Par Indigenous Action Media
15 juin 2023
Traduction Christine Prat, CSIA-Nitassinan
L’ICWA a été adoptée en 1978, à cause de la pratique génocidaire rampante, poussée légalement par des chrétiens blancs, de retirer des enfants Autochtones de chez eux et de les placer dans des familles blanches chrétiennes. La loi a été créée pour résoudre un problème que le colonialisme avait créé. L’état colonial de peuplement ne voyait pas l’intérêt de « garder les enfants Autochtones dans leurs Tribus » jusqu’à ce qu’il soit certain que ces enfants seraient assimilés passivement à l’ordre « civilisé ».
Que des familles blanches qui volent des enfants Autochtones, devrait être un non-problème. Qu’une discussion justifie le fait de laisser les enfants Autochtones avec les gens de leur peuple ait lieu, fait partie du problème plus large de la suprématie blanche, de l’hétéronormativité et du génocide des Autochtones.
Avant que l’ICWA ne soit adoptée en 1978 :
- 25 à 30% de tous les enfants Autochtones étaient enlevés à leurs foyers ;
- Parmi eux, 85% étaient placés hors de leurs familles et de leurs communautés – même lorsque des membres de la famille étaient capables et désireux [de s’en charger].
- Aujourd’hui, les familles Autochtones ont 4 fois plus de chance qu’on leur retire leurs enfants pour les placer dans des foyers ou familles d’accueil que des Blancs dans la même situation.
(Infos du site https://nicwa.org/about-icwa )
Avant 1492, les enfants Autochtones n’étaient pas volés par des prédateurs coloniaux.
Alors que l’ICWA est célébrée comme affirmation de la souveraineté Autochtone, en réalité elle affirme le pouvoir du Congrès de réguler les échanges (La Clause du Commerce) avec les Peuples Autochtones et les pleins pouvoirs sur les « affaires Indiennes ». Les pleins pouvoirs ou une autorité plénière sont un pouvoir absolu d’engager une action sur un problème particulier, sans aucune limitation.
La bataille légale autour de ICWA efface les enfants Autochtones qui ne sont pas de tribus reconnues au niveau fédéral, de communautés de la frontière, et des migrants, et ne concerne pas les problèmes de désenrôlement. Particulièrement dans la mesure où l’ICWA pose spécifiquement « des exigences qui s’appliquent à un enfant pupille de l’état, s’agissant d’un enfant Indien qui est membre ou susceptible de le devenir, d’une tribu reconnue au niveau fédéral. » L’ICWA remet en vigueur une politique de citoyenneté « Indienne » que certains gouvernements Tribaux utilisaient pour exclure les descendants métis. À part l’ICWA, le vol d’enfants se produit toujours dans le système de foyers d’accueil, où les jeunes Autochtones finiront très probablement.
Le discours autour de l’ICWA est aussi intrinsèquement cis-hétéronormatif, étant donné qu’il laisse tomber les familles queer & deux-esprits. L’ICWA définit l’enfant Indien comme « une personne non-mariée, âgée de moins de dix-huit ans et est soit (a) membre d’une tribu Indienne, soit (b) satisfait aux règles d’appartenance à une tribu Indienne et est l’enfant biologique d’un membre d’une tribu Indienne… »
Quelle justice pouvons-nous attendre d’un système colonial qui applique aussi des lois anti-Autochtones, qui sanctionnent la profanation de terres sacrées et attaquent l’autonomie corporelle ?
Nos cultures et nos communautés sont-elles si désespérées et brisées que nous en arrivons à célébrer le fait que des colonisateurs décident si nos enfants doivent être avec nous ? La « nécessité » apparente de l’ICWA démontre la fausseté des lois coloniales et la violence prédatrice de la suprématie blanche qui rode en permanence autour de nos foyers.
Que des lois coloniales soient nécessaires pour empêcher des blancs de voler purement et simplement des bébés Autochtones, est le résultat d’un problème systémique beaucoup plus profond que ce que des lois comme l’ICWA peuvent traiter.
Beaucoup de nos familles et de nos foyers sont brisés à cause de la colonisation, encore plus de lois coloniales ne vont pas les réparer.
Quelles sont les solutions enracinées culturellement et non-fondées par l’état, pour garder les enfants Autochtones dans nos familles ?
Jimbo Simmons, de l’AIM West, était l’un des intervenants, lors de la Journée Annuelle de Solidarité du CSIA-nitassinan. Cette année, la Journée commémorait aussi le 50ème Anniversaire de la fondation de l’AIM. Jimbo a donné sa vision de ce que devrait être la décolonisation.
Intervention enregistrée le 13 octobre par Pascal Grégis, du CSIA.
Jimbo Simmons
Paris, 13 octobre 2018
Transcription et traduction Christine Prat, CSIA
“Nous sommes réunis ici et avons parlé de la colonisation. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Selon ma façon de voir la colonisation, elle a été fondée et imposée de force à notre peuple en Amérique du Nord, les Indiens. Puis elle a été exportée partout dans le monde à d’autres communautés Autochtones. Alors, pour que nous puissions rejeter le joug de la colonisation, il faut que je la définisse plus profondément, en ce qui me concerne. Parce que je pense qu’il y a plus à faire que décoloniser. Il faudrait qu’on vous fasse toute une leçon d’histoire, sur la colonisation. Mais pour notre peuple en Amérique du Nord, la décolonisation, nous la concevons comme une libération, nous libérer d’un système de valeurs qui nous a été imposé. Notre mode de vie, notre philosophie de la vie, est tout aussi valable que n’importe quelle autre idéologie, en tant que mode de vie dans le monde d’aujourd’hui. Mais lorsque nous nous décolonisons nous-mêmes, je pense que nous ne faisons que nous coloniser davantage. Et alors, les Etats-Unis ont affaire à un néocolonialisme. Et pour moi, ça signifie que des gens qui ont été colonisés par notre ennemi, ont acquis le pouvoir, à travers le système de gouvernement, de perpétuer le même système colonial. Ainsi, c’est plus facile pour les colonialistes de dire “ils le font à eux-mêmes”. Alors, nous devons bien comprendre ce que nous voulons dire par colonisation et décolonisation. Je pense que nous, en Amérique du Nord, commençons à aller dans ce sens. Et aujourd’hui, en écoutant les interventions de nos frères et sœurs qui combattent aussi, je vois que c’est la même chose. Donc, je pense que nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres, à partager, à comprendre tout ce que nous avons en commun, quand nous parlons de colonialisme. Car pour nous, en Amérique du Nord, c’est une colonisation qui a menacé notre mode de vie, qui nous a conduit à nous soulever pour défendre ce mode de vie. Ainsi, nous devons vraiment bien comprendre de quoi nous parlons, quand nous disons “décolonisez”. Parce que beaucoup de problèmes qui touchent notre peuple, comme les oléoducs, comme nos sites sacrés, en font partie intégralement. Et je voulais juste faire remarquer cela, afin que nous puissions avoir une meilleure compréhension de ce que nous subissons, de ce dont nous parlons aujourd’hui.
J’ai écouté nos frères Kanak et les autres frères qui combattent le colonialisme… J’avais toujours pensé que les Français étaient nos amis, qu’ils étaient nos alliés, alors ça me pousse en quelque sorte à me demander, quel est notre but, quel est notre objectif? Et je viens ici, pourtant je suis Choctaw, et ce sont les Français qui ont pris notre territoire puis l’ont abandonné au gouvernement des Etats-Unis. L’enseigne-t-on dans les livres d’histoire? Je crois que non. Ainsi, je pense que nous devons nous rééduquer pour savoir ce que nous pouvons faire pour parvenir réellement à ce que nous essayons de faire, c’est-à-dire nous libérer.
Et c’est un honneur pour moi d’être à nouveau ici avec mes frères et mes sœurs, qui se battent tellement dans leurs communautés, et de trouver les moyens de tendre la main à d’autres peuples dans le monde et aux communautés à travers tous les Etats-Unis. Et [des communautés] qui découvrent leur pouvoir, retrouvent leur voix, et trouvent leur force. Et pendant ce temps, nous nous construisons aussi spirituellement, et par là, nous guérissons, nous sommes sur le point de guérir. Ainsi, quand nous comprenons bien comment la colonisation nous affecte, il devient beaucoup plus facile de nous guérir nous-mêmes.
Parfois, ça me pose des problèmes de dire que les Indiens sont les gens les plus colonisés du monde aujourd’hui. Alors, comment combattre ça? En revenant à nos façons et traditions, à notre philosophie de la vie. Et, comme nos frères nous l’ont montré au début de ce programme, avec leurs danses, ce que ça va exiger de nous pour montrer aux gens que nous sommes humains aussi. Parce que, comme je l’ai observé par leurs danses, leurs costumes, c’est un processus que nous aussi devrons suivre pour retrouver notre identité.
L’autre aspect extrêmement important, c’est notre langue. Notre identité. Nous ne sommes pas autochtones, nous sommes les peuples d’origine de ces pays. Nous sommes les Lakota, ou Dakota, les Cheyennes, les Dineh ou les Choctaw. Quel qu’aient été les noms originaux, ce qu’étaient leurs noms originaux au début des temps, c’est de ça qu’il s’agit. Et si nous les traduisons en anglais ou en français, ils signifient tous Les Gens [et Kanak signifie ‘Homme’]. Alors, ce qu’ils veulent faire c’est effacer la mémoire de qui nous étions à l’origine. Et pour moi, c’est cela, la colonisation. Et tant qu’ils perpétueront ce système dans nos communautés, nous continuerons à nous battre, nous continuerons la lutte contre ce système. Même s’il n’y a pas de solution, ou peut-être même pas de réponse à ça. C’est tout ce que le gouvernement veut, créer assez de chaos pour nous aveugler.
Donc, nous devons revenir à nos débuts. Peu importe d’où nous venons. Notre peuple a toujours regardé quatre couleurs sacrées: le jaune, le noir, le rouge, le blanc. Nous avons tous eu une origine dans le temps, nous avons tous dû apprendre de quelque chose. Ainsi, les instructions qui nous ont été données à l’origine sont ce qui nous constitue. Mais, quelque part sur le chemin, nous les avons perdues. Je dis ‘nous tous ensemble’, mais alors, je ne veux pas dire ‘nous’, les Indiens d’Amérique du Nord, parce que nous sommes tous embarqués dans cette lutte avec vous. Merci.”