Contexte: Les Akimel O’odham luttent depuis des années contre un project de prolongement du périphérique 202, qui longe leur Réserve et les menace d’une pollution aggravée, et, surtout, implique de faire sauter une bonne partie de leur Montagne Sacrée, à laquelle ils n’ont plus librement accès à cause des travaux. Ce périphérique n’est qu’une petite portion du project CANAMEX, qui doit relier le port de Guaymas, au Mexique, à Edmonton en Alberta, au Canada, c’est-à-dire aux Sables Bitumineux. La Réserve – Communauté Indienne de Gila River – accolée à Phoenix, a déjà été lourdement touchée par l’assèchement définitif de la Rivière Gila. Depuis toujours, ils utilisaient l’eau de la Gila pour arroser leurs cultures et y pêchaient du poisson. L’assèchement, causé par la construction de barrages, a brutalement changé leur régime alimentaire (agriculture remplacée par un supermarché), avec pour conséquence que la communauté a le plus fort taux de diabète et d’obésité au monde. Le projet autoroutier ne peut qu’aggraver leur situation, en amenant la pollution d’une circulation accrue et du transport de matériaux très sales et probablement de la drogue. Pour plus de détails, voir l’article que j’ai écrit en 2015, qui donne quelques explications sur les projets CANAMEX et ‘Corridor du Soleil’, et la vidéo d’une interview d’Andrew Pedro sur les effets possibles du 202. Salt River, également citée dans l’article, est aussi définitivement à sec dans la région de Phoenix.
L’EXTENSION DU PERIPHERIQUE 202 LE LONG DE LA RESERVE DE GILA RIVER CONTINUE
Interview d’Andrew Pedro, Akimel O’odham
Le 2 octobre 2017, à la limite de la Réserve
Article et traduction Christine Prat English
Novembre 2017
Le périphérique 202 est une bretelle d’autoroute autour de Phoenix, Arizona. Il existe déjà à l’est de la ville, et est actuellement prolongé vers l’ouest. La décision de prolonger le périphérique 202 par la Montagne du Sud a été prise en 1986. L’approbation officielle de l’extension a été accordée le 10 mars 2015. La construction devrait être terminée en 2019. Cette extension implique la destruction d’une portion importante de Moadag Do’ag, ou Montagne du Sud, un site sacré pour les Akimel O’odham. La destruction a malheureusement déjà commencé, mais le rythme s’accélère.
Le périphérique 202 doit aussi faire partie du “Corridor du Soleil”, un projet ‘touristique’, qui vise à développer une mégapole de Phoenix à Tucson, peut-être même de Prescott à Nogales [frontière avec le Mexique].
En fait, l’extension du périphérique 202 s’inscrit dans un projet infiniment plus vaste, le CANAMEX. C’est un projet routier pensé dans le cadre de l’ALENA, l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, mis au point en 1993 et signé par Bill Clinton en 1994.
En septembre 2015, j’avais rencontré Andrew Pedro, un activiste Akimel O’odham, pour parler des conséquences du projet pour la Tribu, et de la lutte contre. Début octobre 2017, nous nous sommes à nouveau rencontrés pour parler de la situation actuelle de la construction et de la lutte.
“C’est l’automne 2017, et la construction du 202 continue” dit Andrew. Il évoqua ensuite l’aspect légal du problème. La plainte en justice contre le projet est actuellement examinée par la Cour d’Appel du 9ème Circuit de San Francisco. Des arguments devaient être entendus le 28 octobre. Andrew Pedro m’a alors écrit: “Des gens du Conseil Tribal y sont allés. Maintenant, c’est à nouveau l’incertitude. La Cour pourrait mettre six mois pour prendre une décision. Une autre partie impliquée, PARC, dit que c’est probablement sans espoir pour eux. Ils ne croient pas que la Cour Suprême acceptera d’examiner l’affaire”. Il n’est pas sûr du tout que la décision de la Cour puisse donner un espoir d’arrêter la construction, étant donné que les trois juges du 9ème Circuit ont déjà rejeté des injonctions en ce sens. Andrew souligne que, l’affaire étant aux mains de la Justice, la construction devrait être suspendue. Cependant, le Service des Transports de l’Arizona, ADOT, responsable du chantier, a au contraire accéléré les travaux, très probablement dans l’espoir que, lorsque la Cour prendra une décision, il serait trop tard pour que ça ait un effet notable sur le projet.
Début octobre, les travaux avaient essentiellement lieu sur ce qu’ils appellent la section de Pecos, dans la ville d’Ahwatukee, le long de la Route de Pecos. Beaucoup de gens d’Ahwatukee, qui est en territoire ‘blanc’, mais où vivent aussi des O’odham, sont également contre le périphérique.
Les activistes qui luttent contre le projet n’ont jamais espéré grand-chose du système judiciaire, sachant que les tribunaux ne sont pas avec eux. “… d’un côté, ils pourraient protéger les enfants et les ressources de l’Arizona, ce qui concerne surtout des Blancs qui vivent hors d’Ahwatukee, mais il y a aussi la Communauté Indienne de Gila River [la Réserve] avec ses propres lois. Mais les plaintes sont jointes, donc, si une partie perd, l’autre aussi. Donc, nous avons aussi un gros problème de ce côté-là.” Ils ne font pas non plus confiance à leur Conseil Tribal, qui “ne remplit pas vraiment ses obligations de protéger la communauté, de protéger nos sites sacrés, et de protéger notre droit inhérent d’être sur ces sites”.
Il y a d’autres zones en travaux. Entre autres, la section de Salt River, à l’ouest de la Montagne, où la construction d’un pont est sur le point de commencer. Ils ont déjà amené des piliers et du ciment. Il y a aussi des travaux sur l’autoroute I10, la 79ème Avenue, jusqu’à la 43ème Avenue, et entre elles, ils construisent un échangeur important.
“Pour nous, les O’odham, c’est difficile de se concentrer sur les zones qui doivent être défendues convenablement et en priorité. Parce que le périphérique est un grand projet, de plus de 35 km. Et avec tous ces travaux, c’est difficile de décider de ce qui pourrait les arrêter dans une zone, étant donné qu’ils continueraient dans une autre” dit Andrew. “Cependant, ceux d’entre nous qui font le travail n’ont pas perdu l’espoir de sauver notre Montagne de la destruction totale, de davantage de destruction.”
Beaucoup de gens sont démoralisés et se sentent vaincus, mais, dit Andrew “nous devons continuer.”
Bien que beaucoup de non-Autochtones ne voient que les actions et les manifs, et donc voient le problème comme étant essentiellement politique, les O’odham, et les autres Peuples Autochtones, voient un autre aspect, l’aspect culturel, c’est-à-dire “qui nous sommes”. “… c’est plus puissant que le monde politique, parce que ça nous lie à notre sol, ça nous ramène à nos racines et à d’où nous venons, et ça explique pourquoi ces choses sont importantes pour nous et pourquoi ces lieux, ces montagnes sont importants pour nous à la base.”
Ensuite, Andrew explique comment d’autres gens viennent aider, des Autochtones qui comprennent l’aspect culturel. Et aussi, “parce que maintenant, de plus en plus de gens de partout s’intéressent à la lutte, parce que ça va toucher d’autres régions aussi. Que ce soit la Nation Tohono O’odham, et même Salt River, déjà traversée et affectée par le périphérique 101. Alors, ils savent ce que nous ressentons, là-bas. C’est la même chose, parce que nous sommes tous O’odham, à Salt River, ils sont aussi O’odham…”
Les effets des ‘grands projets’, le Corridor du Soleil et CANAMEX, touchent aussi des Autochtones en dehors de la Communauté Indienne de Gila River. Le CANAMEX est un projet de super autoroute de Guaymas, au Mexique, à Edmonton, en Alberta, au Canada. Des constructions et des réparations de routes ont déjà commencé, à Tucson, Nogales, Phoenix et Casa Grande. A Case Grande, une ‘zone de libre-échange’, un carrefour international de commerce, appelé Phoenix Mart, doit ouvrir l’année prochaine. “De cette façon, ils continueront à empiéter de plus en plus sur nos territoires. Nous nous trouvons toujours coincés là où un soi-disant progrès doit avoir lieu, et où le développement doit arriver” dit Andrew. Bien sûr, la politique du Conseil Tribal suit, vu que les responsables ne voient que l’argent qui pourrait en venir. Pourtant, c’est moins que certain que le développement amène un quelconque progrès pour les gens, comme le montre l’exemple de l’autoroute I10: lorsqu’elle a été construite dans la Rivière Gila, ils ont promis des routes, des logements, des emplois… mais rien n’est venu, “si vous circulez sur l’I10, c’est complètement vide”. Avec les nouveaux développements – le Phoenix Mart, les travaux à Tucson – “…ces villes s’approchent de nous, et c’est un exemple de ce qui va arriver à long terme, elles pourraient nous passer dessus. […] Avec le 202, les gens qui circulent sur la Route de Pecos maintenant, voient d’un côté Ahwatukee, de l’autre, la Réserve.”
Cependant, la portion importante, c’est la Montagne. C’est au centre, c’est la section centrale du périphérique. Il y a aussi un projet de construction de logements, dans un quartier d’Ahwatukee, entre les crêtes de Moadag Do’ag. Ce projet est indépendant de l’autoroute, ce n’est pas le Service des Transports d’Arizona (ADOT), mais c’est peut-être dans le passage. Ils ont déjà fait sauter une partie de la Montagne pour une route. “Ces travaux ne sont pas finis non plus, mais c’est là, la terre a été balayée et détruite entre les crêtes, et nous avons une Montagne qui a déjà été suffisamment profanée. Et ce n’est même pas la moitié de ce que l’ADOT veut faire” dit Andrew.
La route actuelle a deux voies, le périphérique doit en avoir quatre de chaque côté, “c’est une brèche énorme dans la Montagne”.
Ce qui est fait est déjà désastreux, mais “il y a encore un combat à venir, la guerre n’est pas finie” ajoute Andrew Pedro, “parce que le projet est à bien plus grande échelle”. Le projet est en fait le Corridor CANAMEX, qui va empiéter sur beaucoup d’autres territoires Autochtones, jusqu’au Mexique: le territoire O’odham est coupé par la frontière. Les territoires Tohono O’odham et Hia C-ed O’odham traversent la frontière. Des villages de l’autre côté seront touchés aussi.
Andrew Pedro déclare: “Nous sommes attaqués ici, dans le centre de l’Arizona, les O’odham sont attaqués par le 202, la Nation Tohono O’odham est attaquée par la frontière, et, dans le Nord, il y a beaucoup de luttes, des mines d’uranium à la station de ski Snowbowl. L’Arizona est bien connu pour ses attaques contre les Autochtones.”
La raison de ces attaques a un nom: le Capitalisme. “C’est ce qui relie tout ça. Parce que ce qui arrive a pour but de faciliter le commerce. C’est le Capitalisme en Arizona, si on veut vraiment trouver la racine de ce qui nous arrive. Ce sera toujours l’argent qui sera la force motrice derrière ces projets.” Le 202 est un couloir commercial, le Corridor du Soleil aussi. Ces projets sont supposés amener du business et du développement à la région, mais ils n’ont pratiquement pas d’effet sur l’économie locale. “Ça n’aide vraiment personne. Mais ce faisant, ils ignorent les Autochtones. Ils ne pensent pas à ce qui va advenir de nos lieux cérémoniels et de nos sites sacrés.”
Dans la Réserve, la Communauté Indienne de Gila River, l’ADOT emprunte illégalement les routes. En tant qu’entité non-tribale, elle devrait demander un permis pour utiliser ces routes, surtout dans la mesure où le périphérique est juste à la limite extérieure de la Réserve. Mais ils utilisent ces routes pour gagner un peu de temps.
La construction a terriblement restreint l’accessibilité à la Montagne sacrée pour les O’odham. Ça a bousculé les sépultures des Ancêtres, des restes humains ont été exhumés et sont toujours retenus par l’état d’Arizona. Les gens craignent les effets sur leur santé de la pollution accrue.
Andrew Pedro conclut: “Nous continuerons à nous battre, parce qu’il faut qu’ils sachent qu’ils devront payer pour ce qu’ils ont fait, d’une manière ou d’une autre. Nous ferons tout ce que nous pouvons. Même si ça implique des manifestations et des actions directes… C’est un risque, mais les gens doivent savoir ce que cette Montagne représente pour nous et pourquoi il est important de prendre des risques.”