Par Josina Manu Maltzman, 21 novembre 2011 (Original article in English )

Traduction Christine Prat

Le mouvement « Occupez Wall Street » et les autres mouvements d’occupation régionaux continuent de s’accélérer. Ceux qui craignent de perdre leurs emplois et leurs logements convergent avec ceux qui se préoccupent de mettre un fin au militarisme à l’extérieur et à la brutalité policière à l’intérieur, de protéger l’environnement et l’éducation. Cependant, alors que le mouvement enfle, beaucoup de ceux qui ont été depuis longtemps à l’avant-garde de ces luttes sont une fois de plus laissés de côté par cette mobilisation de masse.

Du pays Lenape au Dakota et à Ohlone – et beaucoup d’autres endroits – les mouvements « Occupez » de Wall Street, du Minnesota et d’Oakland ont en pratique exclu la participation d’activistes indigènes qui devraient être concernés. Pour ceux qui ont décidé du nom, le terme « occupez » peut évoquer l’idée de réappropriation de l’espace libéré, mais pour d’autres qui sont engagés dans la lutte pour la décolonisation des terres indigènes, çà révèle l’absense de conscience de la mentalité de colons qui domine le mouvement.

Même si certains Indigènes sont impliqués dans le mouvement, beaucoup d’autres en sont aliénés. Comme l’écrit JohnPaul Montano, bloggeur Nishnaabe, dans Une Lettre Ouverte aux Militants d’Occupez Wall Street (voir le texte intégral de la lettre dans l’article précédent:

« Le 22 septembre, j’ai lu avec beaucoup d’enthousiasme votre déclaration d’ « Une revendication ». J’espérais, je croyais que des gens « éclairés » comme vous, combattant pour la justice et l’égalité, et pour la fin de l’impérialisme, etc., etc., mentionneraient le fait que le territoire sur lequel vous protestez ne vous appartient pas, que vous êtes des hôtes sur des terres indigènes volées. »

Montano décrit sa déception d’avoir constaté qu’une telle reconnaissance ne figurait pas dans la déclaration.

D’autres auteurs Indigènes écrivant sur le même sujet ont affirmé qu’en ne mettant pas en avant une politique de colonisation, le mouvement « Occupez » perpétue la violence de l’occupation tout en mettant en scène une politique de justice sociale pour tous.

Tout comme la composition démographique des participants, le degré de conscience et le dialogue sur la suprématie blanche et l’impérialisme varient d’une région à l’autre. Albuquerque (Nouveau Mexique) a pris un tournant par rapport à la ligne établie en intitulant le mouvement « (Dés)Occupez » afin de refléter leur prise de conscience des luttes des Premières Nations. Le 18 novembre à Santa Fe, une Déclaration de Solidarité Avec les Peuples Indigènes (Statement of Solidarity with Indigenous Peoples) a été proposée à l’Assemblée Générale. [Pour le moment, la ratification n’a pas été confirmée]. On peut voir sur le site du forum de discussion de Chicago, OccupyChi.org, qu’on s’est posé des questions à propos du nom, mais il n’y a pas eu de nouveaux commentaires depuis le 29 octobre. Que des instances de dialogue existent est un espoir ; qu’il n’y ait pas de « masse critique » susceptible de provoquer un changement social à l’égard de la suprématie blanche et de l’impérialisme est troublant.

Certains activistes blancs objectent que le fait de soulever les questions de traités non respectés et de racisme institutionnel divise le mouvement et le détourne des problèmes plus « réels » de logement, de pauvreté, d’éducation. Pour les Indigènes et les gens de couleur de ce pays, ces problèmes réels font partie intégrante d’une société où les disparités économiques coïncident largement avec la couleur de la peau. Les Indigènes ont le taux de pauvreté et de viols les plus hauts et l’espérance de vie la plus basse de tous les groupes ethniques.

Si les problèmes matériels sont placés au cœur du cadre politique, le racisme et le génocide étant réduits à de simples symptômes, il est clair que la lutte donne la priorité au bien-être des Blancs. Ce scénario s’est souvent répété : les nouveaux défavorisés s’emparent des rênes d’une longue bataille, la dirigent vers des buts à court terme, puis quittent le train en marche au premier signe d’amélioration – laissant les plus marginalisés se débrouiller pour reprendre pied dans une lutte qui n’est pas terminée. Et la question demeure : Pourquoi, dans un moment de soulèvement social généralisé limitons nous notre propre impact en maintenant le statuquo (la suprématie blanche) à l’intérieur même du mouvement ?

Une conclusion possible est que les problèmes de cohésion interne face à la brutalité policière empêchent l’émergence d’une vision dans laquelle le racisme et le génocide sont considérés comme des questions systémiques. Mais comme l’a fait remarquer dans son discours à l’assemblée d’Occupez Oakland le Dr. Waziyatawin, militante Dakota, universitaire et écrivaine : les barrières qui nous empêchent de réaliser la justice aujourd’hui ont leurs racines dans la brutalité du colonialisme. Par une narration de la violence étatique et civile perpétrée par des colons Hollandais contre la Confédération Wappinger et les Peuples Hackensack lors de la première occupation de « Wall Street », elle replace dans son contexte l’héritage du système défectueux sous lequel nous vivons. « Si vous vous sentez dépossédez, si vous vous sentez métaphoriquement ‘écorchés vifs’ par un système inhumain, souvenez-vous que ce sont les Indigènes qui ont vécu cela les premiers sur ces terres ». Nous pouvons apprendre que, malgré les obstacles quotidiens qui s’opposent au maintien de la mobilisation, l’intégrité du mouvement – et donc son succès – exige que nous mettions en cause les maux causés par le capitalisme en mettant d’abord en cause l’impérialisme.

Montano conclut son article en suggérant quatre exigences que le mouvement « Occupez » devrait adresser au gouvernement des Etats-Unis, exigences qui selon lui commenceraient à remettre le mouvement sur la bonne voie :

1) Reconnaissez que les Etats-Unis d’Amérique sont un pays colonial, un pays de colons, construit sur les territoires de nations autochtones ; et/ou…

2) Exigez la libération immédiate du prisonnier politique indigène Leonard Peltier ; et/ou…

3) Exigez du gouvernement colonial des Etats-Unis d’Amérique qu’il respecte tous les traités signés avec toutes les nations indigènes dont les territoires sont appelés collectivement « Etats-Unis d’Amérique » ; et/ou…

4) Mentionnez d’une manière ou d’une autre que vous êtes conscients d’être des colons et que vous n’avez pas l’intention de répéter les erreurs de tous les colons bien intentionnés qui vous ont précédé. En d’autres termes que vous êtes prêts à obtenir le consentement des peuples autochtones avant de faire quoique ce soit en territoire indigène.

Pour nous qui sommes actifs dans le mouvement de libération de la Palestine – comme alliés par solidarité ou comme Palestiniens de la diaspore – et sommes aussi engagés dans le mouvement « Occupez », je crois que nous pouvons approfondir notre action en écoutant cet appel. Nous savons que la colonisation de la Palestine s’est déroulée sur le modèle de celle des Etats-Unis et du Canada.  Nous savons que le système des Réserves a été le prototype pour les camps de réfugiés de Cisjordanie et la prison à ciel ouvert qu’est Gaza. La plupart des gens connaissant les origines du Sionisme politique moderne savent que Theodore Herzl s’est inspiré des méthodes utilisées ici contre les Indigènes. De plus, ce sont les mêmes institutions économiques et militaires qui imposent l’occupation illimitée aux Peuples Indigènes, ici et en Palestine.

Il est facile de voir les connections entre l’occupation de la Palestine et la colonisation de ce continent et les parallèles semblent infinis. De même, il y a une forte continuité entre notre soutien à l’appel de la société civile Palestinienne de 2005 « Boycott, Désinvestissement et Sanctions » et les exigences de justice ici. Pour cela, je demande à tous ceux d’entre nous qui sont impliqués dans la libération de la Palestine et les mouvements « Occupez » de prendre position pour ce qui suit :

De même que nous appelons Israël à mettre fin à l’occupation et la colonisation de tous les territoires Arabes et à démolir le Mur, nous devons aussi appeler à la souveraineté Indigène sur tous leurs territoires ancestraux sur ce continent.

De même que nous appelons Israël à reconnaître les droits fondamentaux des citoyens Arabes-Palestiniens d’Israël à une égalité totale, nous devons exiger, en nous impliquant pratiquement, la fin de tout racisme institutionnel aux Etats-Unis et la fin des actes de génocides encore pratiqués contre les Indigènes ici.

De même que nous demandons le Droit au Retour des Palestiniens, nous devons demander la fin du système des réserves sur ce continent – ainsi que la reconnaissance des centaines de traités violés par le gouvernement des Etats-Unis au détriment des Indigènes et des réparations pour les dommages causés en conséquence.

Ce moment précis de l’histoire contient un potentiel de changement réel de tout le système. Avec tant de luttes populaires interconnectées, les possibilités sont énormes. En élargissant notre champs d’action pour inclure tout le monde, nous pouvons définir plus clairement nos buts : la fin de l’impérialisme, la restitution de territoires à la souveraineté des Nations Indigènes, et une vie saine et digne pour tous les êtres humains et pour la planète.

 

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Josina Manu Maltzman

Josina Manu Maltzman est Juive Ashkenaze anti-Sioniste, active dans le mouvement de Solidarité avec la Palestine et impliquée dans le soutien aux luttes autochtones ici au Dakota et en Amérique du Nord occupée. Jo est membre de la section Villes Jumelées du Réseau International Juif Anti-Sioniste (IJAN-TC) et participe à la campagne Minnesota Break the Bonds.

 

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