Jimbo Simmons, de l’AIM West, était l’un des intervenants, lors de la Journée Annuelle de Solidarité du CSIA-nitassinan. Cette année, la Journée commémorait aussi le 50ème Anniversaire de la fondation de l’AIM. Jimbo a donné sa vision de ce que devrait être la décolonisation.
Intervention enregistrée le 13 octobre par Pascal Grégis, du CSIA.

 

Jimbo Simmons
Paris, 13 octobre 2018
Transcription et traduction Christine Prat, CSIA

 

“Nous sommes réunis ici et avons parlé de la colonisation. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Selon ma façon de voir la colonisation, elle a été fondée et imposée de force à notre peuple en Amérique du Nord, les Indiens. Puis elle a été exportée partout dans le monde à d’autres communautés Autochtones. Alors, pour que nous puissions rejeter le joug de la colonisation, il faut que je la définisse plus profondément, en ce qui me concerne. Parce que je pense qu’il y a plus à faire que décoloniser. Il faudrait qu’on vous fasse toute une leçon d’histoire, sur la colonisation. Mais pour notre peuple en Amérique du Nord, la décolonisation, nous la concevons comme une libération, nous libérer d’un système de valeurs qui nous a été imposé. Notre mode de vie, notre philosophie de la vie, est tout aussi valable que n’importe quelle autre idéologie, en tant que mode de vie dans le monde d’aujourd’hui. Mais lorsque nous nous décolonisons nous-mêmes, je pense que nous ne faisons que nous coloniser davantage. Et alors, les Etats-Unis ont affaire à un néocolonialisme. Et pour moi, ça signifie que des gens qui ont été colonisés par notre ennemi, ont acquis le pouvoir, à travers le système de gouvernement, de perpétuer le même système colonial. Ainsi, c’est plus facile pour les colonialistes de dire “ils le font à eux-mêmes”. Alors, nous devons bien comprendre ce que nous voulons dire par colonisation et décolonisation. Je pense que nous, en Amérique du Nord, commençons à aller dans ce sens. Et aujourd’hui, en écoutant les interventions de nos frères et sœurs qui combattent aussi, je vois que c’est la même chose. Donc, je pense que nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres, à partager, à comprendre tout ce que nous avons en commun, quand nous parlons de colonialisme. Car pour nous, en Amérique du Nord, c’est une colonisation qui a menacé notre mode de vie, qui nous a conduit à nous soulever pour défendre ce mode de vie. Ainsi, nous devons vraiment bien comprendre de quoi nous parlons, quand nous disons “décolonisez”. Parce que beaucoup de problèmes qui touchent notre peuple, comme les oléoducs, comme nos sites sacrés, en font partie intégralement. Et je voulais juste faire remarquer cela, afin que nous puissions avoir une meilleure compréhension de ce que nous subissons, de ce dont nous parlons aujourd’hui.

J’ai écouté nos frères Kanak et les autres frères qui combattent le colonialisme… J’avais toujours pensé que les Français étaient nos amis, qu’ils étaient nos alliés, alors ça me pousse en quelque sorte à me demander, quel est notre but, quel est notre objectif? Et je viens ici, pourtant je suis Choctaw, et ce sont les Français qui ont pris notre territoire puis l’ont abandonné au gouvernement des Etats-Unis. L’enseigne-t-on dans les livres d’histoire? Je crois que non. Ainsi, je pense que nous devons nous rééduquer pour savoir ce que nous pouvons faire pour parvenir réellement à ce que nous essayons de faire, c’est-à-dire nous libérer.

Et c’est un honneur pour moi d’être à nouveau ici avec mes frères et mes sœurs, qui se battent tellement dans leurs communautés, et de trouver les moyens de tendre la main à d’autres peuples dans le monde et aux communautés à travers tous les Etats-Unis. Et [des communautés] qui découvrent leur pouvoir, retrouvent leur voix, et trouvent leur force. Et pendant ce temps, nous nous construisons aussi spirituellement, et par là, nous guérissons, nous sommes sur le point de guérir. Ainsi, quand nous comprenons bien comment la colonisation nous affecte, il devient beaucoup plus facile de nous guérir nous-mêmes.

Parfois, ça me pose des problèmes de dire que les Indiens sont les gens les plus colonisés du monde aujourd’hui. Alors, comment combattre ça? En revenant à nos façons et traditions, à notre philosophie de la vie. Et, comme nos frères nous l’ont montré au début de ce programme, avec leurs danses, ce que ça va exiger de nous pour montrer aux gens que nous sommes humains aussi. Parce que, comme je l’ai observé par leurs danses, leurs costumes, c’est un processus que nous aussi devrons suivre pour retrouver notre identité.

L’autre aspect extrêmement important, c’est notre langue. Notre identité. Nous ne sommes pas autochtones, nous sommes les peuples d’origine de ces pays. Nous sommes les Lakota, ou Dakota, les Cheyennes, les Dineh ou les Choctaw. Quel qu’aient été les noms originaux, ce qu’étaient leurs noms originaux au début des temps, c’est de ça qu’il s’agit. Et si nous les traduisons en anglais ou en français, ils signifient tous Les Gens [et Kanak signifie ‘Homme’]. Alors, ce qu’ils veulent faire c’est effacer la mémoire de qui nous étions à l’origine. Et pour moi, c’est cela, la colonisation. Et tant qu’ils perpétueront ce système dans nos communautés, nous continuerons à nous battre, nous continuerons la lutte contre ce système. Même s’il n’y a pas de solution, ou peut-être même pas de réponse à ça. C’est tout ce que le gouvernement veut, créer assez de chaos pour nous aveugler.

Donc, nous devons revenir à nos débuts. Peu importe d’où nous venons. Notre peuple a toujours regardé quatre couleurs sacrées: le jaune, le noir, le rouge, le blanc. Nous avons tous eu une origine dans le temps, nous avons tous dû apprendre de quelque chose. Ainsi, les instructions qui nous ont été données à l’origine sont ce qui nous constitue. Mais, quelque part sur le chemin, nous les avons perdues. Je dis ‘nous tous ensemble’, mais alors, je ne veux pas dire ‘nous’, les Indiens d’Amérique du Nord, parce que nous sommes tous embarqués dans cette lutte avec vous. Merci.”

 

 

Automne 2017 (vl.0)
Corrections et contributions par
Le Collectif Indigenous Action Media et ses amis
www.indigenousaction.org
Traduction Christine Prat

 

DECLARATIONS, DECONNEXION ET RECUPERATION DE LA DECOLONISATION

Tandis que le rythme des déclarations, par les forces d’occupation, d’une “Journée des Peuples Autochtones” (JPA) s’accélère, nous ne pouvons nous empêcher de nous sentir déconnectés des célébrations.

A part le soulagement psychique, à quoi est-ce que ça nous avance si l’état démonte ces statues et proclame la “Journée des Peuples Autochtones”, alors que les structures et les systèmes enracinés dans la violence coloniale demeurent intacts? N’est-ce qu’une posture politique ou un artifice pour diminuer l’agitation libératrice? Nos sens sont en éveil vu que la plupart des rebaptisations de Columbus Day en JPA semblent n’être que du blanchiment d’héritage colonial.

Les statistiques sont trop connues: les Peuples Autochtones aux “Etats-Unis” sont le groupe ethnique victime du plus fort taux d’assassinats par la police, du plus fort taux d’incarcérations et de violence sexuelle, et a le plus fort taux de SDF.

Alors oui, nous avons de très bonnes raisons d’être sceptiques face à des gestes symboliques.

Nous sommes tous pour la suppression des symboles coloniaux et des mythes nationalistes, dans la mesure ou des aspects structurels comme le colonialisme et le racisme disparaissent du même mouvement. Le problème c’est que ce n’est pas le cas. Ces décrets sont vite adoptés par leurs défenseurs comme des “pas dans la bonne direction” pour les intérêts des Autochtones, cependant – et nous allons le montrer ici – ils ne servent qu’à ossifier le pouvoir colonial. Quoi d’autre pourrions-nous récolter de déclarations superficielles lâchées d’en haut par les instances gouvernantes d’occupation?

Les aspirations à la décolonisation sont embourbées dans la cosmétologie libérale de gauche, si rien de concret n’est fait pour remettre en cause la brutalité anti-Autochtone historique et toujours en cours. C’est un processus conciliatoire insidieux de récupération décolonisante, enraciné dans un changement culturel et symbolique, visant d’abord à transformer son statut social. Il n’arrive pas à affronter et à transformer le pouvoir social de façon significative.

Pour illustrer cela, presque toutes les déclarations de “Journée des Peuples Autochtones” passées récemment, utilisent le même modèle, avec des variations mineures:

Réaffirmation de “l’engagement à promouvoir le bien-être et la croissance des Amérindiens et de la communauté Autochtone du _____.” [les blancs remplacent le nom de états ayant adopté la mesure – NdT]

Reconnaissance de ce “que les Peuples Autochtones des territoires qui deviendraient plus tard les Amériques ont occupé ces territoires depuis des temps immémoriaux; et

– _____ reconnaît le fait que _____ est construit sur les terres et les villages des Peuples Autochtone de cette région, sans lesquels la construction du _____ n’aurait pas été possible; et

– Appréciant “les nombreuses contributions apportées à notre communauté par le savoir, le travail, la technologie, la science, la philosophie, les arts et la profonde contribution culturelle des Peuples Autochtones, qui a significativement formé le caractère du _____; et

– _____ a la responsabilité de s’opposer au racisme systématique envers les Autochtones aux Etats-Unis, qui perpétue le fort taux de pauvreté et les inégalités de revenus, ce qui exacerbe de façon disproportionnée les crises sanitaires, scolaires et sociales; et

– _____ favorise la réduction de l’écart d’équité pour les Peuples Autochtones par des politiques et des pratiques qui reflètent ce qu’ont vécu les Peuples Autochtones, assure un meilleur accès et une plus grande opportunité, et honore les racines, l’histoire et les contributions autochtones de notre nation; et

coetera…

Les origines de la JPA remontent à 1977, quand une délégation de Peuples Autochtones a proposé de remplacer le Columbus Day à la “Conférence Internationale sur la Discrimination Contre les Populations Autochtones dans les Amériques” des Nations Unis, en Suisse.

Le rythme s’est accéléré en juillet 1990, quand des représentants de plus de cent Nations Autochtones se sont organisés pour le “500ème anniversaire de la Résistance Indigène à l’invasion Européenne des Amériques.” Une résolution a été passée pour transformer le Colombus Day de 1992 “en une occasion de renforcer notre processus d’unité continentale et de lutte vers notre libération.”

Un an plus tard, après la constitution d’un comité appelé Résistance 500 dans les territoires occupés Ohlone aka “Berkeley, California,” le conseil municipal a été le premier des “Etats-Unis” à déclarer le 12 octobre Journée des Peuples Autochtone. La résolution appelait à une journée de “cérémonies, manifestations et discours culturels”, à la participation des écoles et à une procession informelle.

Dans les “Pays du Sud” nos parents ont suscité un avis de menace de la CIA disant que “Le comité de renseignement des Etats-Unis évalue qu’il y a une augmentation du potentiel de violence terroriste dans certains pays d’Amérique Latine, en lien avec l’observance le 12 octobre du 500ème anniversaire de l’arrivée de Colomb dans le Nouveau Monde.” Il y eu parmi les attaques, des bombes contre des cibles des Etats-Unis comme des églises, des banques et la résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis au Chili. Le bureau international de United Press au Pérou fut libéré pour une émission de radio dénonçant l’invasion par Christophe Colomb.

En même temps, aux “Etats-Unis”, la JPA – dans le pire des cas – a absorbé les tendances à la décolonisation et les a transformées en marchés culturels annuels approuvés par les états. Avec des ONG ou des managers auto-proclamés contenant le niveau: ce n’est que pow-wow sans rage, et zéro mention de responsabilité ou de libération. La machinerie de ce genre de “célébrations” ne nous est que trop familière, comme ce “Mois du Patrimoine Amérindien” qui est déjà souligné par des danses, des ventes et une série d’autres marchandises essentialisées. Ce n’est qu’une expression du partenariat structurel et intime du capitalisme et du colonialisme, c’est la JPA (marque déposée), tous droits réservés. Un jour férié sur des terres volées.

“SE FIXER SUR L’ABOLITION D’UNE JOURNEE QUI CELEBRE LE GENOCIDE DES PEUPLES AUTOCHTONES, C’EST IGNORER LES 364 AUTRES QUI SONT TOUJOURS SOUS LE JOUG DE L’OCCUPATION ET DE L’EXPLOITATION DES VIES ET DES TERRES AUTOCHTONES.”

Amrah Salomon J., Mexicain et O’odham, déclare: “Nommer et célébrer sont des moyens importants de normaliser le génocide et le colonialisme. Nommer des lieus et des jours de célébration d’après d’horribles tueurs comme Cristoforo Colombo, est un moyen de créer l’acceptation sociale de ses crimes: viol, torture, invasion, génocide, et avoir été l’architecte de l’incarcération de masse et du commerce d’esclaves chosifiés (qui emmenait des esclaves Amérindiens en Europe et des esclaves Africains aux Amériques). Voir ces noms célébrés autour de nous suscite un profond traumatisme historique pour les Noirs et les Peuples Autochtones et fonctionne comme une forme de micro agression raciale.”

Salomon ajoute: “Alors oui, il est important de supprimer ces noms insultants de nos géographies quotidiennes, de supprimer ces jours de fêtes, et de retirer les monuments qui glorifient l’esclavage, le colonialisme et le génocide. Mais se préoccuper des représentations publiques qui glorifient la violence coloniale et raciale ne suffit pas, nous devons aussi mettre un terme aux actes constants de violence coloniale et raciale pour que ces mesures représentatives aient une quelconque importance sociale durable. Si la statue de Christophe Colomb et la célébration du génocide qu’est Thanksgiving n’existent plus, il y a toujours une myriade d’autres actes de violence coloniale qui se produisent chaque jour et auxquels il faut remédier. La rectification du colonialisme ne peut s’accomplir que par la décolonisation. La rectification du racisme ne peut s’accomplir qu’avec l’abolition de la suprématie blanche en tant qu’institution structurelle et système social, pas seulement comme pratique individuelle de fanatiques. Et la rectification de l’hétéro-patriarcat, ne peut s’accomplir que par son abolition.”

AU-DELA DE LA RECONNAISSANCE

As Charlie 2015, “Detroit, Michigan”

Sepulveda, un Tongva des territoires occupés de “Los Angeles”, déclare: “Changer Columbus Day en Journée des Peuples Autochtones, bien que correct, n’est rien de plus qu’une politique de reconnaissance. Ce n’est pas la justice. Ça ne rend pas le territoire. Ça ne fait pas progresser les Tongva vers la décolonisation ni ne renforce notre capacité à être souverains. Ça permet à L.A. de reconnaître les Autochtones sans avoir à faire quoique ce soit pour ébranler radicalement l’ordre hégémonique du colonialisme de peuplement. Désolé de faire pleuvoir sur votre parade.” Sepulveda ajoute: “Je suis reconnaissant envers ceux qui travaillent à l’abolition du Colombus Day. C’est important. Cependant, les Tongva ont désespérément besoin de plus que d’un changement de nom symbolique. Et c’est le territoire Tongva, pas un territoire ‘Indien’. – J’espère que c’était clair [dans la déclaration de la JPA]? Sinon, alors pourquoi pas? Nous sommes toujours là.”

Il est important de comprendre les politiques de reconnaissance en termes de stratégie et de tactique. Si le but est l’autonomie Autochtone, la libération du territoire, des gens et d’autres êtres, alors pourquoi demander à nos oppresseurs de simplement admettre ou reconnaître notre existence?

Glen Coulthard, Yellowknives, Dene, écrit dans son essai ‘Peuples Autochtones et Politique de Reconnaissance’ que “… les puissances coloniales ne reconnaîtrons les droits et les identités collectifs des Autochtones que dans la mesure où cette reconnaissance ne fait pas obstruction aux impératifs de l’état et du capital.” Coulthard affirme aussi, dans son livre ‘Peaux Rouges, Masques Blancs’ que “… dans des situations où le pouvoir colonial ne dépend pas uniquement de l’exercice de la violence d’état, sa reproduction repose sur la capacité à induire les Peuples Autochtones à s’identifier, implicitement ou explicitement, avec des formes de reconnaissance profondément asymétriques et non-réciproques, imposées ou accordées par l’état et la société de colons.”

Ceci ne veut pas dire que les attaques contre l’identité Autochtone sous forme de mascottes racistes, de stéréotypes dans des films et des publicités, d’appropriation ‘tendance’, etc. ne causent aucun dégât.

Comme Charles Taylor le note dans le livre ‘Multiculturalisme: En Examinant les Politiques de Reconnaissance’, “…souvent, par la méconnaissance des autres …une personne ou un groupe peut subir des dommages réels, une distorsion réelle, si les gens ou la société autour d’eux leur renvoient une image d’eux-mêmes limitatrice, humiliante ou méprisable. La non-reconnaissance ou la méconnaissance peut faire du tort, et peut être une forme d’oppression, emprisonnant l’individu dans un mode d’existence faux, tordu et réduit.”

Comprendre comment la politique de reconnaissance fonctionne peut éviter les pièges de la cooptation et ouvrir les voies d’une plus grande résistance.

Même le fait de “reconnaître les Peuples Autochtones sur les terres desquels nous vivons” désincarne les identités Autochtones. C’est extrêmement différent de soutenir et d’honorer les protocoles et les coutumes en tant que visiteur ou invité, et de seulement reconnaître leur existence. Pour mettre cela en perspective: la plupart des mouvements actuels pour instaurer la JPA trouvent leur origine dans des milieux urbains, sans engagement significatif des populations d’origine de ces territoires. Cette recolonisation perpétue l’effacement même que la JPA doit solutionner, c’est un exemple criant de violence latérale.

Coulthard souligne comment “la politique de reconnaissance dans sa forme libérale contemporaine promet de reproduire la configuration même du pouvoir d’état colonial, raciste et patriarcal que la demande de reconnaissance des peuples Autochtones a historiquement cherché à transcender.”

La déshumanisation peut être adoucie par des actions qui réaffirment l’identité Autochtone, mais nous insistons pour aller au-delà de la reconnaissance, vers ce que Frantz Fanon offre aux Damnés de la Terre: “…c’est précisément au moment où [le colonisé] réalise son humanité qu’il affute les armes avec lesquelles il assurera sa victoire.”

LIBERALISME DE GAUCHE OU LIBERATION?

Comme il a été dit que la JPA “était un pas dans la bonne direction”, nous demandons “quelle direction?” Réclamer une Journée des Peuples Autochtones comme un acte de décolonisation est un échec des assimilationnistes de gauche. Mettre un terme symboliquement à l’héritage de Colomb tout en perpétuant et en bénéficiant de la violence de la “doctrine de la découverte” n’est qu’une impasse de plus du libéralisme Autochtone. Si nous comprenons que la colonisation a toujours été la guerre, alors pourquoi menons-nous une bataille pour notre reconnaissance et notre affirmation à travers des structures de pouvoir coloniales?

Bettina Castagno, métisse Kanien’kehá:ka, déclare: “Ceux-là pensent, en toute bonne intention, qu’ils aident, mais ne savent pas que pour ces ‘jours fériés’ c’est toujours la culture dominante qui décide de ce qui doit être célébré. Ces jours deviennent finalement une célébration de consommateur capitaliste, reprenant le système de valeur des cultures rapaces dominantes, avec les valeurs et les conduites chrétiennes euro-centriques.” Castagno ajoute: “A ce jour et en cette période de l’histoire des “Etats-Unis”, non ça ne suffit pas de nous jeter un jour férié. Revisitez l’histoire: après nous avoir jeté des couvertures, de la nourriture commerciale, du poison caché dans des bouteilles d’alcool, avoir stérilisé des femmes Autochtones, empoisonné la terre avec de l’uranium, nous avoir fourgué des soins médicaux et une éducation de qualité inférieure, avoir violé les traités, volé le territoire, un simple jour férié est insultant. Nous ne sommes pas libres parce qu’on nous dit que nous sommes libres, nous ne sommes pas libres parce que c’est imprimé sur du papier, ou sur des pièces de monnaie, nous ne sommes vraiment libres que lorsqu’il n’y a pas d’entité dominante ou d’autre culture qui prend les décisions pour notre peuple, notre terre, nos médicaments, notre bétail, notre nourriture, notre eau, notre éducation et notre santé.”

Rendez-vous compte que leur constitution ne garantit toujours pas aux Peuples Autochtones la protection de la liberté religieuse relative aux sites sacrés. Les sites sacrés sont nos sanctuaires ou “monuments” dans les relations que nous avons entretenues depuis des temps immémoriaux et font intégralement partie de la continuation de notre existence. Pourtant, ils sont constamment profanés et attaqués par ces forces politiques qui aujourd’hui vilipendent des facettes sélectives de leurs transgressions passées. Les Black Hills sacrées, dans le Dakota du Sud occupé – qui célèbre le ‘Jour des Amérindiens’, pas le Columbus Day – ont été profanées par l’extraction de ressources minières et par le monument blasphématoire aux présidents génocidaires possesseurs d’esclaves, et l’American Indian Movement a férocement combattu pour elles et pour les reconquérir à de multiples reprises pendant les années 1970. Il y a des télescopes, des stations de ski, des pipelines, des mines, des gratte-ciel, et autres effigies de l’oppression qui profanent ou menacent de violer d’innombrables sites sacrés en ce moment même.

En 2015, surfant sur la vague de déclarations de JPA, la ville de Flagstaff, en Arizona, a proposé de suivre le mouvement. Etant donné leur rôle, par un contrat pour la vente de millions de litres d’eaux usées à la station de ski Arizona Snowbowl, dans la profanation des San Francisco Peaks sacrés, un groupe de gens a mis un point final à l’affaire. Le groupe a demandé: “comment cette action peut-elle bénéficier aux Autochtones plutôt que d’apaiser la culpabilité blanche?”

Ils ont publié une déclaration initiale exprimant comment “nous désirons voir le Columbus Day aboli dans tous nos territoires et pouvons voir comment d’autres sauteraient sur l’occasion de soutenir ce geste, après tout, la confiance et la guérison sont nécessaires et beaucoup d’autres communautés ont durement combattu au cours de leurs propres campagnes pour changer le nom. Peut-être qu’un processus significatif peut être avancé, incluant traiter la question du traumatisme historique du colonialisme de peuplement, qui partirait du principe que Flagstaff n’est pas une ‘ville-frontière’ mais un territoire Autochtone occupé et volé, qui annulerait immédiatement le contrat avec Snowbowl, qui mettrait un terme au profilage racial, à la violence policière, et à la criminalisation de nos frères SDF, qui protègerait Notre Mère la Terre et subviendrait à des communautés en bonne santé et justes. Un processus qui irait au-delà de la requalification de la façon dont notre oppression est reconnue et restructurerait nos relations de pouvoir vers l’abolition de la suprématie blanche, de l’hétéro-patriarcat, du capitalisme et du colonialisme de peuplement.”

Alternativement, le groupe a proposé un processus complet pour résoudre matériellement les conditions sociales et politiques causées par la politique perpétuellement anti-Autochtone poursuivie par la Ville. Alors que la base était prometteuse, le projet initial a finalement été coopté par des de-gauche qui ont laissé de côté les aspects de responsabilité et d’émancipation de la communauté. En devenant un projet libéral ‘de gauche’ servant à améliorer le fonctionnement des forces d’occupation dominantes, c’est devenu un projet de perpétuation de la violence coloniale.

Quand la ville de Phoenix déclara la JPA, Alex Soto, Tohono O’odham, dit: “Si la ville de Phoenix reconnaissait vraiment les Peuples Autochtones, elle aurait présenté une motion et passé une résolution contre la bretelle d’autoroute de la Montagne du Sud.” Alex ajoute: “La politique de reconnaissance par les colons (JPA) n’assure en rien notre existence. Au mieux, ça renforce l’idée selon laquelle nous sommes un peuple conquis. Je mettrais plutôt mon énergie à brûler la table, si des gestes d’acceptation et de respect non sincères sont offerts par les institutions coloniales. Fondamentalement, tout effort que nous mettons dans la JPA devrait au grand minimum être mis dans de vraies campagnes qui protègent notre culture Autochtone locale. Sinon, à quoi ça sert?”

Tandis que Phoenix se prépare à célébrer sa première JPA, les échos de la dynamite qui fait sauter la Montagne du Sud sacrée seront probablement noyés par les festivités.

Andrew Pedro, Akimel O’odham de Gila River, met certaines choses au point: “La Journée des Peuples Autochtones à Phoenix continue à être une façade de la résistance Autochtone. Juste au sud de Phoenix, Moadag (la Montagne du Sud) est profanée par la construction de l’extension de la bretelle 202. C’est la colonisation du 21ème siècle par l’état, mais devrions-nous tout de même être reconnaissants de ce que l’état change le nom d’un jour férié? Je pourrais être pour, si le jour férié lui-même n’était pas le but final. Le changement de nom est une victoire symbolique. Utilisez la lutte comme plateforme pour formuler des exigences pour nos sites sacrés, mais ce n’est pas ce qui se passe. Il est clair que l’organisation libérale ‘de gauche’ est l’obstacle qui empêche toute réalisation réelle de la victoire. Au lieu d’attaquer la colonisation du 21ème siècle, ils choisissent de célébrer ce que les colonisateurs leur ont donné.”

Ces menaces posées par l’infrastructure à l’existence Autochtone sont produites par les forces systémiques même qui ont poussé Colomb à commettre le génocide des Taino. Défendre ce qui est sacré n’est pas nouveau, c’est aussi vieux que la résistance à Colomb et autres envahisseurs coloniaux bien-méprisés, alors pourquoi célébrer les gestes vides de politiciens? Qu’en est-il du soutien et de la célébration des luttes incessantes pour la libération de Notre Mère la Terre?

Il faut mettre en perspective le fait que des gens se sont précipités pour soutenir la résistance #nodapl, alors qu’ils perpétuent l’annihilation de terres sacrées et des luttes pour les droits à l’eau là où ils vivent. Ça ne veut pas dire que le Lac Oahe (la confluence sacrée entre la rivière Cannonball et le fleuve Missouri) ne garantisse pas un soutien critique, mais qu’il faut se remettre dans le contexte des luttes au sens le plus large, pour défendre ce qui est sacré et protéger l’eau. La lutte anticoloniale exige de comprendre que le front est partout. Ça mesure et calcule comment le pouvoir colonial opère. Si nous ne construisons pas ces notions dans nos luttes, nous risquons d’atteindre le point final là où Idle No More a laissé sa marque. Sans un engagement significatif dans la défense des sites sacrés immédiat, en même temps que dans la lutte contre le capitalisme et le colonialisme (ajouter racisme et hétéro-patriarcat), nous risquons de connaître un futur pas tellement éloigné, où les gens conduiront leurs hybrides à travers la Montagne du Sud (site sacré juste à côté de “Phoenix, Arizona”), sur la bretelle 202, skieront sur la neige faite de merde à Arizona Snowbowl, sur les Pics sacrés, en portant des t-shirts #nodapl ou “Defend the Sacred” qu’ils auront acheté à une fête de la Journée des Peuples Autochtones quelques semaines auparavant. Ce type particulier d’activisme superficiel et de pose anticoloniale est devenu dominant après Standing Rock.

La Journée des Peuples Autochtones, en tant que processus de collusion avec les forces étatiques d’occupation, risque de devenir un rite colonial patriotique plutôt que quelque chose qui s’assimile à une libération.

ROMPRE AVEC LA POSE ANTICOLONIALE

Nous aimerions prendre un instant pour expliquer ce que nous voulons dire par “pose anticoloniale.”

Cette attitude cherche à se justifier et s’auto-légitimer avec le plus de bruit possible, quelquefois délibérément et d’autres fois par vertu, tout en noyant les voix Autochtones critiques. Habituellement, par le vacarme familier de la rhétorique qui délégitimise et dénie dans des rencontres privées de personne à personne (sans responsabilité), blanches ou universitaires (parfois les deux) ou par des déclarations en ligne (qui signifient nous allons faire ce que nous voulons de toutes façons, nous vous avons seulement ‘entendus’), ou la tactique certainement pas innocente, mais la plus utilisée, de l’ “invitation à faire part de vos soucis.” Vous voulez vraiment que nous nous présentions à votre soirée pour dire combien c’est problématique et cependant ne rien faire pour changer fonctionnellement ce que vous êtes en fait en train de faire? Il n’y a rien d’anticolonial là-dedans.

C’est le règne du fascisme d’alliance coloniale/blanche, c’est en réalité, anti-Autochtone. Cette forme de posture radicale réclame tellement sa validation qu’elle cherche agressivement ceux qui peuvent être d’accord, et quand elle les a trouvés, les objective et capitalise leur participation. Ce n’est pas une forme de solidarité, c’est de l’exploitation brutale. C’est là où la fausse alliance des colonialistes rejoint le capitalisme. En clair, la posture anticoloniale maintien la suprématie blanche et le capitalisme.

Les tentatives les plus primaires de blanchir le colonialisme anticolonial résultent en un visage rouge de façade. En l’état, il y aura toujours quelques loups pour danser et là où il y a une chance de gagner une position sociale, du pouvoir par la proximité avec les blancs, on sort pour danser avec les loups.

La pose anticoloniale prospère sur la violence latérale. Prendre des poses radicales et réduire au silence ceux qui ne sont pas d’accord, c’est comment navigue la suprématie blanche pour se perpétuer. Ça nous est familier, à nous qui sommes des Autochtones radicaux/anarchistes/anticapitalistes/antiautoritaires, vu que nous y avons déjà été assujettis et que nous recevons constamment ses coups. Bien sûr nous continuons à être confrontés au fait qu’on peut se débarrasser de nous tous les jours. Les communautés et les lieus radicaux ne sont pas des exceptions à moins d’être les nôtres, ou à moins que beaucoup de travail à long terme pour construire des relations dans le combat, pour vraiment devenir des complices et non pas des alliés, ait été fait. Et encore, à quel point cette relation a de sens ne sera jamais déterminé par des colons blancs. Jamais.

DERACINER LE COLONIALISME

Le colonialisme n’est pas un évènement statique mais une structure construite sur des idées.

Supposer que les structures du pouvoir colonial pourront plier devant des arguments moraux est un point de vue qui admet que le pouvoir colonial peut être absout, nous croyons qu’il ne le peut pas. Il doit être détruit et les conditions qui précipiteront sa chute doivent aussi être enracinées dans ces terres. En tant qu’abolitionnistes anticoloniaux, nous visons le démantèlement total et la destruction systématique de la domination coloniale et de l’exploitation de ces terres.

Nous désirons l’éradication de la géographie coloniale, et voyons que le démantèlement de la documentation historique et de l’iconographie en fait intégralement partie, mais nous affirmons que de tels gains devront être entièrement dans les mains des gens, pas de l’état.

Quand des mains Autochtones et/ou complices non autorisées et sans médiation, frappent ou brisent ces statues, ces monuments, et ces jours de reconnaissance, le mouvement vers la déstabilisation de l’emprise coloniale mortelle sur notre humanité est libéré.

Ce genre d’attaques contre les signes matériels du pouvoir colonial peuvent briser sa légitimité.

Amrah Salomon J. déclare: “L’abolition et la décolonisation, avec l’auto-détermination collective, exigent des actions concrètes. Des actions qui peuvent commencer par abattre une statue ou supprimer un jour férié, mais qui ne peuvent certainement pas s’arrêter là, vu qu’enlever un monument ne fait rien pour en finir avec les incarcérations de masse ou la brutalité policière, et la suppression d’un jour férié ne fait rien pour remédier au fait que les vies Autochtones soient sacrifiables ou à la profanation des sites sacrés. Oui, les statues racistes doivent être abattues et les fêtes racistes doivent être abolies, mais le cynique changement de nom des fêtes et des statues en une sorte de célébration de bonne conscience inclusive (les arguments en faveur de la diversité et de l’intégration sont en fait une assimilation culturelle au colonialisme de peuplement, certainement pas un profond règlement de compte avec nos politiques de différence) est autorisé par l’état parce qu’il peut être réduit à un mécanisme par lequel la société des colons autorise les actes de colonialisme et le terrorisme racial à se perpétuer tandis qu’elle se lave les mains de toute responsabilité d’y faire quelque chose. Nous rejetons cela.”

Nous pouvons et devons défier et attaquer de façon cruciale les idées et les structures de la suprématie blanche, de l’hétéro-patriarcat, du capitalisme et du colonialisme. Après tout, les gens des communautés des territoires Ute occupés à Denver et au-delà, ont combattu pendant des années pour changer le Columbus Day et mettre à bas les glorifications des conquistadors et autres colonisateurs violents, tout en organisant leurs efforts pour guérir de la souffrance du traumatisme historique et intergénérationnel.

LA LUTTE ANTICOLONIALE SIGNIFIE L’ATTAQUE

K’in Balaam dit: “Les attaques anticoloniales sont des coups décisifs qui visent à obtenir l’une de ces trois choses: 1) l’expropriation des ressources pour notre propre survie, 2) changer matériellement les conditions des relations de pouvoir et du contrôle géographique, 3) saboter et miner activement la continuité du pouvoir colonial, de ses ressources, de sa culture et de son contrôle. Bref, c’est quelque chose de mesurable, pas un simple sentiment, ni un jeu de mot représentant un accord en paroles, pas en acte, facilement oublié et laissé de côté le lendemain. Nous n’essayons pas de rejoindre le parti des colons. Ni même d’y prendre le pouvoir.”

Balaam ajoute: “Etre Anticolonialiste veut dire agir et attaquer. Ce n’est pas juste quelques photos publicitaires et des actions défensives avec des jeunes colons poussés par leur culpabilité coloniale, le temps d’un weekend aventureux de guerrier. Pour les Colonisés, la vie c’est la guerre, nous sommes sous occupation et assiégés de tous côtés en tout temps. Même le candidat complice est et a toujours été, un traître potentiel de plus. De la même façon, nous, les colonisés, avons le potentiel de collaborer à notre propre génocide. La différence ne concerne pas la position que nous adoptons. Le génocide est toujours une condition situationnelle de notre lutte et nous sommes forcés de répondre en conséquence. Nous n’avons pas de deuxième chance de faire des erreurs, parce que, fondamentalement, nous sommes une menace existentielle ou ils le sont. C’est leurs huttes ou nos tipis qui brûlent mais en tous cas, quelque chose brûle.”

Enracinée dans le génocide et l’esclavage par les mains brutales de la suprématie blanche, ses banques, ses gratte-ciel, ses statues, ses noms de rues, ses écoles, sa monnaie, et autres institutions, toutes se rejoignant dans une célébration monolithique, c’est la menace de cette violence, dont nos violateurs sont toujours capables. Parce que, comme beaucoup d’autres états-nations, les “Etats-Unis”, dans leur ensemble, sont un monument à l’héritage toujours présent de la violence coloniale d’un ordre civilisationnel global. Notre tâche est de démanteler cet ordre et d’abattre ces monuments à la violence coloniale, tels que celui appelé “Amérique”.

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SOURCES:
The History of Indigenous Peoples’ Day
https://web.archive.org/web/20150214064328/
http://www.ipdpowwow.org/IPD%20History.html
http://www.berkeleydailyplanet.com/issue/2012-09-28/article/40260
http://www.history.com/topics/exploration/columbus-day
https://www.adl.org/sites/default/files/documents/assets/pdf/education-outreach/columbus-day-or-indigenous-peoples-day.pdf

https://nsarchive.wordpress.com/2011/10/07/document-friday-1992-threat-advisory-columbus-day-in-latin-america/
The Hidden 1970s: Histories of Radicalism
Red Skins White Masks, Coulthard
Wretched of the Earth, Fanon / Les Damnés de la Terre, Frantz Fanon

Resources & links:

Decolonization is Not a Metaphor:
www.decolonization.org/index.php/des/article/view/18630
www.warriorpublications.wordpress.com
www.indigenousaction.org
www.unsettlingamerica.wordpress.com
Accomplices Not Allies
: www.indigenousaction.org/accomplices-not-allies-abolishing-the-ally-industrial-complex/ Traduction française: https://chrisp.lautre.net/wpblog/?p=2339

An Indigenous Peoples’ History of the United States
by Roxanne Dunbar-Ortiz

Columbus and Other Cannibals
by Jack D. Forbes

Neo-Colonialism, The Last Stage of Imperialism
by Kwame Nkrumah

Settlers: The Mythology of the White Proletariat
by J. Sakai

Black Skin, White Mask / Peau Noire, Masque Blanc
by Frantz Fanon

A Dying Colonialism
by Frantz Fanon

The Wretched of the Earth / Les Damnés de la Terre
by Franz Fanon

Red Skins, White Masks
Glen Coulthard