Daiara Tukano, du peuple Tukano du Brésil, était l’une des invitées Autochtones de la Journée Annuelle de Solidarité organisée par le CSIA-Nitassinan. La table ronde à laquelle elle a participé, avec Vanessa Joseph et Clarisse Da Silva, de la Jeunesse Autochtone de Guyane, était modérée par la journaliste Anne Pastor. Le texte ci-dessous est une transcription de l’intervention de Daiara.
Christine Prat
Daiara Tukano English
12 octobre 2019
Transcription et photos Christine Prat, CSIA
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Anne Pastor : Disons, qu’il [Bolsonaro] a pris très, très clairement position. Je crois que durant la campagne, il disait même que les lois de protection de la forêt représentaient un obstacle au développement économique du pays, et il avait promis de les faire tomber. On a l’impression quand même qu’il tient parole.
Daiara Tukano : Ce monsieur, au moins, paraît très engagé à réaliser ce qu’il dit, ce qui n’était pas nécessairement le cas du gouvernement antérieur. Mais l’Amazonie a toujours été cible de toutes sortes d’attaques et la lutte des Peuples Autochtones au Brésil est une lutte permanente depuis au moins 519 ans. Et ce n’est pas un gouvernement qui puisse être plus violent que l’autre, c’est une violence permanente. Cependant, en ce moment au Brésil, il faut bien dire que la violence s’institutionalise, par le discours du chef de l’Etat, qui apporte une espèce d’impunité à tous les crimes qui sont commis sur nos territoires et contre notre population.
Anne Pastor : Il est même extrêmement clément concernant l’abattage, par exemple, forestier !
Daiara : Oui ! Je ne sais pas personnellement si c’est intéressant de parler directement de ce monsieur comme ça, au début de cette discussion, parce que le mouvement Autochtone a beaucoup plus de choses à dire. Également, pour cette table ronde, qui a pour titre ‘Notre corps, Notre territoire, Notre esprit’. ‘Notre Territoire’, c’était le titre de la première marche des femmes Autochtones, que nous avons réalisée au mois d’août à Brasilia et qui a marqué un moment très important où les femmes sont sorties d’un peu partout dans le pays. On a rassemblé 1500 femmes de partout pour marcher, face à cette situation qu’est le gouvernement actuel.
Evidemment, l’Amazonie a toujours été en danger, elle a été en danger depuis 1500, au moins. Sur nos territoires, c’est le point de vue de l’exploitation de ce qu’on appelle les ressources naturelles et aussi la continuité d’une relation coloniale, raciste, qui continue à essayer d’envahir tous nos territoires d’existence, non pas seulement les territoires physiques, la terre elle-même, mais aussi à nier l’existence des Peuples Autochtones. Donc, c’est quelque chose de bien plus complexe que seulement le gouvernement Bolsonaro, et c’est clair qu’en ce moment, on est arrivé à une situation de déboisement qui met la forêt en danger imminent. Il y a encore une vingtaine d’années, une trentaine d’années peut-être, quand nous avons eu l’Eco 92 à Rio de Janeiro, il y avait déjà 1000 alertes, montrant que la déforestation en Amazonie avait une limite, avant que la forêt ne commence à s’affaiblir d’une façon irréversible, limite qui à l’époque était de 20% de déforestation. Et seulement cette année, avec le gouvernement Bolsonaro et avec cette garantie d’impunité des grands fermiers, des grands propriétaires terriens, et la promesse d’une exploitation minière en Amazonie et aussi l’exercice de tentatives de flexibiliser tous les droits environnementaux pour permettre que cette exploitation soit faite, on a déjà dépassé de loin les 20% qui tenaient la forêt debout, et ce n’est pas pour rien qu’elle commence à brûler un peu partout, de façon criminelle, et ce n’est pas pour rien non plus que les grandes industries, le grand lobby de l’agro-business et de l’exploitation minière font de plus en plus pression sur le gouvernement – c’était aussi le cas pour les gouvernements antérieurs – pour construire un discours où, encore une fois, le progrès économique se fiche absolument de la vie des Peuples Autochtones, de la vie de la forêt, et de tout ce qu’il y a dedans.
Anne Pastor : Mais il me paraissait important de recontextualiser et de préciser qu’effectivement, depuis 2018, le processus s’est accéléré, et qu’on est aujourd’hui véritablement en situation de danger. […]
[Intervention de Vanessa Joseph, de la Jeunesse Autochtone de Guyane. Voir article.]
Anne Pastor : Alors, effectivement, un climat d’insécurité et de violence qu’on trouve aussi, malheureusement, au Brésil, en Amazonie…
Daiara Tukano : Donc, comme je le disais auparavant, cette histoire existe depuis longtemps, c’est l’histoire de la colonisation, l’histoire du génocide, et dans la région où mon peuple habite à la frontière entre le Brésil, la Colombie et le Vénézuela, c’est aussi un grand couloir pour toutes sortes de trafics. C’est aussi un espace qui est très ciblé par le gouvernement actuel pour l’exploitation minière, principalement près du Pico Da Nablina, pour l’exploitation de niobium, un métal qui, apparemment, coûte très cher. Mais tout ce contexte d’exploitation a toujours été mis en avant, dans une vision de développement. Et il faut dire que la colonisation est accompagnée presque forcément d’un racisme qui est devenu structurel dans notre société et qui crée plusieurs mécanismes pour affaiblir nos sociétés Autochtones, la société des peuples-racine dans nos territoires. Ça inclut la négation de notre identité, de notre culture, de nos langues, l’absence de l’Etat dans toutes les politiques publiques possibles. Donc ce sont toujours des populations qui ont un très mauvais accès à l’éducation, à la santé, aux transports, à la communication, etc. et qui continuent à être invisibilisées délibérément par les médias et ceux qui les tiennent, au pouvoir, au gouvernement, et par les intérêts des grandes industries. Dans le cadre de mon travail, on voit que c’est le cas partout dans le monde, que ce soit en Sibérie, où la forêt était également en flamme et où il y a aussi des territoires attaqués par l’orpaillage illégal, etc., au Canada ou aux Etats-Unis où c’est la même situation en ce qui concerne l’exploitation du pétrole, c’est la même situation un peu partout et c’est la continuité du génocide, du colonialisme et de ce racisme qui est absolument tabou dans une société qui se croit globalisée et post-coloniale. Pour nous, notre réalité est bien différente de ce que les gens apprennent à l’école et même à l’Université. Personne n’en parle, donc il faut que nous en parlions.
Anne Pastor : C’est pourquoi je disais au début de notre conférence qu’il est temps de vous écouter, d’autant plus que vous êtes une sorte de laboratoire d’idées pour demain, ne serait-ce que par rapport à cette Amazonie. Quand même, la sauver c’est l’avenir aussi de notre planète et vous vous positionnez tous, Amérindiens, mais aussi les Peuples de Sibérie dont vous parlez comme les gardiens de cette nature. Il faut repenser le monde et repenser son rapport à la nature.
Daiara : Moi je trouve absolument cynique cette idée d’aujourd’hui, au XXIème siècle, de chercher partout et d’inviter des Autochtones pour leur demander comment on sauve la planète. Et je n’aime pas non plus ce mot ‘Amérindiens’, parce que l’Inde c’est sur un autre continent, et puis on peut utiliser d’autres mots. Donc, si, aujourd’hui dans les territoires Autochtones on a quand même la présence de 80% de la biodiversité de la planète, ce n’est pas pour rien, c’est à cause de notre culture, de notre relation au monde, et du fait que nous nous considérons comme faisant partie de la nature, et non pas que la nature nous appartienne. Il est question d’une série de valeurs – on peut utiliser un gros mot – d’une épistémologie qui est différente dans cette relation avec l’univers et si nous continuons d’exister en tant qu’Autochtones, c’est justement parce que nous avons une pensée, une identité, une relation avec le monde qui subsistent, qui continuent. Nous n’avons pas totalement été colonisés, donc le colonialisme, tant pis pour vous, n’est pas totalement réalisé, nous continuons à résister, notre existence est notre résistance, et ce que nous avons à partager, c’est justement peut-être la possibilité d’autres valeurs. Je trouve très intéressant que les gens aient commencé à discuter, enfin à réfléchir à la colonisation, puisque nous sommes tous enfants de la colonisation. Nous n’allons pas ici questionner l’histoire, nous n’allons pas revenir en arrière, ce n’est pas possible. Mais, quand on parle de pensée ‘décoloniale’, on dénonce beaucoup de violence, mais on fait très peu de propositions. Donc, personnellement, je suis plutôt partante pour le contre-colonialisme, et quand je dis ‘contre-colonialisme’, c’est partager d’autres valeurs, celles qui sont présentes dans nos sociétés. Ça ne veut pas dire que ce partage passe par l’imposition d’autres idées, mais plutôt par le partage de relations de vie. Sinon on va dire ‘Ah, maintenant il y a les Autochtones qui veulent coloniser l’Europe’, mais il n’y a pas grand-chose qui nous intéresse par-là, c’est un territoire plutôt infertile. Ce qui est fertile, par contre, c’est la curiosité des gens et le désir de vouloir faire quelque chose de différent. Et, ce que je peux dire en ce qui concerne la forêt, par exemple – j’en parlais en Angleterre avec nos alliés d’Extinction Rebellion qui font un peu de bruit un peu partout – c’est que c’est nécessaire et très important de mettre des posters et de dénoncer les violences, mais une forêt ça ne se plante pas et ça ne se tient pas debout avec des posters, il n’y a pas de planète B. C’est important de s’aimer, c’est important de planter une forêt, et pour planter une forêt, il faut avoir un compromis de vie. Une forêt se plante, au minimum, pour commencer à naître dans une vingtaine d’années. Donc, ce n’est pas un mouvement pour le week-end, ce n’est pas quelque chose dont il suffit de faire un joli film, un reportage ou une belle photo et dire qu’on donne du soutien à la lutte des Peuples Autochtones, il faut vraiment mettre les mains et les pieds sur terre et planter et se dédier à s’aimer et à maintenir la vie sur cette planète, puisque nous sommes interdépendants.
Anne Pastor : Finalement vous êtes d’accord avec moi, vous n’employez pas les mêmes mots, mais vous êtes exactement d’accord avec moi dans ce que j’ai dit précédemment. Donc parlons justement de ces droits à la nature et je voudrais vous parler de l’Equateur, qui est un pays extractiviste mais qui a été le premier à avoir inscrit dans sa Constitution les Droits de la Nature. Les Sarayaku, un peuple originaire, Kichwa, veulent aller plus loin : en juillet 2018 ils ont présenté la Déclaration de la Forêt Vivante et ils souhaitent que les Nations Unies reconnaissent cette nouvelle catégorie dans son programme pour l’environnement. Depuis plus de vingt ans, cette petite communauté, de 1200 habitants, lutte aussi pour défendre son territoire, sa biodiversité, son patrimoine immatériel, contre l’intrusion des exploitations en tous genres et aujourd’hui il est un modèle et se concentre désormais à promouvoir la cosmovision dans laquelle, vous le disiez si bien, la forêt est vivante, sacrée et doit être protégée au même titre que les être humains, comme en témoigne d’ailleurs le portrait de Patricia Gualinga [photo ci-dessus Ch.P.], écoféministe, leader du Peuple Kichwa de Sarayaku, que nous allons peut-être découvrir. En attendant de découvrir ce portrait, j’imagine que vous connaissez le Peuple Kichwa de Sarayaku, que vous connaissez aussi les positions de Patricia Gualinga qui présente d’ailleurs ce concept un peu partout, et que vous partagez ses idées. En ce moment on a l’impression qu’enfin une solidarité, et l’émergence de groupes de femmes, d’ailleurs, comme souvent, qui revendiquent ces droits à la nature.
Daiara : Je pense que très souvent, dans le peuple, la relation que nous avons avec la nature c’est une relation avec notre Mère. Donc, forcément cette Nature est une femme, puisqu’elle porte dans son ventre toute la vie, et quand les femmes marchent, nous marchons toujours accompagnées de cette grande famille, de toute cette forêt, de tout ce ventre qui nous donne origine. Dans le cas de certains pays d’Amérique du Sud, ou di continent américain, ils ont la plus grande population Autochtone, c’est le cas de l’Equateur, de la Bolivie et du Mexique. Mais il faut dire qu’au Brésil, la population Autochtone est considérée comme moins de 1% de la population nationale, par contre chez eux ça surpasse les 40%, ça représente pas mal de monde, ce sont des relations territoriales et identitaires différentes, ce n’est pas pour rien qu’en Equateur et en Bolivie ils ont tout de même réussi à créer un mouvement qui a permis la création d’Etats plurinationaux, c’est-à-dire des Etats nationaux qui reconnaissent plusieurs nationalités et parmi ces nationalités les Nations Autochtones. Au Brésil, par contre, l’idée qu’un Peuple Autochtone puisse être une nation est considérée comme une menace pour l’Etat National. Donc, ça implique justement toute la violence qui se produit, on nous considère comme des terroristes. C’est très simple : si on est Autochtone, on est déjà né comme criminel, pour cette vision qui nie tous nos territoires. Un territoire est identitaire, un territoire a des pensées. Et je voulais enfin, dans cet hommage à cette guerrière d’Equateur, aussi affirmer toute notre solidarité pour ce qui se passe en Equateur en ce moment. Il faut les accompagner sur les réseaux sociaux, soutenir ce qui se passe, parce qu’il y a une foule qui part d’une situation très extrême de violence, à cause justement des grandes industries et tout ce qui va avec, le travail esclave, la violence sexuelle, la négation de la culture et du territoire. Et ce sont des gens qui encore une fois sont en train de bousculer – car ce n’est pas la première fois – leur gouvernement, et ce gouvernement, encore une fois, répond d’une façon extrêmement violente, avec des assassinats, même de petits enfants, dans la rue. Donc tout soutien relatif à cette grande guerrière…
[Intervention de Clarisse Da Silva. Voir article.]
Anne Pastor : […] Quand vous entendez Clarisse parler de cette nouvelle génération, parler justement de ce travail artistique, identitaire, au Brésil je crois que vous travaillez aussi dans cette direction, dans votre webradio…
Daiara Tukano : Oui, je suis coordinatrice d’une radio web Autochtone, qui s’appelle Ràdio Yandê, sur Internet, nous avons un portail d’informations qui transmet 24 heures sur 24, en plus d’articles. Nous essayons de partager un peu ce qui se passe dans le Mouvement Autochtone, non seulement au Brésil mais aussi autour monde. Nous considérons que l’information et la communication est le principal territoire de dispute que nous avons par rapport à toutes ces relations de pouvoir en société. Et pouvoir les aborder autrement est toujours très intéressant.
Anne Pastor : Finalement, puisque toutes les trois vous partagez ce point de vue, vous êtes là aujourd’hui parce que vous appelez à la résistance et en particulier à la solidarité.
A la fin des interventions, Daiara a expliqué qu’elle était venue avec un message à exprimer, mais que les questions posées ne lui avaient pas permis de le faire. Il a donc été décidé de supprimer la pose, afin qu’elle puisse transmettre son message.
Daiara : Je pense que c’est intéressant de construire les choses ensemble, principalement avec les filles, parce que, si nous venons jusque-là, pour se trouver des espaces d’autoreprésentation et d’autonomie, nous n’avons pas vraiment besoin d’interlocuteur, nous pouvons parler directement, nous pouvons poser nos questions et nous pouvons passer les messages que nous sommes venues ici pour passer.
Donc je vous remercie beaucoup pour cette opportunité. Je me présente encore une fois : Je suis Daiara Tukano, mon peuple habite à la frontière entre le Brésil, la Colombie et le Vénézuela. C’est un territoire qui est tout au centre de l’Amazonie et qui fait face à toute une situation, un contexte de violence qui ne s’arrête pas depuis 1630, quand les premiers Portugais ont remonté le Fleuve Amazone extrêmement vite. Et cette colonisation est venue d’une façon hyper dure, hyper forte. Il a toujours été question d’exploiter cette vision de l’Eldorado qui ne s’arrête jamais, même sur les Montagnes d’Or, et aussi de l’imposition d’une culture qui continue jusqu’à aujourd’hui à nier notre identité, nier nos savoirs, à démoniser nos pratiques culturelles. Et donc, le mouvement Autochtone au Brésil, nous considérons qu’il a toujours existé.
La génération de mes parents, par exemple, fait partie de cette génération qui, pendant les années 1960, 1970 et 1980, a réussi à construire, sur le plan constitutionnel, des droits affirmés et reconnus comme des droits originels qui passent avant tous les autres droits et qui sont inviolables, qui devraient être inviolables. Cependant, l’Etat Brésilien – pas seulement la République fédérative du Brésil, mais aussi l’Empire, la Couronne portugaise auparavant, qui avait aussi des politiques par rapport aux Peuples Autochtones – n’a jamais respecté aucun accord, aucun traité, ni même leur propre Constitution. Donc, aujourd’hui, plus que jamais, nous faisons face à une situation d’une violence qui s’accroit chaque jour.
Notre pays est énorme et il n’est pas question seulement de l’Amazonie. Bien sûr, je viens d’un Peuple qui vit en Amazonie, mais la question Autochtone ne se limite pas à l’Amazonie. Le Brésil est un pays qui est énorme, presque continental, et la population Autochtone est partout. 40% de la population Autochtone est en dehors d’Amazonie aujourd’hui, parce que c’est une population qui a perdu sa forêt, qui a perdu son territoire, volé, envahi, et qui continue à voir toute sa population violentée jour après jour par les mêmes protagonistes de ces violences, qui sont l’agro-industrie, l’exploitation minière et, encore plus, en ce moment, sous ce gouvernement, qui se déclare ouvertement d’extrême-droite, et qui vient avec un discours pseudo positiviste intégrationniste, c’est-à-dire un discours d’assimilation vis-à-vis des cultures des Peuples-racine. Nous avons, par exemple, en ce moment, une Ministre des Droits Humains, au Brésil, qui est absolument anti Droits Humains, et qui utilise un discours très religieux – elle est aussi représentante d’une église néo-pentecôtiste, évangélique, qui continue à faire aujourd’hui, au siècle XXI, un discours qui démonise des pratiques traditionnelles, qui allègue des violences qui n’existent pas, comme par exemple l’infanticide, et qui dit que, pour le bien de la famille traditionnelle et chrétienne, il faut qu’on s’intègre à cette société.
Donc, le discours n’a pas changé depuis 519 ans et la violence ne fait que croître, et l’invisibilisation, la négation de nos identités, de nos territoires, paraît quelque chose de perpétuel. C’est pour ça que le mouvement a toujours existé et c’est pour ça qu’il est évident qu’en fait, la Démocratie, pour nous, n’a jamais été là. Au Brésil, je ne sais pas où elle existe cette supposée démocratie. La démocratie existe seulement pour ceux qui ont le pouvoir économique, elle n’a jamais existé pour les Peuples Autochtones. Donc, nous n’avons pas de raisons de faire confiance à l’Etat ou à n’importe quelle institution que ce soit, qu’elle soit nationale ou internationale, pour réussir à avoir le respect et la garantie des droits que nous demandons en tant qu’êtres humains. Parce que nous SOMMES des êtres humains. Et notre humanité est constamment violée de toutes les façons possibles. C’est pour cela que notre mouvement, aujourd’hui, est un mouvement qui réclame que les droits qui ont été défendus par la Constitution soient respectés. Mais, dans le cas où ces droits ne sont pas respectés, nous les implémentons nous-mêmes.
Donc, pour ça, personnellement, j’ai l’habitude de dire que c’est très beau la pensée ‘décoloniale’, mais décoloniser, c’est plutôt au colonisateur de le faire. Nous, nous contre-colonisons, nous réaffirmons notre identité, nous reconnaissons notre territoire, nous nous maintenons sur notre territoire, sur tous nos territoires, malgré toutes les violences. Et, le plus grand exemple, c’est justement celui des Peuples qui sont en dehors de l’Amazonie. Ce sont des Peuples qui, à un certain moment de leur histoire, ont eu leur territoire volé, volé par l’Etat, vendus arbitrairement par l’Etat brésilien aux propriétaires terriens. C’est le cas des Peuples Guarani, par exemple, qui aujourd’hui se trouvent en situation de reprendre leurs territoires. Donc, si vous allez sur Internet, vous allez trouver pas mal de médias qui vont dire ‘Il y a les Indiens qui envahissent des propriétés privées de pauvres agriculteurs.’ Bien sûr, ce sont des propriétés privées qui ont été acquises par des familles ou données par l’Etat, ou vendues pour presque rien, à prix de bananes, sans considérer que ces territoires étaient habités par des populations originales et qui ont perpétué pour ces Peuples-racine la situation d’esclaves, la situation de violences sexuelles, de violence psychologique, d’aliénation de nos identités. Donc, on reprend.
Nous reprenons nos territoires, nous réaffirmons notre identité, et si les institutions, si les lois des allochtones, des Blancs, n’ont jamais été de vraies lois, qu’est-ce qui légitime les choses ? Moi, je ne le sais pas. Elles n’ont jamais été respectées, ce sont des lois pour rien, juste sur le papier. Mais personne ne respecte leurs papiers. Donc, ce que nous faisons, c’est que nous travaillons pour continuer à être vivants. Si quelque fois c’est nécessaire de défendre notre territoire avec notre corps, nous le faisons.
Très bientôt, le mois prochain, une délégation de l’articulation des Peuples Autochtones du Brésil, constituée des principaux représentants des organisations Autochtones régionales – il y a cinq régions au Brésil – une délégation de quinze personnes, viendra en Europe, dans plusieurs villes, y compris Paris, pour parler d’une campagne de désinvestissement des grandes entreprises et des grands lobbies internationaux, notamment du soja, de la canne à sucre, du bœuf et de l’exploitation minière, et pointer du doigt, montrer, retirer le masque des banques qui sont en train d’investir dans le génocide, puisque c’est l’industrie de la mort, alerter la population européenne sur VOTRE responsabilité, concernant toutes les violations des Droits Humains qui subsistent et continuent sur nos territoires, parce qu’il est question de responsabilité. Si l’Europe continue à être le principal investisseur de ceux qui promeuvent toutes sortes de violences, et si vous êtes encore cet espace qui se dit à l’origine de cette supposée démocratie, il faudrait que nous travaillions ensemble pour la défendre. Défendre la démocratie chez nous, c’est défendre la démocratie au monde. Croire en l’existence des Droits Humains c’est faire que ces Droits soient respectés partout dans le monde et pas seulement chez soi. C’est partout. Donc, si aujourd’hui l’agro-industrie, l’industrie minière, sont en train de tuer des populations entières, de mettre fin à des civilisations, de polluer les eaux de cette planète, tout le monde est soumis aux conséquences de ces violences, nous sommes dans le même bateau et il faut bien que nous travaillions ensemble. C’est le message que je voulais vous transmettre. J’espère que nous pourrons construire, à partir de ce moment, un dialogue véritable, merci à tous.
Au cours de sa réponse à une question du public, Daiara a précisé quelques points. Au sujet de la stratégie de ‘désobéissance civile’ prônée par certains groupes européens, elle a répondu que naître Autochtone, c’était déjà être considéré comme une espèce de ‘terroriste’, et que pour eux, ‘désobéir c’est exister, tout simplement’. Elle a expliqué qu’il y avait dans le monde des groupes de population privilégiés, et que le privilège impliquait des responsabilités. Elle poursuivit en soulignant que la forêt dépendait de l’existence des Autochtones, qui se sentent donc coresponsables, et font leur part du travail. Elle a rappelé que le pays qui tue le plus de défenseurs des Droits Humains et de défenseurs des Droits de la Nature au monde, c’est le Brésil. Les Autochtones sont en première ligne pour défendre la Nature avec leurs vies. C’est dans les territoires Autochtones partout dans le monde que subsiste 80% de la biodiversité de la planète. Daiara fit aussi remarquer qu’il était aussi important d’avoir une diversité culturelle, car la biodiversité est interdépendante de la diversité culturelle.