CHARBON, URANIUM ET LE MEURTRE DES INDIENS: BIG MOUNTAIN 1986

Article paru dans le mensuel ‘De Vrije’, Amsterdam 1986
Traduction Christine Prat
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‘La terre est moi sont une seule âme’. Ce proverbe Indien exprime de façon laconique ce que les Navajos et les Hopis traditionnels essaient de faire comprendre au gouvernement Américain depuis douze ans. La déportation imminente de dix mille Navajos de la région d’Arizona où leurs ancêtres ont vécu depuis des siècles – une déportation qui pourrait commencer à tout moment, étant donné que l’ultimatum expire le 7 juillet de cette année – menace d’être un triste record dans l’histoire des Etats-Unis. Une histoire au cours de laquelle le gouvernement a systématiquement essayé de mettre un terme à l’existence des cultures Indiennes. Au cours de laquelle les ‘Anciens Peuples’ devaient perdre devant les compagnies de charbon et d’uranium, le Mormonisme, les politiciens et le ‘développement économique’. Cet article met en lumière le contexte à la base du conflit en Arizona et décrit la lutte des Navajos et Hopis traditionnels contre l’agression de leur terre et de leur vie.

Un jour de l’automne 1977 une équipe de construction du gouvernement est arrivée sur Black Mesa, au cœur de la Réserve Navajo, en Arizona. Leur mission était de poser une clôture de barbelés à travers le désert rocheux. Peu après leur arrivée, ils se sont soudain retrouvés face à Pauline Whitesinger, une veuve et mère Navajo de 43 ans. Pauline a ordonné aux hommes de disparaître de sa terre. Le chef d’équipe a répondu par une obscénité. Pauline a brandi le poing et très vite le chef d’équipe s’est retrouvé par terre tandis qu’elle jetait des bâtons et de la terre sur l’équipe. Intimidés par la férocité de son attaque, les hommes ont tourné les talons.

L’action de Pauline Whitesinger a marqué le début de la phase actuelle de résistance dans la lutte des Navajos pour conserver le territoire sur lequel ils vivent depuis des siècles et auquel ils appartiennent de tout leur cœur et de toute leur âme. La clôture – dont ils ont empêché la pose depuis ce moment – doit être placée sous prétexte d’un Règlement Territorial Navajo-Hopi, plus connu comme Loi 93-531. Cette loi a été adoptée par un Congrès délibérément trompé. La Loi 93-531 prétend résoudre un ‘conflit’ entre les Navajos et les Hopis sur la propriété de la Zone d’Utilisation Conjointe, une zone mise à leur disposition commune. Les Navajos sont supposés l’avoir confisquée et les Hopis vouloir en expulser les Navajos. En réalité, il n’y a pas de conflit. Entre le Peuple Navajo et le Peuple Hopi, en tous cas. Le vrai conflit est entre les Navajos et Hopis traditionnels d’une part, et leurs conseils tribaux nommés contre leur volonté par le gouvernement central, ce gouvernement lui-même, et les grandes compagnies d’énergie et l’église Mormone, d’autre part. L’intérêt qui lie ces quatre entités – souvent liées de près – ce sont les milliards de dollars potentiels du charbon, de l’uranium, du pétrole et du gaz du sous-sol de la Zone d’Utilisation Conjointe. Les Conseils d’Administration – dominés par des Mormons – des compagnies d’énergie – qui sont en grande partie propriétés de Mormons – sont impatients de signer les uns avec les autres des contrats d’exploitation. Cependant, les Indiens qui vivent sur ce territoire n’ont pas l’intention de se sacrifier pour cela. De plus, le fait que la Zone d’Utilisation Conjointe soit depuis longtemps propriété commune des Navajos et des Hopis rend la signature de contrats plus compliquée. Les compagnies minières et énergétiques ont donc dû créer le ‘conflit’ et mettre en scène une véritable guerre sur le terrain, pour finalement faire adopter par le Congrès leur ‘solution au conflit entre les Hopis et les Navajos’. La Loi 93-531 stipule que la Zone d’Utilisation Conjointe doit être divisée par une clôture de fils de fer barbelés entre une moitié Navajo et une moitié Hopi. Tous les Navajos vivant actuellement dans la zone Hopi – environs dix mille – doivent partir. La même chose s’applique à la centaine de Hopis vivant dans la zone Navajo. La plupart sont casés hors de la Réserve. Ainsi, la Zone d’Utilisation Conjointe devient, juridiquement et en pratique, beaucoup plus accessible pour l’extraction de matières premières.

LA TERRE EST VIVANTE

Afin de comprendre ce qui se passe exactement dans et autour des réserves, il est important de connaître un peu l’histoire et la culture des Hopis et des Navajos. La ruée vers l’or de 1848 a amené des Blancs, Mormons et autres, en Arizona et au Nouveau-Mexique (entre autres). Beaucoup d’entre eux se sont installés définitivement sur des terres qui avaient appartenu aux Hopis depuis un millier d’années et dans la zone adjacente où des Navajos vivaient depuis six cents ans. Il y a eu des frictions. La résistance Hopi consiste traditionnellement en un refus non-violent de coopérer. Mais les Navajos se sont défendus contre les Blancs et ont été vaincus. Un régiment de cavalerie conduit par le héros national Américain Kit Carson a brûlé leurs terres, détruit leurs animaux et leurs vergers et kidnappé 8500 Navajos conduits dans un camp de concentration près de Fort Sumner, où beaucoup sont morts de faim. Quelques années plus tard, le gouvernement est arrivé à la conclusion qu’il serait économiquement plus profitable de permettre aux Navajos de se nourrir eux-mêmes que de les combattre. Les survivants ont été libérés et largués dans une petite réserve désertique. Entretemps, des Blancs avaient confisqué leurs terres, et les Navajos qui avaient pu s’échapper s’étaient installés dans le voisinage immédiat des Hopis. La pression causée par leur présence occasionne des disputes mineures de temps en temps, mais ils arrivent toujours à les régler entre eux. En générale, la relation entre les deux peuples est bonne. Les Hopis ont beaucoup plus de problèmes du fait que les Etats-Unis ont aussi créé une réserve pour eux en 1882, ce qu’ils n’avaient absolument pas le droit de faire selon les Hopis : selon le traité Guadalupe-Hidalgo, ils sont restés une nation indépendante. En 1934, la réserve Hopi a été réduite au tiers de sa taille initiale. Les Hopis doivent maintenant faire paitre leurs troupeaux dans le ‘District 6’, les Navajos à l’extérieur de ce district, dans le reste de leur ancienne réserve. Les droits de propriété sur ce nouveau ‘no-man’s land’ appartiennent aux deux peuples conjointement. C’est ainsi que la Zone d’Utilisation Conjointe a été créée.

Au début, le gouvernement américain a pensé que les Hopis et les Navajos avaient été relégués sur des lambeaux de terres sans valeur. Mais il s’est vite avéré que le sous-sol de leurs réserves contenait en abondance du pétrole et du gaz, et au cours du vingtième siècle il est devenu évident que les Navajos et les Hopis vivaient sur des ressources minérales valant des milliards : il y a dans le sous-sol d’énormes veines de charbon et des milliards de tonnes d’uranium. De nombreuses compagnies minières et d’énergie ont immédiatement manifesté un grand intérêt. Leurs tentatives de signer des contrats d’exploitation du sol avec les Indiens ont cependant échoué. Ceux-ci se trouvent avoir une autre conception de la terre que les Américains blancs. Bien que chacun des deux peuples ait son propre mode de vie et sa culture – les Hopis vivent d’agriculture sur le sommet des plateaux, alors que les Navajos se déplacent depuis toujours dans le désert avec leurs troupeaux – leur attitude face à la vie est en fait similaire. Ils se sentent inséparablement liés à la terre qui leur a donné naissance, à eux et leurs ancêtres. Et le sol, la Terre vit. Tout ce qui pousse ou se déplace dessus a sa place dans son cycle ; tout tient le reste en équilibre. ‘Nous devons nous considérer comme faisant partie de la terre, pas comme un ennemi extérieur essayant de lui imposer sa volonté.’ C’est la façon dont un Indien l’exprime. ‘Nous savons que parce que nous en sommes une partie, nous ne pouvons en endommager ne serait-ce qu’une petite partie sans nous blesser nous-mêmes.’ C’est pourquoi les Peuples Anciens ne prennent jamais pour eux-mêmes plus que le nécessaire. Par exemple, les Hopis ont rarement plus d’animaux que ce qui est nécessaire pour leurs besoins quotidiens. La terre elle-même n’est la propriété de personne. Mais c’est le devoir des gens qui y vivent de la protéger. Déchirer et mutiler cette Mère la Terre a longtemps été impensable pour les Hopis et les Navajos, jusqu’à ce qu’ils le voient se produire devant leurs propres yeux.

Les Américains et les Occidentaux en générale voient la terre différemment : comme un objet de consommation essentiellement apprécié pour sa valeur d’échange. Il va de soi de diviser, acheter et vendre de la terre, de l’éventrer pour en tirer toutes sortes de choses et de la couvrir de béton. La terre est un matériau mort. C’est la différence entre la notion occidentale de la terre et l’approche Indienne qui en fin de compte fonde le conflit autour de la Zone d’Utilisation Conjointe.

L’AIDE DES MORMONS

En dehors de partenaires récalcitrants à la signature de contrats, il y a aussi, au début du siècle, un autre obstacle pour les développeurs d’énergie potentiels. Avec qui peuvent-ils conclure un accord ? Selon une loi de 1891, ce devrait être avec ‘le conseil gouvernant représentant les Indiens’. Mais un tel conseil n’existe pas. Les Hopis et Navajos traditionnels n’ont jamais connu d’autorité centralisée ou d’organe représentatif. Le pouvoir politique est décentralisé depuis des temps immémoriaux et repose sur un consensus entre des communautés autonomes. Pour les Navajos, l’unité politique de base est la famille. Çà inclut de vingt à deux cents membres qui travaillent ensemble sur le plan économique et organisent leurs cérémonies en commun. Il peut y avoir un homme à la tête d’une telle communauté, mais c’est généralement une femme. Le bétail et les biens sont gérés par les femmes et la descendance est déterminée par les femmes. Ce n’est pas une coïncidence si l’essentiel de la résistance à la Loi 91-531 vient d’elles. Ce sont souvent des femmes de plus de soixante ans, armées de fusils, qui résistent aux équipes de construction.

L’autorité centralisée est également un phénomène étranger aux Hopis. Chaque village Hopi est autonome et totalement autogéré. Ils ont bien un dirigeant traditionnel, le (ou la) Kikmongwi, mais son autorité est uniquement fondée sur sa sagesse. S’il y a des problèmes, les Kikmongwis de différents villages se réunissent pour échanger des informations et délibérer. Cependant, les décisions finales sont prises exclusivement dans les villages et pas avant que tous les gens concernés ne soient parvenus à un accord. C’est souvent laborieux et çà demande beaucoup de discussions, mais le consensus est une condition pour les décisions concernant le village.

Une telle organisation de la société Indienne était une épine dans le pied des compagnies et du gouvernement. Non seulement les Indiens n’étaient pas adaptés à la société américaine, mais il était impossible de faire des affaires avec eux. Où étaient les gens autorisés à mettre une signature au bas d’un contrat et prêts à le faire sans avoir l’accord de tous les autres ? Ces gens devaient être fabriqués. Et il se trouvait, par hasard, des Mormons qui s’en préoccupaient déjà depuis 1880 : transformer des Indiens traditionnels en citoyens Américains assoiffés de profits et de pouvoir. La croyance des Mormons enseigne qu’une peau foncée est une punition de Dieu. Les Indiens sont foncés, selon le Livre des Mormons, parce qu’ils sont tombés dans la mécréance et la vanité. S’ils se convertissent au Mormonisme, ils redeviendront blancs. Guidés par le noble souhait de sauver les Indiens, les Mormons ont commencé vers 1880 à attirer les enfants Hopis et Navajos les plus doués hors des réserves pour les envoyer dans de lointains pensionnats ou orphelinats. Jusqu’en 1915, çà s’est souvent produit avec l’aide de la Cavalerie américaine, qui a littéralement enlevé des enfants et arrêté les parents récalcitrants. Après 1915, ils ont surtout profité de la situation financière désastreuse des parents pour les convaincre. Dans les orphelinats principalement Mormons, il était interdit aux enfants de parler leur langue ou de porter leurs vêtements et coiffures traditionnels. On leur donne des noms anglais et leurs habitudes Indiennes sont déclarées tabou. Ils sont soumis à un endoctrinement religieux intensif. A l’heure actuelle, entre vingt et quarante pour cent des Hopis sont Mormons – chez les Navajos, le pourcentage est plus bas. Ces gens croient que le Royaume de Dieu peut être réalisé sur terre en accumulant le plus de richesses possible. L’église Mormone, qui compte des millions de membres, est donc très riche et puissante. Les Mormons sont propriétaires de nombreuses compagnies et multinationales. Dans l’état d’Utah (qui inclut une petite partie de la réserve Navajo) ils contrôlent toute la vie politique. Ils ont fondé Salt Lake City. Dans les compagnies dont l’avidité est attirée par les richesses du sol Indien, les intérêts Mormons sont très largement représentés.

Les Hopis et Navajos Mormons voient leur propre terre avec les yeux de ces compagnies. C’est précisément pourquoi le ‘conflit’ présent peut être présenté comme cela.

« YELLOW CAKE » (« GATEAU JAUNE »)

Retournons au début du siècle. Tandis que les Mormons aident les Indiens à devenir des capitalistes blancs, le Bureau des Affaires Indiennes – une institution gouvernementale dans la même ligne d’idées que les hommes d’affaires – n’est pas resté inactif. En 1921, un sous-traitant de Standard Oil a trouvé du pétrole dans la réserve Navajo. Le Bureau des Affaires Indiennes a immédiatement réuni tous les hommes ( !) Navajos pour approuver un accord sur le pétrole. Les soixante-quinze personnes présentes ont unanimement voté contre. Le Bureau des Affaires Indiennes se sent très concerné par le sort de Standard Oil. Après deux ans d’efforts, ils ont réussi, probablement avec des menaces et de fausses promesses, à former un Conseil Navajo permanent dont la première décision officielle a été de transmettre ses pouvoirs de signer des contrats au Bureau des Affaires Indiennes !

C’était il y a soixante-trois ans. Aujourd’hui il y a quatre mines de charbon à ciel ouvert (le charbon est obtenu en faisant sauter la couche supérieure de la terre) et cinq énormes centrales au charbon sur la réserve Navajo. La région, qui auparavant avait l’air le plus pur des Etats-Unis, est maintenant couverte de fumée noire et de suie. La Centrale de Four Corners rejette chaque jour trois cents tonnes de sulfures et deux cents tonnes de nitrates dans l’atmosphère. Il y a trente-huit mines d’uranium et six usines de retraitement. En ce moment, elles sont arrêtées la plupart du temps parce que le charbon est plus facile à extraire et moins controversé. Cependant, l’extraction d’uranium reste intéressante pour la production d’armes nucléaires.

Des cinq mille mineurs Navajos qui ont travaillé dans les mines d’uranium de 1952 à 1969, plus de quatorze cents sont morts du cancer, principalement du cancer du poumon. Un grand nombre de survivants en sont atteints. L’eau du sous-sol est contaminée. D’innombrables chevaux et moutons sont morts après en avoir bu. Les déchets radioactifs sont abandonnés en tas partout dans la réserve. Maris van Kints, de l’association Groupe d’Action Hollandais pour les Indiens d’Amérique du Nord (NANAI) l’a vu elle-même : ‘Çà ressemble à de gros tas de sable. Ils appellent çà Gâteau Jaune [Yellow Cake]. Les enfants jouent dedans, les maisons sont construites avec, les moutons mangent l’herbe qui pousse dessus et çà entre dans la chaîne alimentaire. Et çà restera contaminé pendant des milliers d’années !’  Il y a beaucoup d’enfants mort-nés ou avec des malformations congénitales.

De plus, les accords financiers pour le pétrole, l’uranium et le charbon conclus par le Bureau des Affaires Indiennes pour les Navajos sont les pires au monde. Exemple typique : il y a un contrat par lequel les Navajos touchent 15 cents pour une tonne de charbon, alors que dans des territoires non-Indiens le prix normal est d’1,50 dollar – dix fois plus. Les Navajos eux-mêmes n’ont pas l’électricité.

deVrijeb005BOYCOTT DU REFERENDUM

Pour les Hopis aussi, un conseil a été fabriqué. Pour mettre fin à l’autogouvernement des peuples Indiens, le gouvernement américain a promulgué en 1934 la Loi de Réorganisation Indienne (IRA). Cette loi a été saluée comme une grande réussite : elle donnait aux Indiens la bénédiction du système politique américain. La constitution a été écrite spécialement pour eux. On y trouve entre autres un règlement selon lequel toutes les décisions de leurs conseils doivent être approuvées par le gouvernement central. Les Kikmongwis étaient contre la loi (imposée à 76% des Indiens) dès le début. Ils ont boycotté le référendum à ce sujet : la façon Hopi d’exprimer leur opposition à quoique ce soit. L’administration centrale le sait parfaitement, mais a tout de même choisi de considérer l’abstention comme un accord. Avec pour conséquence que les Hopis se sont soudain retrouvés gouvernés par un conseil central qui peut promulguer des lois et conclure des accords avec des compagnies au nom de tout le peuple. Le conseil Hopi a une base électorale de moins de dix pourcent de la population. La présence au conseil, qui a été longtemps insuffisante pour constituer un quorum, était, et est toujours, presque entièrement composée de Hopis Mormons. Ces soi-disant ‘progressistes’ trouvent les conseils, l’exploitation du territoire et l’ ‘American Way’ magnifiques et sont de très bons amis de l’administration. En 1955, le conseil Hopi a recruté un avocat de Salt Lake City pour conduire leurs négociations avec les compagnies d’énergie. Ce John Boyden, qui avait arrangé lui-même, par l’intermédiaire du Bureau des Affaires Indiennes, la composition du conseil, est un ex-archevêque Mormon. Quelques années plus tard, il a présenté une ‘revendication territoriale’, au nom des Hopis, à la Commission des Revendications Territoriales Indiennes, et a ‘gagné’. Selon une loi récente, çà ne voulait pas dire que les Hopis récupèreraient leurs terres, comme ils le croyaient au départ, mais seulement qu’ils recevraient une somme d’argent relativement modeste, dont Boyden a reçu un pourcentage conséquent. Jusqu’à maintenant, même les membres du conseil ont refusé d’accepter l’argent.

Dans les années soixante, Boyden a conclu de nombreux accords avec des compagnies minières et énergétiques. Les Kikmongwis, en tant que représentants des Hopis traditionnels, ont protesté à chaque étape et ont même porté l’affaire devant un juge fédéral, qui a rejeté leur assertion selon laquelle le conseil n’était pas le représentant légitime de leur peuple, sous prétexte qu’ils n’avaient pas le droit de poursuivre leurs propres autorités !

ZONE DE SACRIFICE NATIONAL

Entretemps, Boyden continue. Une enquête a montré plus tard qu’en dehors du conseil Hopi, il travaillait, en même temps, pour une grande compagnie Mormone, Peabody Coal Company. C’est avec Peabody qu’il a signé les principaux accords de 1964 et 1966 (pour un salaire d’un million de dollars). Peabody loue 260 km² sur Black Mesa, partiellement situés dans la Zone d’Utilisation Conjointe et contiennent la plus grande réserve de charbon d’Arizona. Les mines ont laissé d’énormes cicatrices sur le territoire. Pire encore, ils utilisent pour transporter le charbon – par un pipeline de 100 km – 7,5 millions de litres d’eau par jour. C’est une grave menace pour l’agriculture et l’élevage dont les Indiens d’une région déjà très sèche dépendent. ‘Le pompage de telles quantités d’eau du sous-sol de Black Mesa va briser l’harmonie et rompre l’équilibre partout’  selon la mise en garde des Kikmongwis en 1971. Leur protestation concerne l’ensemble de la manière occidentale de se comporter avec la Terre et ses conséquences. ‘Les développements techniques de l’homme blanc se produisent comme conséquence de son manque d’intérêt pour l’aspect spirituel et pour la façon selon laquelle tout vit’ dit leur porte-parole Thomas Banyacaya. ‘Si la terre sacrée est profanée et déchirée par l’exploitation de matières premières et autres activités destructrices, çà signifie à terme la plus grande marche vers la mort pour tous les peuples du monde.’

La veine de charbon sous Black Mesa – entretemps déclarée par l’Académie Nationale des Sciences ‘zone de sacrifice national’ – s’étend jusqu’à Big Mountain, à quatre kilomètres à l’intérieur de la Zone d’Utilisation Conjointe. On estime qu’il y a vingt-et-un milliards de tonnes de charbon facilement accessible. Cependant, à part Peabody, aucune compagnie charbonnière n’arrive à en obtenir. Ni le conseil Hopi ni le conseil Navajo (qui, contrairement aux Navajos traditionnels, ne sont pas contre la délivrance de permis d’extraction) n’ont le droit de louer le sol séparément, mais ensemble ils n’arrivent pas à se mettre d’accord. Pendant ce temps, les gens qui vivent à Big Mountain sont déterminés à laisser les vingt-et-un milliards de tonnes de charbon dans le sol.

« BONS INDIENS »

Dans la seconde moitié des années soixante, les Hopis ‘progressistes’ (c’est-à-dire le conseil Hopi) a entamé une campagne intensive pour diviser la Zone d’Utilisation Conjointe et se débarrasser des Navajos. Ils sont personnellement concernés par l’exploitation de la terre, étant donné que le salaire des fonctionnaires Indiens dépend en partie des revenus des permis miniers. Aussi, les ‘progressistes’ se mettent de plus en plus à l’élevage à grande échelle et ont besoin de plus de terres. Jerry Kammer, un journaliste qui a enquêté sur place, conclut en 1980 : ‘La famille qui profite le plus de cette façon de faire des affaires est la famille Sekaquaptewa. Les Sekaquaptewa sont les Hopis les plus riches et possèdent le plus grand troupeau. Des Mormons. Wayne Sekaquaptewa est aussi propriétaire du quotidien Hopi et a été président de l’église Mormone de la réserve. Son frère Abbot est l’actuel président de conseil Hopi.’

Cependant, le leader de la campagne est John Boyden. Avec l’aide de Peabody Coal, d’un groupe de banquiers de l’Utah et de WEST, une association de compagnies d’énergie intéressées, il est constamment à Washington D.C. pour tenter de gagner le Congrès à sa cause. Ils disent au Congrès que les Navajos ont pénétré de force en territoire Hopi et refusent de partir. Qu’il y aurait une véritable guerre sur place. Pendant ce temps, une firme de Relations Publiques engagée par le conseil Hopi, Evans & Associates de Salt Lake City, met ladite guerre en scène. Ils font circuler des photos de camps brûlés et de granges détruites, qui sont avidement reprises par la plupart des journaux. Le Washington Post a écrit le 21 juillet 1974 : ‘Evans & Associates représente aussi 23 sociétés de services qui ont installé des centrales et des mines à ciel ouvert dans la région de Four Corners… Ces sociétés ont dit à leurs clients que les Hopis étaient de « bons Indiens » qui n’arrêteraient pas la chose qui fait fonctionner leur climatisation.’

La campagne est un succès. En 1974, un Congrès distrait par l’affaire du Watergate, a adopté la Loi 93-531, soutenue avec zèle par le sénateur d’Arizona Barry Goldwater, entre autres. Selon cette loi, la Zone d’Utilisation Conjointe doit être divisée par une clôture de fils barbelés de six cent kilomètres entre deux zones, Navajo et Hopi ; les dix mille Navajos qui vivent du mauvais côté de la clôture doivent abattre ou vendre 90% de leur bétail en préparation de leur déportation ; de plus, il y a une interdiction de construire, améliorer ou réparer les maisons et les granges. Une commission de relocalisation organisera la déportation des Navajos. Ils auront une ‘compensation’ de cinq mille dollars si ils partent ‘volontairement’ dans les cinq ans. A part cela, la loi promet de ‘minimiser les effets négatifs’ en leur donnant une terre ailleurs. Le gouvernement fournira des ‘logements hygiéniques et décents’ et l’infrastructure de la communauté : écoles, hôpitaux, routes, etc. Parce qu’il n’y a plus de place dans la réserve. Le sol est déjà touché par le broutage excessif et il est difficile d’y survivre.

A peine vingt pourcent des habitants de la Zone d’Utilisation Conjointe ont été déplacés, souvent après avoir subi des pressions. Çà a commencé à révéler la tragédie impliquée par la Loi 93-531.

DEPRESSIONS ET SUICIDES

Les Navajos déplacés ont échoué dans des maisons individuelles, dans des banlieues de petite classe moyenne raciste. Les petites maisons avaient des prises et de la tuyauterie, mais pas d’électricité, ni de gaz, ni de lumière. Pas la peine de parler de la Terre Promise. Quarante pourcent des Navajos déplacés ne comprennent pas l’anglais et la majorité d’entre eux n’ont jamais eu d’emploi salarié ou payé des impôts. Mais c’est difficile, dans leur petit bout de jardin, de rester éleveurs de moutons indépendants. Ils doivent tenter de survivre dans un système économique et bureaucratique totalement étranger, alors qu’ils ont peu de chance de trouver un emploi, considérant d’où ils viennent. La plupart ont rapidement des problèmes quand ils doivent payer des impôts ou reçoivent soudain des factures de gaz, d’électricité ou de frais médicaux. Les sociétés de crédit se sont précipitées pour exploiter habilement leur manque d’expérience en matière économique. Par exemple, elles les ont convaincus de donner leur maison en garantie pour des prêts dont les sociétés de crédit savaient qu’ils ne pourraient pas rembourser. D’autres maisons ont été vendues pour le quart de leur valeur. Depuis, cinquante pourcent des Navajos relogés à Flagstaff ont perdu leur maison. Il est à noter que la commission de relocalisation continue à racheter les mêmes maisons deux ou trois fois, apparemment sans se demander ce que sont devenus les habitants précédents. La plupart des promesses du gouvernement en matière d’écoles et de services de santé sont restées lettre morte. Mais pour les Diné [Navajos] ce qui est bien pire que leur situation matérielle c’est la séparation d’avec leur terre. Avec leur terre, à laquelle leur religion et leur existence sont étroitement liées, c’est aussi métaphoriquement que le sol s’est dérobé sous leurs pieds. Ils voient leur culture détruite, leur vie communautaire éclatée : ‘Çà semble en être fini de nous’ dit une femme déportée. ‘Nos projets pour l’avenir de nos enfants se sont effondrés. Nous nous sentons très seuls depuis la déportation. Çà ressemble à une prison ici. Nous nous demandons pourquoi nous l’avons fait. Si nous n’avions pas accepté d’être déplacés, notre fille ne serait peut-être pas morte.’ C’est un fait que beaucoup, à part la dépression et l’alcoolisme, souffrent de problèmes de santé. La mortalité est élevée. Sous l’effet du stress émotionnel les familles éclatent et le nombre de suicide a beaucoup augmenté.

deVrijeb007Certains Navajos déplacés retournent illégalement sur leur ancienne terre. Mais il est de plus en plus difficile d’y survivre. Du fait de l’interdiction de construire et de réparer, de plus en plus de familles qui s’agrandissent vivent dans des hogans – les huttes traditionnelles – qui se dégradent lentement. S’ils essaient d’améliorer leur logement, ils voient le résultat de leurs efforts détruit sous leurs yeux par des employés du gouvernement. Avec seulement dix pourcent de leur bétail, ils peuvent à peine se maintenir en vie : leur nourriture consiste de pain, de café et de pommes de terre. Mais ils sont déterminés à ne pas se laisser chasser. Il a été annoncé au nom de Reagan que l’armée serait envoyée. Les vieilles Navajos s’y préparent. ‘Nous avons déjà fait face aux soldats. Jusqu’à maintenant, nous y avons survécu.’ La tâche ne sera pas facile pour les militaires. Des femmes ont déjà été arrêtées pour avoir tiré au-dessus des têtes des constructeurs de clôture, mais personne n’a été condamné jusqu’à maintenant. Et la clôture ne restera pas debout.

GENOCIDE

La résistance s’amplifie chez les Navajos traditionnels. Ils attaquent aussi de plus en plus clairement le président du conseil, Peterson Zah. Zah se présente comme le représentant des gens traditionnels, mais il ne fait rien contre l’administration. Il négocie sur la façon dont les déportations doivent être effectuées, il ne s’y oppose pas. Il a même fait le projet, avec General Electric et Bechtel, d’installer une centrale de vingt mille mégawatts et une mine à ciel ouvert en territoire Navajo. Les ‘vieux’ Navajos n’attendent rien de lui. Ce sont principalement les Hopis traditionnels qui les soutiennent dans leur résistance aux projets du gouvernement. Les Hopis ordinaires n’ont pas plus à gagner que les Diné des projets de leur conseil, qui ne laisse aucun doute sur le fait que le terrain gagné sera utilisé pour l’extraction de charbon à ciel ouvert, ce qui profitera essentiellement aux membres du conseil. Malgré toutes les tentatives extérieures pour les monter les uns contre les autres, la plupart des Hopis restent sur les mêmes positions que les Navajos traditionnels. En 1981, Thomas Banyacaya a publié en leur nom une déclaration de solidarité avec les Diné.

En1982, le Comité de Défense Juridique de Big Mountain [Big Mountain-JUA Legal Defense/Offense Committee – BMLDOC] a été créé à Flagstaff. Sous la direction d’Anciens de Big Mountain, le BMLDOC donne une assistance juridique gratuite aux Indiens frappés par le programme de déportation. Il a entrepris des actions en justice contre l’Etat et fait campagne pour l’abrogation de la Loi 93-531.

Il y a aussi eu du soutien inattendu. Le 1er janvier 1982, le directeur de la commission de relocalisation, Leon Berger, a démissionné. Il a qualifié le programme de déportation de ‘désastre sans précédent’ et annoncé qu’il allait se consacrer à l’abrogation de la loi. En mai de la même année, un membre de la commission, Roger Lewis, a démissionné pour les mêmes motifs.

La résistance internationale aux conséquences de la Loi 93-531 se met aussi en place. Le jury du Quatrième Tribunal Russell, qui s’est tenu à Rotterdam en 1980, a conclu que selon la Convention des Nations Unies il s’agit d’un cas de génocide. Aux Pays-Bas, l’association NANAI, entre autres, s’est engagée contre les déportations projetées et partout en Europe des groupes d’action et de soutien sont formés.

AMENDEMENTS

Même au Congrès américain, des inquiétudes sont exprimées. Elles concernent essentiellement l’aspect financier du programme. Les quarante millions de dollars que la Loi 93-531 devait coûter sont maintenant montés à cinq cent millions et les dépenses totales pourraient bien atteindre les deux milliards. En des temps de réductions budgétaires drastiques, le Congrès ne peut pas se permettre, vis-à-vis des contribuables, de dépenser une telle somme pour ‘intervenir dans un conflit entre une poignée de tribus Indiennes’ (image toujours en cours, grâce aux médias). Et certainement pas si le programme, comme l’a dit un membre du Congrès ‘peut être qualifié de fiasco d’envergure.’ Certains membres du Congrès commencent à se rendre compte que le résultat de leur intervention a été de transformer un peuple fier et indépendant économiquement en une bande de misérables sans-abri dépendant de l’aide publique pour survivre. Ainsi, quelques amendements ont été proposés dans le but de repousser à plus tard les déportations forcées, qui, depuis le 7 juillet de cette année, peuvent intervenir à tout moment, par exemple jusqu’à ce que suffisamment de logements aient été construits pour les Navajos déportés, ce qui a pris beaucoup de retard suite à la politique de coupes budgétaires. Personne ne parle des promesses concernant les services médicaux et scolaires.

Bien entendu, un délai ne fait aucune différence. La déportation ne doit pas se produire. Comme le dit la résistante Navajo Roberta Blackgoat, ‘C’est une autre voie : une voie de famine et de génocide’. Les Diné ont tout autant droit à leur terre, leur vie et leur culture que les Hopis traditionnels. Et le monde a besoin d’eux parce que Big Mountain est partout. Les forces économiques, sociales et politiques que ces gens combattent sont aussi à l’œuvre dans le reste du monde. A une époque où elles sont en train de détruire la terre, les Diné sont un des derniers peuples qui savent comment vivre sans détruire l’équilibre de la nature et en ayant conservé leur unité spirituelle avec la terre. Que cela reste ainsi. Tout soutien est nécessaire dans la lutte contre la déportation.

 

 

2 Responses to CHARBON, URANIUM ET LE MEURTRE DES INDIENS: BIG MOUNTAIN 1986

  1. Chris P says:

    Merci beaucoup pour votre commentaire. Je pense que la meilleure chose à faire est de diffuser les infos au maximum. Mon très cher ami Klee Benally a dit lors de sa tournée en France en octobre dernier, que la meilleure façon de les aider était de commencer par lutter contre AREVA et autres multinationales ici, en France. Sinon, je suis membre du CSIA-nitassinan, Comité pour la Solidarité avec les Indiens des Amériques, l’argent des cotisations est aussi utilisé pour envoyer de l’aide matérielle, les membres sont informés sur les luttes en cours. Le Comité organise aussi des rencontres avec les Amérindiens de passage en Europe, et en invite aussi quelques uns chaque année pour parler de leurs luttes. L’adresse pour adhérer: http://www.csia-nitassinan.org/spip.php?article20

  2. veronique steffen says:

    je ne sais pas quoi faire , a part denoncer ces abus ignobles , et les faire connaitre a tous ceux , et ils sont nombreux , qui sont concernes par le sort des indiens d amerique , et leur culture , qui est un tresor vivant
    MERCI pour ces informations precises , que je cherchais sans les trouver depuis un moment
    s il y a un coup de main a donner , je suis des votres

    veronique