AVERTISSMENT POUR LES LAÏQUES: LE ‘SACRÉ’ CHEZ LES DINÉ (NAVAJOS)

Par Christine Prat

Dans la France laïque, le mot ‘sacré’ risque de provoquer des réticences. Plus encore chez les anarchistes, qui pourraient avoir du mal à lire les mots ‘Anarchie’ et ‘sacré’ dans la même phrase.

Les autochtones doivent écrire en anglais, parce que leur langue ne s’écrit pas et n’est pas forcément comprise par les 560 différentes tribus des États-Unis. Mais il faut savoir que l’anglais leur a été appris – de force et souvent sous la torture – par des chrétiens prosélytes. Le mot ‘sacré’ (tout comme ‘divin’, ‘saint’, ‘spiritualité’, etc.) n’existe pas dans la langue Navajo (Diné bizaad). On ne peut pas traduire simplement ce qu’ils expriment de leur attachement à la terre et aux sites qu’ils protègent, il faut expliquer.

La conquête des Amériques a dès le début été justifiée par une Bulle du Pape Alexandre VI, Borgia. Il fallait évangéliser les sauvages. Bien entendu, les pillages attiraient beaucoup plus d’Européens que l’évangélisation, mais ce sont des chrétiens qui ont été chargés de l’enseignement aux autochtones jusqu’au début du XXème siècle (le dernier « home » Indien, tenu par des religieuses, en Guyane « Française », a fermé en 2012). Ces gens-là ne traduisaient pas la langue des autochtones en anglais ou espagnol, ils traduisaient la Bible dans les langues autochtones. (On trouve sur Internet un site qui se proclame ‘Dictionnaire Navajo-Anglais’, mais toutes les traductions proposées pour ‘sacré’ sont tirées de l’ancien testament). Dans les pensionnats, les enfants autochtones devaient oublier leur langue et leur culture, « Tuer l’Indien pour sauver l’homme » était le but affiché.

Dans la deuxième moitié du XXème siècle, des ‘progressistes’ se sont élevés contre les manipulations chrétiennes et se sont efforcés de montrer que les autochtones étaient des païens polythéistes, ce qui n’est pas vrai non plus.

Enfin, il faut savoir que les Américains sont beaucoup plus religieux que les Européens, et les autochtones emploient des mots dont ils pensent qu’ils signifieront quelque chose pour les Blancs, comme « la Nature est notre Église » ou « nos sites Sacrés sont nos églises ». Souvent, peine perdue…

Quant à la ‘Spiritualité’, il faut savoir que les Autochtones pensent qu’esprit et matière ne se distinguent pas, pour eux, toutes les maladies sont psychosomatiques, il y a de l’esprit dans la terre à laquelle ils sont liés… Dans ce livre, l’auteur exprime son dédain des universitaires et autres intellos qui promeuvent un esprit désincarné.

On peut dire que les ‘croyances’ autochtones sont plus proches des idées écolos – quoique pas identiques en tout point – que des religions au sens occidental. C’est pourquoi, dans de nombreuses affaires, des grandes associations écolos (comme le Grand Canyon Trust et le Centre pour la Diversité Biologique) se joignent aux Autochtones pour aller en justice contre les projets de destructions.

Un terme fondamental dans la langue et la pensée Navajo, est ‘hozho’ (en français, prononcer ‘hojo’) et ses dérivés, qui signifie ‘harmonie’, ‘équilibre’, ‘paix’, ‘beauté d’un lieu’. Il n’y a pas de distinction entre ‘beau’ et ‘bien’ pour les Navajos, c’est toujours une question d’harmonie. Michael Lerma (nom navajo P’urhépecha), un Navajo ami de Klee et professeur à l’Université du Nord de l’Arizona, à Flagstaff, a publié en 2017, un livre intitulé ‘Guided by The Mountains’ (Michael Lerma, Oxford University Press, 2017), qui explique la vision du monde des Navajos et l’importance de la notion d’équilibre, d’harmonie dans leur pensée.

Les sites qu’ils appellent « sacrés » dans la langue des colons, sont souvent des sites vitaux : les sources d’eau, des terres non polluées, une grande biodiversité. Ils y trouvent (y trouvaient) des plantes médicinales, des fruits, des plantes et des animaux endémiques en voie de disparition. Ces sites sont souvent très spéciaux par leur beauté ou des caractéristiques exceptionnelles : la quasi-totalité des sites ‘sacrés’ se trouvent dans des Parcs Nationaux, et beaucoup sont des sites classés. Donc, les colonisateurs reconnaissent aussi leur importance. Cependant, dans un monde où les multinationales ont plus de pouvoir que les États – ou sont au pouvoir – elles obtiennent toujours des permis de faire sauter n’importe quoi dans les Parcs Nationaux, si ça doit rapporter beaucoup d’argent.

Après les massacres de la deuxième moitié du XIXème siècle, les Autochtones se sentaient anéantis, mais l’état du monde actuel leur DONNE RAISON. C’est pourquoi ils recommencent à se battre, à partir de ce qu’ils ont toujours été et de la relation qu’ils ont toujours entretenue avec la nature.