral, donc ils ne pouvaient pas suivre l’enseignement traditionnel, et, au bout du compte, c’est une génération qui est aussi en perte de repères. On parle beaucoup de drogue, d’alcool, mais aussi et surtout, et vous en avez beaucoup parlé, de taux de suicides absolument énormes, de vingt fois supérieurs à la moyenne nationale. Je crois que depuis le mois de janvier, dans la communauté Wayana, ils ne sont que 1500, et il y a quand même eu 13 suicides. C’est absolument énorme et, effectivement, peut-être que cette reconnexion, et ce travail que vous faites à travers l’art, permet de retrouver un peu toutes ces valeurs traditionnelles et de savoir qui ont est.
Clarisse : Effectivement. Aujourd’hui, la particularité de notre génération c’est qu’elle vit entre deux mondes et elle doit faire avec ces deux mondes. C’est-à-dire que nous devons pouvoir avancer avec notre identité, donc avec les coutumes, pour garder une connexion avec nos Anciens, avoir une connexion avec notre identité. Mais il faut aussi savoir s’intégrer, on parle beaucoup d’adaptation, c’est ce que nous faisons depuis des années. C’est souvent difficile, on le voit avec les suicides de jeunes Amérindiens. Ils sont ne sont pas habitués à la vie en ville, ils sont complètement en terre inconnue. C’est quelque chose que j’ai connu moi-même, je vis depuis un an en métropole, c’était très compliqué. C’est un autre mode de vie, nous sommes loin de la famille, loin du cocon familial. Heureusement, j’avais mes sœurs avec moi. Mais imaginez des jeunes qui partent tous seuls, c’est déjà difficile à Cayenne, alors imaginez, en France métropolitaine ! Et on parle aussi beaucoup de discrimination. Moi, j’étais en prépa artistique, j’ai voulu développer tout ce travail artistique autour de la culture et de la tradition, et c’est vrai qu’au cours de cette année, même si je me suis rendu compte, un peu trop tard à mon goût, ce qui a développé mon mal-être c’est le fait qu’on ait voulu contrôler mes messages, qu’on ait voulu contrôler cette quête identitaire. Certaines fois, on ne voulait pas que je fasse certaines choses, on voulait que je retire des symboles Kali’na de certaines productions, on voulait complètement déformer des dessins. C’était déjà assez violent, donc, si moi je l’ai vécu comme ça, et pourtant il y a pire, on peut se demander comment ça doit être pour des jeunes qui sont sans repères.
Anne Pastor : Finalement, ce que vous revendiquez c’est une identité propre, un droit aussi à la différence, d’être vous-même dans cet Etat français…
Clarisse : Oui !
Anne Pastor : Oui, mais il faut quand même le réaffirmer, parce que ce n’est pas forcément évident. Quand on suit, par exemple, des cours au collège et qu’on entend parler de TGV, d’autoroutes, on a l’impression qu’effectivement, toute l’identité Autochtone est totalement mise à part. exclue…
Clarisse : En fait, en Guyane, c’est autre chose. C’est une terre pluriculturelle, tout le monde vit en communauté. Nous sommes conscients de ce qu’il y a des Peuples Autochtones, qu’il y a des Peuples Bushinengués, des communautés créoles, haïtiennes, brésiliennes, etc. Nous vivons au quotidien avec ces différences, mais nous ne les voyons pas, ces différences. Un sujet sur lequel je travaille beaucoup aussi, c’est la manière dont l’ancienne génération vivait la Guyane et dans laquelle, maintenant, la nouvelle génération grandit. Avant, on voyait qu’il y avait d’un côté les Créoles, les Amérindiens de l’autre. Aujourd’hui, c’est un peu différent. Nous allons à l’école avec tout le monde, dans ma classe il y a des Créoles et des Brésiliens, des Bushinengués et des Hmong, et nous ne voyons pas nos différences. Je suis amie avec des Créoles, nous parlons facilement des problèmes politiques. Nous n’avons pas la même vision que la génération d’avant. Nous avons plus de facilités pour communiquer, et nous disons souvent que c’est quand la nouvelle génération va reprendre le flambeau que ça va mieux se passer. Et à l’école, j’ai toujours eu la chance d’avoir des professeurs qui nous faisaient des cours sur l’histoire de Guyane, qui nous poussaient à valoriser nos différences, valoriser nos cultures, donc, sur ce plan, nous avons été très bien encadrés. Je parle plus de la France métropolitaine où c’est difficile, mais en Guyane on commence à faire un travail de valorisation des cultures et je trouve que c’est une bonne chose, car en Guyane je ne me sens pas forcément mal. Ce n’est pas comme en métropole.
Anne Pastor : Effectivement. Et puis il y a des projets qui sont initiés, comme le projet SAWA [Savoirs Autochtones Wayana et Apalaï], qui est un projet qui a été initié par des anthropologues, le Quai Branly avec les Wayana, qui effectivement concerne leurs objets, parce que malheureusement, ces cinquante dernières années tous leurs objets ont disparu, ont été volés ou ont été vendus. Et donc, aujourd’hui, ils vont les voir dans les musées et font tout un travail de réappropriation de leur culture et de leur identité.
[Intervention de Daiara Tukano, voir article]