En allant à la Foire de Shiprock [Nouveau-Mexique] Klee Benally évoquait le stockage de déchets d’uranium sur les rives de la rivière San Juan


Par Brenda Norrell
Censored News
29 août 2024
Traduction Christine Prat

SHIPROCK, Nation Navajo – Dans son livre publié peu de temps avant qu’il quitte ce monde, Klee Benally se rappelait aller à la Foire Navajo du Nord et évoquait le stockage de déchets d’uranium à Shiprock, dont personne ne parle. C’est le long de la rivière San Juan, celle qui a débordé cette semaine, huit mois après le départ de Klee.

« La Foire Navajo du Nord à Tsé Bit A’í (Shiprock, Nouveau-Mexique) existe depuis plus de cent ans », écrivait Klee dans son livre ‘Pas de Capitulation Spirituelle : Anarchie Autochtone en Défense du Sacré’. [Éditions Tumult]

Klee explique comment la Foire, chaque automne, marque le changement de saison et la récolte. Il décrit le scintillement des néons du carnaval dans les nuits froides et poussiéreuses, et les feux de genévrier.

« Toutes ces festivités ont lieu sur le Boulevard de l’Uranium, à seulement quelques kilomètres d’un énorme dépôt de déchets radioactifs de près de 43 hectares, qui contient 2,5 millions de tonnes de déchets sur le site d’une ancienne usine de traitement (à seulement 183 mètres de la Rivière San Juan) ».

Les études du stockage de déchets d’uranium de Shiprock ont montré que plus d’1,8 million de litres d’eau souterraine était contaminé par de l’uranium, du sélénium, du radium, du cadmium, des sulfates et des nitrates.

Maintenant, la Nation Navajo est à nouveau la cible de l’industrie nucléaire et l’agenda radioactif de Deb Haaland est ignoré.

Dans un discours à Farmington, la Secrétaire à l’Intérieur Haaland dit que la transition vers l’énergie verte dans la région de Four Corners sera menée par l’industrie de la bombe atomique, au Laboratoire National de Los Alamos [où furent fabriquées les bombes de Hiroshima et Nagasaki – Ndt], qui a déjà empoisonné des terres Pueblo dans le nord du Nouveau-Mexique. [Deb Haaland est elle-même Pueblo! Ndt]

On ne mentionne jamais le fait qu’il n’y a pas de moyen sûr de stocker des déchets nucléaires.

Maintenant, rajoutant une couche de tromperie, l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) des États-Unis trompe le public. L’EPA ne décontamine pas vraiment les sites de déchets d’uranium, ni les résidus radioactifs de l’extraction d’uranium dans la Nation Navajo du temps de la Guerre Froide – elle ne fait qu’annoncer des projets et des promesses de le faire.

Eric Jantz, directeur juridique du Centre de Loi Environnementale du Nouveau-Mexique, dit en mars à la Commission Interaméricaine des Droits Humains, que l’EPA n’avait achevé aucune décontamination.

La vérité est que les gens parlent rarement du site de stockage de Shiprock parce qu’il y a tellement de déchets d’uranium répandus, et tellement de mines d’uranium non nettoyées, et des déchets étalés de Cameron à Monument Valley et dans la région de Four Corners.

 Au cours des années 1990, quand je travaillais pour USA Today, j’ai parlé avec des Diné dans Red Valley et Cove, au sud de Shiprock, au pied de la montagne où je vivais. Dans chaque famille, il y avait des cancers. Dans chaque famille quelqu’un mourait du cancer, ou en était déjà mort, à cause de l’extraction d’uranium.

Une octogénaire Diné vivait dans une maison construite en pierre radioactive. Nous avions un compteur Geiger avec nous.

Gilbert Badoni, près de Shiprock, montre un poster de sa famille à un camp d’extraction d’uranium au sud du Colorado. Tous les membres de sa famille ont eu des cancers ou des maladies pulmonaires. Son père est mort du cancer. Gilbert, en bas à gauche du poster, dit que le gouvernement des États-Unis utilisait des Navajos pour travailler dans les mines d’uranium, comme cobayes. Les Navajos travaillaient dans des mines d’uranium sans aucune protection. Les femmes lavaient la poussière radioactive des vêtements, les familles mangeaient de la nourriture couverte de poussière d’uranium et mangeaient les moutons contaminés dans les chams. Photo Brenda Norrell

 

 

Aujourd’hui – après que des camions aient transporté le minerai radioactif de la mine d’uranium du Grand Canyon du Colorado, sur les terres ancestrales des Havasupai, à travers la Nation Navajo, jusqu’à l’usine de traitement mortelle en pays Ute, en Utah, comme Klee nous en avait prévenu – nous nous souvenons de Klee, et de la vie et de l’héritage qu’il nous laisse.

Klee termine son chapitre sur la Foire Navajo du Nord en prévenant :

« Ce n’était pas le pain frit ni la politique des colons qui ont ramené nos ancêtres dans les montagnes sacrées de Hwéeldi, c’était la cérémonie et l’action. Comme mes Anciens ont prévenu, « La Longue Marche ne s’est jamais terminée pour nous. »

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En anglais:
https://detritusbooks.com/products/no-spiritual-surrender-indigenous-anarchy-in-defense-of-the-sacred

 

[Parution] Pas de capitulation spirituelle. Anarchie autochtone en défense du sacré. (Klee Benally)


446 p. // 14 euros (-30% pour les librairies)
Éditions Tumult // été 2024

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De Verdieping (bij Kaboem)
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“Il y a une raison qui a fait que les colonisateurs devinrent si furieusement effrayés par les chants et la Dance du Fantôme des peuples autochtones. Que leur médicine fut une telle menace. Bien que les champs aient été brûlés et les bisons massacrés, les envahisseurs savaient qu’ils ne pourraient jamais se battre contre la force de la nature. Que les peuples autochtones ne seraient pas complètement vaincus à moins que nos esprits soient coupés du sol sacré. Ainsi, les profanations ont précédé les massacres. Les esprits inébranlables de la terre et de nos ancêtres sont toujours vivants, ainsi que notre spiritualité, et des sites sacrés sont toujours attaqués à ce jour par des nouvelles mines, centrales photovoltaïques, oléoducs, lignes à haute tension, usines. Le génocide culturel et physique, la profanation de la Terre continuent sous le signe fatal d’une transition énergétique entamée par une civilisation au bord du précipice. C’est seulement à Nahasdzáán, Notre Mère la Terre, que nous devons rendre des comptes et pour laquelle nous prenons nos responsabilités. Notre affinité est avec les montagnes, le vent, les fleuves, les arbres et autres êtres, nous ne serons jamais les patriotes d’un quelconque ordre social politique. En tant que force ingouvernable de la Nature, nous défendons, protégeons et prenons l’initiative de frapper.”

Sommaire

TʼAALAʼI – ENRAGER EN BEAUTE
Enrager en beauté
L’illettrisme du colonialisme de peuplement

NAAKI – DEFENDRE LE SACRE
Défendre le sacré
Dook’o’oosłííd et les politiques de génocide culturel
Sous Standing Rock
Une existence profanée
La politique du pain frit

TAA’ – ATTENDEZ-VOUS A LA RESISTANCE
Action directe autochtone
Une solidarité décoloniale
Táala Hoghan
Pas d’allégeance
Voter n’est pas choisir le moindre mal
Déraciner le colonialisme

DÍÍʼ – ANARCHIE AUTOCHTONE
Covid-19, colonialisme de ressources et résistance autochtone
Inconnaissable : contre une théorie anarchiste autochtone
L’autonomie sacrée
Vers le néant colonial : la destruction du colon est une cérémonie

Extrait de l’introduction

Yáát’ééh shik’éi dóó shidine’é, Shi éi Klee Benally yinishyé, Todichiini bashishchiin, Nakai Diné’ dashinalí, shí ma éí bilagaana ado bilagaana dashicheii. Ákót’éego diné nishłį́. Dził Yijiin déé’naashá ndi Kinłani kééhasht’į́. Ce livre est le fruit d’une tension entre l’expérience vécue et les enseignements culturels. L’écrire a été un tourment et une joie fanatique. Ce processus a été un conflit entre les défis et les bénédictions de mon éducation par le biais de la cérémonie, et les antagonismes pernicieux de l’enseignement académique et des politiques gauchistes qui m’ont conduit à ce que j’ai adopté, avec des réserves, comme antipolitique anticoloniale. En écrivant et repensant mon travail précédent et mon évolution (ou désintégration), je me suis rendu compte combien – très probablement grâce à une leçon transmise par certains de mes aînés – j’avais résisté à l’attraction vers un point fixe. Vous me trouverez intentionnellement belliqueux et évasif ici et là. Je ne m’excuse ni pour l’un ni pour l’autre. Ce que j’ai appris de la vie, je l’ai appris par la cérémonie. Ce que j’ai appris de la politique, je l’ai appris de beaucoup de violences politiques et en m’organisant pour intervenir par des moyens aussi bien réactifs que proactifs. J’ai tendance à dériver loin des textes de Terre brûlée du terrain universitaire. Si mes conclusions de cette expérience vous frustrent (ce dont j’avais anticipé que ce serait le cas pour beaucoup), je suggère que vous accumuliez tout ce que vous pourrez recueillir en consultant vos aînés, en participant à des cérémonies, et en examinant d’un œil critique les échecs de l’activisme progressiste, ce qui serait tout aussi utile – si ce n’est plus. Certains s’empresseront de qualifier ce livre d’ « ethnocentrique » mais ce n’est que de la paresse. Vous ne trouverez ici aucune proposition ou hypothèse de supériorité ethnique. Je suis métis, élevé par Tádídíín K’eh Atiin et j’ai beaucoup d’expériences pratiques dans les luttes en première ligne sur des terres sacrées, en nommant ce qui est merdique dans ce monde de mon point de vue amer (je suis né pour le clan Tódích’íí’nii, l’Eau Amère, après tout). Ce livre est devenu un peu plus autobiographique que je ne le voulais au départ, ce qui est étrange car j’ai généralement un léger dédain pour ce genre d’histoires. En écrivant ceci, je n’arrêtais pas de réfléchir à certaines expériences qu’il me semblait judicieux de faire connaitre, qu’elles soient bonnes, mauvaises ou entre les deux. En relisant des textes qui m’avaient inspiré à un moment de ma vie, en parcourant des vieilles brochures, et les nouvelles polémiques en ligne ou pas, et en analysant mon évolution en tant qu’antagoniste et écrivain, il m’est difficile de ne pas remarquer à quel point les contradictions de ces textes ressortent encore plus. J’essaie d’aller à ce qui compte, d’accepter les imperfections – et probablement, je ne prends pas certaines choses aussi au sérieux que vous pourriez en les lisant. Vous trouverez des répétitions et des incohérences dans le texte, surtout dans les passages écrits au cours de différentes périodes de ma vie, et de l’évolution qui s’en est suivie. J’ai amélioré certains passages déjà écrits, laissé d’autres intacts et ajouté quelques notes. Il y a aussi des passages où je passe du je au nous – pour la plupart à cause du contexte, mais je n’ai jamais beaucoup aimé le « je ». « Nous » m’a toujours semblé plus approprié pour inviter, et certains passages ont été écrits collectivement. Je vous invite aussi à lire cet ouvrage de façon non linéaire (dans l’ordre et dans le désordre). Je parle du sacré, mais je suis mesuré dans ce que je partage, ainsi vous ne trouverez pas d’ « exploration du savoir spirituel Diné ». J’ai été élevé avec le sentiment que ce savoir sacré ne devrait pas être livré à des pages, des mots, des enregistrements, et ne devrait pas être traduit. Cela peut sembler contradictoire dans un livre sur la défense du sacré, et c’est le cas. Le désir de « faire partie du sacré » est un désir foireux du New Age anthropologique colonial. Les autopsies fétichistes de la profanation du sacré autochtone remplissent des étagères, des musées, des salles de vente aux enchères, des magasins de souvenirs – et des comptes en banque. Si vous comptez trouver ici une telle validation, je suis heureux de vous décevoir. Si vous avez lu ce livre et trouvé des moyens d’améliorer votre activisme, vous l’avez mal lu. Quand je parle de libération, ce n’est pas pour fomenter un énième projet de justice sociale, c’est une agitation inclusive et fervente contre la domination et l’exploitation de l’existant, car la libération de notre Mère la Terre, c’est la libération de tout ce qui existe. Plus que toute autre chose, ce livre est pour toi, cher voyageur, à contre-courant du temps des colons, qui écoute les murmures des voix ancestrales et qui est déchiré dans l’espace entre le cauchemar et le rêve qui constitue cette existence maltraitée. En désirant quelque chose de plus, ou peut-être par inquiétude, curiosité, ennui ou quelle que soit l’impulsion qui vous a mené à lire ces mots, nous y voilà. Si vous êtes venu chercher des réponses, vous pourriez trouver un peu de taquinerie mêlée d’angoisse. J’ai écrit surtout dans cet espace profane et étroit entre l’invocation et la provocation, cet espace qui désoriente et où le processus de guérison vit aussi. Il s’agit d’une histoire dans et hors du temps, le long d’un chemin sur lequel je suis aussi un voyageur. Asseyez-vous un moment, prenez du thé. Il faut que je m’occupe de tout un fatras – de mots maintenant cristallisés qui ont été un jour autant d’éclats de verre.