Le 23 mars 2019, Wendsler Nosie Sr., Apache Chiricahua de la Réserve de San Carlos, nous a fait l’honneur d’une visite à Paris. La soirée était organisée par le CSIA-nitassinan. M. Nosie s’est présenté, puis a parlé de son enfance, de sa famille, des Apaches Chiricahua et de l’histoire de la Réserve de San Carlos. Cet article reproduit la première partie de son intervention. Ensuite, il a parlé de la lutte pour le Mont Graham et de son importance dans les luttes Autochtones des U.S.A., et bien sûr, d’Oak Flat. Cela sera publié dans de prochains articles.
Christine Prat (CSIA-nitassinan)
Wendsler Nosie Sr. a d’abord demandé au public : “Savez-vous ce qu’on appelle ‘ramasseur de crottin’, dans une parade ?” puis a expliqué : “Dans une parade, il y a des chevaux, les chevaux lâchent du crottin, et quelqu’un le ramasse pour faire plus propre. Je pense que c’est ce que je suis. Parce que, quand j’ai grandi, j’étais toujours avec les Anciens. Ils avaient beaucoup d’informations et beaucoup de sagesse, et ils avaient beaucoup de cœur. J’étais là pour aider à comprendre ce qui nous arrivait, et comment ça affecterait nos enfants. En fait, ce dont je parle, c’est du fait que mes arrière-grands-parents étaient des gens libres. Puis, mes grands-parents ont été emmenés comme prisonniers de guerre à San Carlos, et ma mère est née en prison. Ainsi, ma mère a ressenti le passage de ce qu’était la vie en prison à ce que c’était quand c’est devenu une Réserve, en 1934. Il y avait une chose qu’elle haïssait vraiment, elle l’appelait une maladie. Ça a été transmis de génération en génération, puis à moi. Puis j’ai voulu le transmettre à mes enfants. Ce dont elle parlait, c’était que les gens changeaient, quelque chose nous était imposé, pour nous forçait à changer.”
“Ils regardaient à travers les barreaux et se disaient, et posaient la question à leurs parents ‘comment se fait-il que ces gens de l’autre côté soient différents ?’ Et des enfants de 5 ans pouvaient voir qu’il y avait une différence entre vivre dans une réserve et vivre à l’extérieur. Puis, ils commencèrent à comprendre que tout ce qu’ils voyaient ne s’appliquait pas à ceux qui vivait dans une cellule de prison. Ainsi, quand j’ai grandi, c’est ce dont ils parlaient. Mais je ne pensais jamais que je vivrais, à l’époque. A la fin des années 1960, pour une raison ou pour une autre, j’étais toujours avec les gens plus âgés, et toujours, aussi, avec les Gens Sacrés qui étaient encore dans la réserve. Puis, ce que j’ai aussi appris, mais aussi ressenti intérieurement, pensant à nos sites sacrés, ces lieux sacrés dont nous venions, est que nous en étions exilés et mis dans une réserve, pour ne jamais retourner là d’où nous venions. Je n’étais pas le seul à le ressentir, beaucoup de gens le ressentaient. Beaucoup de gens de notre réserve ont vécu ce dont je vous fais part. Donc, quand je parle de ‘ramasseur de crottin’, il y avait beaucoup de travail, beaucoup de choses à voir, et beaucoup d’odeurs à sentir, bonnes ou mauvaises.”
“Il y a eu beaucoup de gens avant moi, bien avant moi, et beaucoup de gens qui étaient en avance sur moi. Alors, je dis que c’est comme poser des briques, chaque brique est un pas. Et la raison pour laquelle je le dis, c’est que c’est un pas vraiment crucial, chaque pas, chaque brique posée, est vraiment crucial. Parce que ceux qui viennent après nous sont les enfants. Donc, ces briques sont posées pour que nos enfants aient un sol solide pour prendre appui.”
“Et la raison pour laquelle j’ai commencé par-là, c’est parce que je n’avais jamais pensé que je serais ici, je n’avais jamais pensé que je parlerais un jour devant des gens. J’ai toujours admiré les musiciens, les vedettes de cinéma, les politiciens, cette sorte de gens. C’est fascinant de les voir. Alors, ça me fait drôle d’avoir un groupe de gens qui m’écoutent.”
“Ce qui est important, chez moi dans ma réserve, c’est que je défie les gens. Mais j’ai dû me mettre au défi moi-même avant. Parce que, quand j’ai appris tout cela, j’étais très découragé. Quand je me confrontais à ma mère et à mes grands-parents, j’étais découragé, parce qu’il n’y avait pas vraiment de réponses aux questions que nous posions à nos familles, ce sont des questions auxquelles il est difficile de répondre, pour eux. Parce que là d’où je viens, dans ma réserve, celle des Apaches San Carlos, nous avons 15 branches différents d’Apaches qui vivent dans une seule réserve. Comme ici, en France, c’est français, mais vous avez des gens de différentes régions et vous avez tous été mis ensemble pour vivre comme un seul groupe.”
“Je suis un descendant de Chiricahuas. La plupart d’entre vous connaissent Geronimo. C’est l’ascendance de ma famille. Alors, la raison pour laquelle je suis ici – il y a beaucoup de raisons – mais je pense que la raison pour laquelle je suis ici, remonte à mes grands-parents. Parce que, dans les années 1800, mon peuple combattait toujours les Espagnols, quand ils remontaient du Mexique. Ainsi, mon arrière-grand-père y était encore un ou deux mois avant que Geronimo et les siens soient exilés en Floride. Et je suis à San Carlos.”
“Donc, il y a différents groupes d’Apaches. Et comme ça se produit avec les Américains, quand ils vont dans des pays étrangers, ils s’allient avec une tribu, et les gens s’allient avec différents groupes, contre leur propre peuple. Ainsi, parmi mon peuple, nous étions les combattants de la liberté, qui ont combattu jusqu’au dernier jour. Alors, étant à San Carlos, nous vivions avec ceux qui avaient été scouts pour les Américains, des Apaches qui avaient été scouts pour l’armée Américaine. Quand les Etats-Unis ont commencé à changer, en 1934, les scouts ont quitté les réserves.”
“Et de 1934 à 2006, dans les élections de l’Homme Blanc – car nous avons un gouvernement tribal, maintenant – donc, lors des élections américaines, en 2006, nous avons enfin élu quelqu’un, comme dirigeant de notre gouvernement, issu des combattants de la liberté qui ont lutté jusqu’à la fin. En 2006, la personne qu’ils ont élu pour diriger toute la tribu, c’était… moi ! Ainsi, c’est alors que nous avons commencé à changer, en Amérique. J’en suis très fier, parce que beaucoup de gens comme moi attendaient. Nous attendions, parce qu’il s’était passé tant de choses, dans les années 1950, 1960 et 1970, et il y avait eu beaucoup de mouvements en Amérique. Mais les Anciens, là où j’ai grandi, dans les années 1960, disaient toujours, en Apache, ‘attendez, ce n’est pas notre moment’. Vous pouvez vous vous imaginer grandir en les entendant dire tout le temps ‘attendez, attendez’. ”
“Alors ma mère m’a rappelé quelque chose de très important. Elle dit ‘tu peux les haïr – les Américains – tu peux les tuer, tu peux les frapper, mais est-ce ce que tu es vraiment ?’ Parce qu’il faut se souvenir qu’au début, quand ils sont arrivés pour la première fois dans notre partie du pays, les gens ne savaient pas ce qu’ils faisaient, et, dans notre langue, il n’y a pas de mots pour “Blancs”, “Noirs”, ou “Asiatiques”, il n’y a pas de tel mot. Et lorsque les premiers sont arrivés dans notre région, le mot employé signifiait ‘ceux-là sont vos parents’. Nous ne connaissions pas leur mentalité, nous ne savions pas qu’elle était différente la nôtre. Alors, ma mère m’a dit d’observer et d’apprendre. Plus important encore, elle m’a dit ‘la voie que tu suis est spirituelle’. Elle dit ‘tu ne peux pas, en tant qu’être humain, tu ne peux pas trouver où tu veux aller. Le Créateur, c’est-à-dire l’Esprit Sacré, viendra à toi et te donnera des directions vers où tu dois aller’. Vous pouvez vous imaginer ce que c’était, pour un jeune, d’être extrêmement patient ! C’était toujours ‘attend’, ‘tu le sauras quand ça arrivera.’ Mais dans cette sorte de monde, il y a du mal partout, il y a la tentation partout.”
“Je ne peux parler que de San Carlos. Dans les années 1960, nous avons perdu deux personnes très importantes. Je dis cela, parce que quand on parle de spiritualité, il y a ceux qui ont appris, été entraînés, et il y a ceux qui ont le don. Les deux dont je parle avaient le don. Ils étaient bénis. Alors, ils ont aussi posé une fondation pour demain. Et, encore une fois, la fondation dont ils parlaient, c’était les enfants. Ça remonte à tout le peuple. Quand les premiers objets sont arrivés, ils étaient américains, modernes, c’était nouveau pour nous, et ils dirent que quand nous les touchions, ça nous salissait. Ils ont laissé de nombreux indices, et je me demandais toujours pourquoi ils ne nous donnaient jamais la réponse. Mais, maintenant que j’ai 60 ans, je comprends pourquoi : parce qu’ils veulent que nous trouvions, parce que tout ce que l’on fait, vient du cœur. Ce qu’ils disaient, maintenant, comme je l’entends, c’est que si vous ne le sentez pas ici [il pointe le doigt vers son cœur], vous ne sentez rien. Alors, c’est pourquoi je me suis tourné vers mon peuple et nous ai mis au défi de guérir.”
“On m’a raconté une blague. Je ne sais pas si je la raconte aussi bien que cette personne. Mais ça me fait toujours rire. Donc, un jour, des gens trouvèrent un petit aiglon et le mirent dans une cage à poules. Des années passèrent. Puis un homme vint rendre visite à la famille et dit ‘hé, il y a un aigle dans ce poulailler !’ Et l’homme blanc dit ‘ah ! Il croit qu’il est un poulet.’ Ça troublait l’autre homme. Il répétait ‘mais c’est un aigle’. Et l’homme blanc répétait ‘non, c’est un poulet, il se prend pour un poulet’. Ça troublait l’homme, alors il a demandé à l’homme blanc ‘Puis-je prendre cet aigle et lui montrer qu’il est un aigle ?’ L’homme blanc dit ‘oui, tu peux le prendre, mais il se prend pour un poulet’. Ainsi, il prit l’aigle et pria, puis le lança en l’air et lui dit de planer comme un aigle. L’aigle voleta, et quand il heurta le sol, il caqueta et marcha comme un poulet. Il réessaya deux fois, et la même chose arriva. Finalement, il était si irrité qu’il emmena l’aigle sur une falaise et le fit regarder dans le canyon. Finalement, il regarda encore, pria et dit “aigle, tu dois voler” et le jeta dans le canyon. Alors il plongea, comme pour heurter le fond du canyon. Mais finalement, il poussa un cri qu’il n’avait jamais entendu lui-même, et se ressaisit et vola comme un aigle. La plaisanterie derrière cette histoire, c’est qu’il dit ‘ceci est ce que tu es’, un peuple Autochtone d’Amérique du Nord. Alors, en venant ici – l’océan est très grand – je me suis souvenu que j’étais un aigle. Donc je ne serai pas un poulet, ici.”
“C’était une chose très importante qui était dite à notre peuple, car nous agissions comme quelqu’un que nous n’étions pas. Et c’est pourquoi j’ai dit qu’en 2006, nous avons commencé à changer notre monde.”
Voir aussi
Une histoire des Chiricahua, sur le site Cocomagnaville (en français)
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