13 juin 2020: 6554 cas, 308 décès

Par Christine, du CSIA-Nitassinan
Publié le 1er juin 2020

La Nation Navajo est la région la plus touchée des Etats-Unis par le coronavirus. Beaucoup de choses essentielles – équipements médicaux, nourriture, eau courante, transports – manquent. Les Autochtones – Navajos et 12 autres Nations – constituent 5% de la population de l’Arizona, mais 20% des décès dus au coronavirus.
Le 21 mai 2020, Viviann Anguiano écrivait, sur le site « Center for American Progress » : « La Nation Navajo a maintenant le taux de contamination par habitant le plus élevé des Etats-Unis – ce qui est d’autant plus désastreux que son peuple a été longtemps exclu de ressources capitales, comme l’eau courante et un service de santé adéquat. En Arizona, les Autochtones représentent 20% des décès dus au COVID-19, bien qu’ils ne constituent que 5% de la population de l’état. En fait, la situation est si alarmante que Médecins Sans Frontières, un groupe qui travaille habituellement dans des zones de conflit où frappées par des catastrophes naturelles, a envoyé au moins deux équipes de médecins dans la Nation Navajo, pour aider à combattre la maladie » Et plus loin, elle ajoute « En bref, la pandémie a révélé l’héritage de l’histoire américaine de mauvais traitements – et de négligence actuellement – de la Nation Navajo et d’autres communautés tribales. »
Récemment, de nombreux analystes ont dénoncé le manque d’eau courante comme cause principale de la propagation du virus dans la réserve Navajo. Beaucoup de résidents de la réserve n’ont pas l’eau courante à proximité – d’après un article de Global Citizen, du 22 mai, « de 15 à 40% des familles n’ont pas accès à de l’eau courante saine. Les Navajos doivent souvent aller jusqu’à des éoliennes, des stations d’essence ou autres pour remplir d’eau de grands jerricans de plastique ». Il leur est donc impossible de se laver les mains fréquemment ou de désinfecter les objets qu’ils touchent.Les causes du manque d’eau sont largement attribuables aux politiques extractivistes menées dans la région depuis les années 1940. D’abord, ce furent les mines d’uranium. Depuis, 22 puits d’eau qui avait été potable, ont été fermés à cause du taux de radioactivité qui s’y trouve. Puis, ce furent les mines de charbon et les centrales au charbon, qui consommaient énormément d’eau pour fonctionner. Et toujours, l’eau des rivières et des nappes aquifères des territoires autochtones qui est détournée pour fournir de l’électricité aux grandes métropoles.
La Nation Navajo manque aussi cruellement d’équipements et de centres de santé. Le 26 mars 2020, Censored News publiait un article écrit pas Sara Jager, médecin de la réserve :
« Je suis médecin dans la réserve Navajo, à Tuba City, en Arizona. Nous sommes durement touchés par le COVID. Nous n’avons pas assez de blouses, de masques pour protéger tous les membres de la réception, des urgences ou des unités de patients. Voici ce dont nous avons besoin :
1. Des masques faits à domicile – ils seront donnés aux patients qui toussent afin de contenir la propagation du virus au domicile ainsi que pour entrer aux Urgences ou pour d’autres visites. Nous pouvons aussi les utiliser pour couvrir les masques N95 pour les protéger de la contamination.
2. Des blouses faites à domicile pour le personnel de l’hôpital. Nous pouvons les envoyer par les services de blanchisserie de l’hôpital. Cela aidera à protéger les soignants et employés du virus. Elles doivent avoir des manches longues et tomber jusqu’au genou. Être lavables, si possible en coton.
3. Des visières protégeant le visage – des gens en fabriquent aussi. Ça protège les yeux de la toux et des postillons. Elles seront portées par les soignants qui voient des patients.
Normalement, ce sont des équipements à usage unique, mais nous les réutilisons tous, en ce moment. »
Il y a trop peu de centres de santé dans la réserve, ils sont difficilement accessibles pour les familles isolées et manquent cruellement d’équipements.

Mais en plus, la santé de la population a été fragilisée depuis plus d’un siècle par la colonisation. Les Autochtones ont été privés de leurs moyens d’existence traditionnels. La réduction de leurs territoires les a privés de terres cultivables et de sources d’eau. Chez les Navajos, beaucoup de bétail, surtout constitué de moutons, a été abattu sous prétexte de ‘surpâturage’. Leurs sources d’alimentation traditionnelles ont été remplacées par quelques supermarchés (en nombre insuffisant dans la réserve Navajo), ce qui a introduit la mal bouffe, aggravée par la pauvreté qui force les gens à acheter des produits de mauvaise qualité. Le taux de diabète et d’obésité, très élevé chez les Autochtones, accroit les risques en cas de contamination.
L’extractivisme a également affaibli la population.
Dès 1940, de l’uranium a été trouvé dans la réserve Navajo, près de Monument Valley. Des mines ont été creusées sans aucun respect des normes de sécurité. De nombreux mineurs Navajo et des membres de leurs familles sont décédés de cancer. A l’heure actuelle, il y a encore plus de 1000 mines d’uranium abandonnées dans et autour de la réserve Navajo. Beaucoup n’ont pas été décontaminées. Elles causent toujours des cancers, mais aussi des maladies pulmonaires.
Puis, le charbon a été découvert.
La multinationale Peabody Coal – première firme charbonnière du monde – a causé, au début des années 1970, un pseudo-conflit Navajo-Hopi, afin de chasser les Navajos de Black Mesa, une zone qu’ils ont fait exploser pour exploiter le charbon à ciel ouvert (ceux qui ont vu le film de Klee Benally « Power Lines » s’en souviennent peut-être). Trois centrales au charbon parmi les plus polluantes du monde ont été créées sur le territoire de la Nation Navajo [la Réserve]. Bien entendu, la population qui vivait à proximité de ces centrales et en est très affectée, n’a pas l’électricité. Certaines de ces centrales doivent fermer (Peabody Coal a fait faillite deux fois, ce qui ne l’empêche pas d’exister, mais la délie de sa responsabilité pour les dégâts causés), cependant les gens ont déjà les voies respiratoires affectées et fragilisées.

Le virus est apparu dans la réserve fin mars 2020. Dans un article du 27 mars, publié sur Censored News, Brenda Norrell écrivait, citant le Navajo Times : « la propagation initiale, à Chilchinbito, près de Kayenta, en Arizona, dans la Nation Navajo, faisait suite à un rassemblement de l’Eglise du Nazaréen [un groupe évangéliste] ». « Un autre rassemblement d’une église, à Pine Hill, Nouveau-Mexique, près de Gallup, a continué à propager le virus parmi les Diné. La famille du pasteur a été hospitalisée. » (A Mulhouse, les premiers cas ont été décelés parmi des gens qui avaient assisté à un rassemblement évangéliste ! D’après un article de la BBC du 2 mars, une secte aurait également eu – et caché – des cas, en Corée du Sud. Le dirigeant de la secte est poursuivi).
Cependant, les autorités coloniales continuent de manquer à leurs obligations minimales vis-à-vis des Autochtones. Dans un article du 18 mai 2020, Brenda Norrell écrit, sur Censored News, que des tests rapides fournis par Trump aux dirigeants Navajo lors d’une table ronde du 5 mai, à Phoenix, se sont révélés totalement inefficaces, avec près de 50% d’erreurs, indiquant comme négatifs des gens qui ont développé la maladie quelques temps après. Ces tests sont fabriqués par la firme privée Abbott. Ces tests ont également été distribués à d’autres Nations Autochtones un peu partout aux Etats-Unis. Ils ont comparé le scandale à la distribution de couvertures infectées par la variole au XIXème siècle. Dans un article du 23 mai, Censored News révélait un autre scandale : La Nation Navajo avait reçu des masques médicaux inadéquats. Il s’agissait d’une arnaque. Un ancien employé de la Maison Blanche avait obtenu un contrat avec le Service de Santé Indien (IHS), et acheté des masques en Chine, des KN95, supposés être l’équivalent chinois des N95. Il avait cependant été annoncé par une agence officielle que ces masques ne protégeaient pas suffisamment. Brenda Norrell citait le site ProPublica : « Un ancien employé de la Maison Blanche a obtenu un contrat de 3 millions de dollars pour fournir des masques aux hôpitaux de la Nation Navajo au Nouveau-Mexique et en Arizona, 11 jours après avoir créé une compagnie pour vendre des équipements de protection personnelle face à la pandémie de coronavirus. »
Pendant ce temps, le nombre de cas et de décès continue à augmenter, et beaucoup de gens manquent d’eau et souffrent de la faim. Le gouvernement Navajo a organisé des distributions dès le début, mais c’est très insuffisant. Et les lourdeurs bureaucratiques inhérentes à tout gouvernement retardent l’utilisation des fonds fédéraux, qui, aux dernières nouvelles, étaient encore sur un compte bancaire.

Dès le début aussi, des bénévoles se sont organisés, ont fondé des associations de base et commencé à collecter des fonds par Internet, et des produits de base localement. Klee Benally, bien connu du CSIA, est actif dans les trois associations principales de la région de Flagstaff : Kinłani [Flagstaff] Mutual Aid, Indigenous Mutual Aid (liée à Indigenous Action) et Navajo & Hopi Families COVID-19 Relief. Táala Hooghan Infoshop sert d’entrepôt et de point de départ pour beaucoup des produits apportés directement ou achetés grâce aux dons locaux et internationaux. Il faut noter que l’Irlande arrive largement en tête des dons internationaux.
Les bénévoles font un travail admirable. Ils apportent de l’aide dans les coins reculés et isolés de la réserve, sur des pistes non goudronnées, difficilement praticables quand il pleut. Ils aident aussi les SDF – pour la plupart Autochtones – des villes proches de la réserve. Au début de l’épidémie, c’était encore l’hiver à Flagstaff, qui se trouve à 2000 mètres d’altitude. Il gelait et neigeait encore. Le foyer supposé abriter les SDF était devenu dangereux à cause de la promiscuité, dès que le virus s’est propagé dans la région. Et en même temps, et toujours depuis, ils s’efforcent de porter des secours là où il y a des besoins urgents dans les réserves. Récemment, selon un article publié le 27 mai sur Censored News, Kinłani Mutual Aid, accompagné par Klee Benally qui a pris les photos, a livré de l’aide sur Black Mesa, une zone de la réserve où les habitants sont particulièrement isolés.
Le gouvernement Navajo a fort justement instauré le confinement, et, pendant les weekends, le couvre-feu et la fermeture de la réserve. Cependant, les bénévoles ont regretté qu’aucune exception ne soit faite pour eux, lorsqu’ils devaient apporter de l’aide urgente dans la réserve au cours du weekend.

L’aide a pris différentes formes. Pour tenter de pallier au manque de masques, des couturières Autochtones ont formé une association pour en produire. Le 15 mai 2020, Cassandra Begay, de Navajo and Hopi Families COVID-19 Relief Fund, a publié sur Censored News un article sur ces couturières particulièrement dévouées et solidaires : « … les branches de Navajo and Hopi Families COVID-19 Relief Fund, entièrement bénévoles, ‘Western Navajo Seamstresses COVID-19 Dooda’ et ‘Eastern Navajo Seamstresses United COVID-19 Dooda’ cousent rapidement des masques et d’autres équipements pour les membres de la communauté, les bénévoles de première ligne, et les soignants.
« La semaine prochaine, le Fonds ajoutera des masques à ses colis de nourriture. […] »
« Le 23 mars, Theresa Hatathlie-Delmar, de Coalmine Mesa, dans la Nation Navajo, a été contactée par la fondatrice du Fonds, Ethel Branch, qui lui a demandé de l’aide pour mobiliser un groupe pour coudre des masques lavables afin d’aider les efforts de soutien. » […]
Fondé d’abord comme groupe de Couturières Navajo Unies COVID-19 Dooda, le groupe s’est tellement développé qu’il y a maintenant des Chapitres Ouest et Est. Le Chapitre Ouest, dirigé par Theresa Hatathlie-Delmar, compte plus de 500 membres des Nations Navajo et Hopi, du Sud de l’Arizona, du Nouveau-Mexique, du Sud de l’Utah, du Colorado, de New York et de Géorgie, ainsi que des frères et sœurs des Nations Blackfeet, Lakota, Dakota et Nakota. »
Merci à Brenda Norrell, qui assure les reportages, et qui a fait un appel sur Censored News, se chargeant de mettre en relation les gens manquant de produits de base et ceux qui pouvaient leur apporter ce dont ils avaient besoin.

Malgré l’extraordinaire dévouement des bénévoles et la générosité des donateurs, les besoins restent immenses et la pandémie continue à s’étendre. Ci-dessous, des informations sur les principales associations de bénévoles de la région :

Kinłani (Flagstaff) Mutual Aid : “Une réponse communautaire à la menace du COVID-19.
https://kinlanimutualaid.org/

Indigenous Mutual Aid, fondé par Indigenous Action Media. Travaille avec les deux autres assos. Est plus ‘radicale’ et politisée.
https://www.indigenousmutualaid.org

Navajo & Hopi Families COVID-19 Relief
https://www.navajohopisolidarity.org/

Par Indigenous Action
Publié le 30 avril 2020
Traduction Christine Prat

LE CAPITALISME EST UN CULTE DE LA MORT

S’il y a jamais eu une journée internationale des travailleurs, le 1er mai, durant laquelle les inégalités du capitalisme aient été totalement exposées, il semble bien que ce soit celle-ci.

Tandis que l’ordre social capitaliste se vide de son sang et que les Blancs suprématistes, autoritaires, nationalistes (fascistes) se rassemblent pour le ressusciter et sacrifier les corps des Noirs, basanés, migrants, trans et queer, nous voulons viser les causes de notre souffrance à la racine.

Ce système nous a trahi longtemps avant cette crise.

Nous ne pouvons pas voter pour nous sortir de la domination coloniale et de l’exploitation. Les clubs à-but-non-lucratif et les célébrités ne « nous sauverons » pas. Les politiciens et les capitalistes n’abandonneront pas de plein gré leur destruction écologique en gros qui réchauffe Notre Mère la Terre. Les campagnes pour obtenir la « reconnaissance », « être comptés » et avoir « une place à la table » ne font que renforcer la loi coloniale.

Nous rejetons aussi les ouvertures qui nous sont faites d’être un prolétariat dans une révolution néocoloniale socialiste même si son avant-garde lave plus rouge.

Nous n’avons pas de futur dans quelque système que ce soit fondé sur la destruction de Notre Mère la Terre.

Une redistribution radicale des ressources doit aller de pair avec une redistribution radicale du pouvoir. Si ça ne se produit pas selon les termes des Peuples Autochtones sur les terres desquels vous vivez, ça ne fait que renforcer le colonialisme.

Nous n’avons aucun intérêt à réarranger les relations coloniales par des actes charitables d’ « alliance » menant à ce que le capitalisme se remette de ce virus. Si nous avons un futur en tant que Peuples Autochtones, nous devons être une force de la Nature qui détruit ce qui nous détruit.