Kanahus Manuel, Secwepemc de Colombie Britannique, faisait partie des intervenants, lors de la 37ème Journée de Solidarité avec les Indiens des Amériques, organisée par le CSIA-nitassinan, le 14 octobre 2017.

Le texte ci-dessous est la traduction de l’essentiel de son intervention. Le titre que j’ai choisi, parmi ses propos, reflète sa volonté de dissiper les préjugés français, selon lesquels le Canada serait un pays beaucoup plus sympathique, pour les Autochtones, que les Etats-Unis. S’il y a une catégorie avec laquelle le Canada est effectivement plus sympathique que n’importe quel autre pays, ce sont les compagnies minières, ce qui est désastreux pour les Autochtones.

Christine Prat

In English

 

“Je suis de soi-disant ‘Colombie Britannique, Canada’. Mais je veux qu’il soit clair que nous ne l’appelons pas ‘le Canada’. C’est un pays illégal, vicieux, malfaisant et un envahisseur. Nous avons combattu le Canada durant les 150 dernières années: cette année, le Canada célèbre son 150ème anniversaire. Lors des débuts de l’invasion, ils ont commencé par produire des ‘accords fonciers’, en réalité des traités illégaux, de la côte-est vers l’ouest. Mais dès qu’ils ont atteint les Montagnes Rocheuses, plus à l’ouest aucun traité n’a été rédigé. Donc, nos terres restent des territoires non-cédés, auxquels nous n’avons jamais renoncé.

Notre territoire est situé dans ce qui s’appelle maintenant le centre-sud intérieur de la Colombie Britannique. Ça fait approximativement 180 000 km², presque la taille du Royaume-Uni. Ce que le Canada a fait, durant le processus de colonisation, n’a rien de bon. Les effets: comme l’a dit mon frère [Y. Tapoka, de Guyane française, qui avait parlé juste avant], nous avions ces écoles, les écoles résidentielles Indiennes, qui faisaient la même chose, c’est-à-dire enlevaient nos enfants à leur famille et les mettaient de force dans ces écoles gérées par l’Eglise, pour extirper la langue de notre peuple. Dans certaines de ces écoles, les prêtres et les religieuses ont violé 90% des enfants. Le traumatisme sexuel de ces enfants – mes grand-parents et d’autres – a eu un impact intergénérationnel qui touche même les générations qui n’y sont pas allées. Je représente la première génération de ma famille qui est restée en dehors du système des écoles résidentielles. Je suis mère de quatre enfants, et j’ai accouché de tous mes enfants hors du système, j’ai refusé d’aller voir les médecins ou d’aller à l’hôpital, et j’ai refusé de déclarer mes enfants à l’administration du gouvernement canadien. Mon fils aîné a maintenant 15 ans. Et j’ai traversé des frontières internationales avec eux, je suis allée aux Etats-Unis, au Mexique, je les ai emmenés à des réunions Zapatistes. Donc, si quiconque croit qu’on a besoin d’une pièce d’identité d’Hommes Blancs pour voyager, en tant qu’Autochtones… J’essaie en fait de prouver à tout le monde que nous n’avons pas besoin du système de l’Homme Blanc pour exister.

Notre peuple dit qu’au Début des Temps, les Anciens ont envoyé le Coyote, le chef Coyote, pour créer notre monde. Il créa le monde tel que nous l’avons aujourd’hui, le saumon, les glaciers, les montagnes, nos lacs, la nuit et le jour, les saisons, la façon dont nous nous comportons, et notre Nation. Ce sont les lois que nous suivons. Elles viennent des histoires du Coyote. Des procédés pour prendre des décisions, au consensus entre nos Nations. Nous avons des signes concrets, dans tous nos territoires traditionnels, qui montrent ces accords que nous avions à l’origine, et nos responsabilités. Par exemple, la façon dont nous continuons à nous occuper de notre saumon, l’une de nos principales sources de nourriture. Notre responsabilité est de continuer à prendre soin du saumon, et, en retour, le saumon nous donne sa vie pour que nous puissions continuer à nous nourrir, et nous rendons au saumon, et le saumon nous donne. Ces accords valent pour tout ce qui vit dans nos territoires. De la toute première goutte d’eau qui fond des glaciers, qui coule en touchant tout, les racines, les champignons…, tout ce qui se trouve dans nos montagnes, tout le long du cours de nos rivières, tout est sacré.

Cinq fleuves principaux, en soi-disant ‘Colombie Britannique’, forment notre territoire. Quand nous allons sur les glaciers, il y a tellement de bruit qu’il faut hurler, parce qu’il y a tellement d’eau. Je ne sais pas si vous pouvez voir cette petite image, mais vous pourriez voir tout le bleu, c’est de l’eau, même pas toute l’eau, qui est indiquée sur cette carte de notre territoire, ça montre quelle quantité d’eau nous avons.

Une autre dure réalité, effet de la colonisation, c’est le système des Réserves, et le système créé par la Loi Indienne. Quand le gouvernement est venu expulser notre peuple de force, de nos territoires, il nous a mis dans des Réserves Indiennes, sur un tout petit 0,2% du territoire. Ce qu’a fait le Canada, c’est de nous mettre de force, tous les Autochtones, sur 0,2% de notre territoire de base traditionnel, tandis que le Canada s’enrichissait à partir des 99,8% restants. C’est devenu une super puissance et un pays riche, par le sang et les os, la sueur et les larmes, de notre peuple. En même temps, ils créaient les Réserves Indiennes, ils les ont inventées. Ils appellent ça les Affaires Indiennes et du Nord du Canada, nous disons INAC, ce qui a été inventé par le gouvernement pour contrôler effectivement le peuple Autochtone. Ils reçoivent des fonds fédéraux, et autrefois, c’était un agent ‘Indien’ qui faisait le tour de toutes les Réserves, pour voir si les gens ne mourraient pas de faim. Le logement était totalement inadéquat, les gens étaient affamés, certains n’avaient pas de logement.

Nous voyons que la colonisation, en nous déportant de nos terres, a créé une dépendance d’un gouvernement colonial, et quand notre peuple s’est révolté contre cette oppression et a combattu en retour, nous avons été criminalisés et réprimés. De 1927 à 1951, c’était illégal, pour les Autochtones, de ne serait-ce que parler de la question territoriale, (si j’avais été ici alors, ils m’auraient arrêtée et mise en prison, si j’avais seulement été ici, comme maintenant, pour parler de la question territoriale), et c’était illégal de payer des avocats pour se charger de cette question territoriale. Mais notre peuple continue à résister et à se battre. A cause des logements déplorables, et à cause des abductions et arrestations d’enfants, toutes les femmes ont commencé à s’organiser. Elles ont occupé des bureaux d’agents Indiens et les ont forcés à quitter nos communautés. Et c’est depuis lors que le Canada a inventé des sales petits trucs pour continuer à coloniser notre peuple, en inventant des systèmes d’élus, qui seraient imposés aux Réserves Indiennes, où ils seraient élus comme Chef et comme Conseil. Mais ce n’est pas du tout notre structure de gouvernance traditionnelle. Je veux le dire clairement, si vous allez au Canada et entendez dire que quelqu’un est chef ou conseiller pour une bande d’Indiens, en fait ce sont des agents de l’Etat. A moins qu’il ne s’agisse de chefs traditionnels, ou de cheffes matriarcales. Il faut vraiment vérifier d’où vient le lignage.

Nous avons eu plusieurs insurrections dans notre territoire, et, finalement, la dernière confrontation armée au Canada, en 1995, la confrontation du Lac Gustafsen. C’était à propos de terres, de titre foncier sur un territoire. Et 18 d’entre nous, Secwepemc, étaient là sur un site de Danse du Soleil, et quand on leur a demandé de partir, ils ont simplement dit “Non, qui est propriétaire de ce terrain?” Et ils ont fini par être encerclés par 550 agents de la Police Montée qui s’étaient déployés. Ils ont placé des mines, ont déployé des blindés, et, à un moment, à la fin de la confrontation, ils ont tiré en un jour plus de 70 000 cartouches sur mon peuple. Un de nos Anciens les plus respectés, a fini par faire 6 ans de prison pour son action là-bas. Il est un de nos héros de guerre. Il est décédé récemment, il y a un an et demi. S’il était encore là, il serait à mes côtés, maintenant.

En 2001, notre peuple s’est révolté contre un énorme projet de station de ski. Nous avons subi environ 100 arrestations, de jeunes Autochtones, mais surtout de personnes âgées et de femmes. Il s’agissait d’une zone très importante pour nous, une zone ouverte en altitude, où nous chassions la plupart de nos orignaux.

Ces deux soulèvements ont eu des répercussions importantes. Chaque fois que les gens se révoltaient, la police faisait une descente dans leurs maisons, arrêtait les gens, les accusait de délits bidon, et nous détenait sans caution.

En 2014, nous avons eu une des plus grandes catastrophes de déchets de mines du monde, dans notre territoire. La zone de retenue des déchets s’est rompue et des milliards de litres de déchets toxiques et de métaux lourds, et de produits chimiques utilisés dans le traitement du minerai, se sont déversés dans notre lac, qui est le plus profond lac fjord du monde. Nous avons entrepris de nombreuses actions, nous avons allumé un feu cérémoniel, juste à l’entrée de la zone, quelques jours après la catastrophe. Nous avons maintenu une présence, nous avons tout contrôlé, avons recueilli des interviews, de tous les ouvriers qui s’étaient manifestés comme lanceurs d’alerte, à la compagnie, de tous les chasseurs locaux, et des gens qui étaient venus se joindre à une cérémonie pour l’eau, et pour essayer d’imaginer ce qu’il serait possible de faire pour remédier à cette catastrophe massive, qui continuait à se déverser, et qu’ils ne savaient pas comment arrêter. Nous appelons cette zone [d’un nom dans notre langue] qui se réfère à la perte des eaux, quand une femme accouche. Parce que c’est un endroit où les saumons retournent pour pondre, c’est l’endroit de reproduction du saumon.

Actuellement, nous nous battons contre un oléoduc de 518 km, qui devrait traverser notre territoire, ça s’appelle l’oléoduc Trans Montagne de Kinder Morgan. Et en ce moment, ce à quoi nous sommes confrontés, est encore une astuce du Canada. Ils essaient toujours de nous tromper, de nous donner des babioles sans valeur contre des terres, et l’une de leurs astuces est le projet illégal appelé ‘Projet de Traité de Colombie Britannique’, qui est un traité des temps modernes – non, pas un traité, c’est un projet d’extinction moderne, parce que ce n’est même pas un traité avec le gouvernement fédéral ou la Couronne. C’est en fait un traité avec le gouvernement provincial, donc ce n’est pas un traité contraignant internationalement, c’est totalement illégal, dans la mesure où ils demandent aux Autochtones de signer librement un document décidant de leur extinction, de renoncer à nos titres fonciers sur nos terres, et veulent accorder en échange un terrain que tous les Canadiens peuvent louer ou acheter.

Quant à ce que fait le Canada en ce moment… Les gens du monde entier doivent se rendre compte que Trudeau, et le gouvernement Trudeau, Justin Trudeau, n’est pas un ami des Autochtones. Son père avait beaucoup terni leur nom, son père, Pierre Elliot Trudeau, qui a formé son fils pour être un sale bâtard comme lui, le père de Justin Trudeau, donc, était un des ennemis de mon grand-père, et il avait vraiment poussé à notre extermination, nous les Autochtones. Par cette politique du Livre Blanc de 1969. Alors, quand Justin Trudeau est devenu Premier Ministre, nous savions déjà que nous allions engager une nouvelle bataille, un autre combat, contre la famille Trudeau. Actuellement, ils essaient d’acheter ces ‘dirigeants’, ces chefs et conseils de l’INAC, en leur donnant des millions de dollars, pour former notre gouvernement ‘traditionnel’, ce qui met les gens de notre peuple dans une rage folle. Nous, Peuple Secwepemc, nous voulons maintenir notre forme traditionnelle de gouvernement et de prise de décisions, et nous sommes les détenteurs légitimes des titres fonciers dans notre territoire. Et quand nous disons ‘NON’ à ces projets destructeurs dans notre territoire, nous exigeons du respect. Vous avez peut-être entendu des paroles, comme l’a dit mon frère [de Guyane française], de réconciliation. Le Canada adore employer ce mot, ‘réconciliation’, mais ce que nous disons toujours est qu’il n’y aura jamais de réconciliation sans notre territoire – 100% de notre territoire – restitué et sous notre contrôle.”

 

Kanahus Manuel, 14 octobre 2017