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41ème Journée de Solidarité du CSIA-Nitassinan
9 octobre 2021
Intervention de
Taneyulime Ludwina Pisili,
Kali’na de Guyane
Transcription et photos Christine Prat, CSIA-Nitassinan

Bonjour à tous, merci d’être venus ici. Je me présente : Taneyulime, Kali’na de Guyane, présidente de l’association Aukae, qui participe au développement de la culture Kali’na. Normalement, j’avais un intervenant aujourd’hui, malheureusement, je suis sincèrement désolée, ce sont les inconvénients du direct. Il y a eu de gros orages hier en Guyane, il y a très peu de réseau, c’est mal installé, mal géré, et malheureusement, nous avons du mal à joindre nos intervenants. Mais je vais quand même continuer sur le problème des ‘Homes Indiens’ et vous en parler un peu aujourd’hui.

Donc, aujourd’hui, nous allons parler des ‘homes Indiens’. Vous en avez peut-être entendu parler, ça fait écho à l’actualité des pensionnats canadiens. Il faut savoir qu’en ‘France’ aussi, il y a eu des pensionnats faits pour les Amérindiens, qui contribuaient à l’assimilation des populations Autochtones en Guyane française, pour devenir de ‘bons Français’. Une chose qui initialement était faite pour pallier au déficit scolaire. Il y avait énormément de jeunes Autochtones qui ne pouvaient pas aller à l’école du fait de l’environnement, nous sommes en Amazonie, il y a des villages très éloignés, et nous sommes une population qui n’est pas sédentaire à la base et qui bouge beaucoup, beaucoup n’étaient pas scolarisés. Pour pallier à ça, au milieu du XXème siècle, ont été mis en place les ‘homes Indiens’. Il faut savoir que ces ‘homes Indiens’ ont existé de 1949 à 2012, mais ce processus d’assimilation et donc ces pensionnats, ces écoles existent depuis le XVIIème siècle, depuis même l’arrivée des colons au XVème siècle, mais surtout depuis le XVIIème siècle, à l’époque des Jésuites.

Il y avait un désir d’éduquer les populations Autochtones, surtout les Kali’na parce qu’ils étaient principalement sur le littoral. [Elle montre une carte de la Guyane] Ici, il y a une grande ligne qui la découpe en deux, le littoral au-dessus, et tout ce qui est forêt amazonienne, qui est aujourd’hui Parc Amazonien. En dessous, vous avez les populations Wayãpi, Wayana, et depuis peu, une population Autochtone du Brésil qui émigre chez nous, on comprendra pourquoi, vu la situation actuelle au Brésil et toutes les problématiques, ils se réfugient sur des terres françaises. Et, en haut, sur le littoral, vous avez la population Kali’na, Arawak et Teko. Donc six populations Autochtones, trente autrefois, au début de la colonisation, et vous comprendrez tout de suite qu’il y a eu un gros déficit de population, moi je parlerais de génocide humain et par la suite un génocide culturel.

Les Jésuites ont voulu éduquer les populations Autochtones, puisque le Pape avait décidé qu’on ne pouvait pas coloniser les nouvelles terres, mais qu’on pouvait les évangéliser. Donc, on va essayer de leur inculquer la bonne parole chrétienne, la bonne parole catholique, entre autres, et leur enseigner tout ce qui concerne la religion catholique. Ces Jésuites, dans un premier temps, au XVIIème siècle, vont venir comme sauveurs, parce que, déjà, ils vont nous sauver de notre sauvagerie et de notre manque d’éducation. Mais aussi, grâce aux écoles qu’ils vont créer, de nombreux Kali’na vont échapper à l’esclavage. Très souvent, on parle de l’esclavage de la population africaine, des déportés d’Afrique, mais NOUS avons aussi connu l’esclavage. Ne l’oublions pas et rappelons-le, et surtout, disons-le, dénonçons-le, parce que c’est très important. Souvent, les chasseurs d’Indiens ont kidnappé les populations Autochtones pour les emmener vers les îles ou pour les asservir sur place, en Guyane. Nous étions très éloignés de l’Europe à l’époque, encore plus qu’aujourd’hui bien que nous le soyons encore, ils ont profité de cette situation pour nous kidnapper, nous arracher à nos terres, pour nous emmener sur les îles et nous traiter en esclaves. Ceux qui n’ont pas été enchaînés ont pu aller dans ces écoles, pour être éduqués, pour apprendre à lire et à écrire le français, mais aussi pour apprendre certaines techniques médicinales et la chirurgie pour pallier aussi à ce manque de personnes qu’il y avait à l’époque sur les terres et pouvoir aider les populations de colons qui manquaient alors – et encore aujourd’hui – d’hôpitaux, de services capables de les soigner.

Tout ça va exister, à peu près, jusqu’à la fin du XVIIème siècle, juste un peu avant la Révolution. Donc, ces Jésuites-là, ce serait un peu la ‘bonne période’ des pensionnats Autochtones. Ensuite il y aura les ‘réductions’, qu’il y avait souvent au Paraguay, des pensionnats très violents, ou l’assimilation est violente, dure et radicale. Après cela, il y aura un grand vide. De toutes façons, c’est simple, nous, les populations Autochtones, n’avons jamais été la priorité. Jusqu’à aujourd’hui, nous ne le sommes pas, nous ne l’étions déjà pas à l’époque, nous l’avons été très brièvement, comme nous l’avons vu, à l’époque où les Jésuites étaient là, mais après il y a eu un désintérêt total de l’administration française pour nous. On le voit d’ailleurs dans l’histoire, 1969, c’est seulement que nous avons le droit, le devoir, si je puis dire, de devenir Français, sur les papiers, administrativement. C’est très, très tard, par rapport aux pays voisins.

Il va y avoir une grande pause dans l’histoire, on va totalement se désintéresser de nous, et nous allons être décimés de façon ‘microbienne’ – est-ce que c’est vrai, je ne sais pas, je n’étais pas là – mais apparemment les maladies nous ont décimés. Je pense qu’il y a eu un petit massacre, mais c’est mon opinion personnelle.

Au milieu du XXème siècle, il y a eu la départementalisation de la France. Donc, on s’inquiète enfin de la Guyane et des populations Autochtones. Et on constate effectivement que tous ces travaux d’assimilation et d’évangélisation n’ont pas vraiment fonctionné sur la population Autochtone de Guyane, surtout chez les Kali’na. Vous ne le savez peut-être pas, mais nous sommes de grands guerriers et nous nous sommes battus très longtemps. Donc, on a du mal à nous assimiler. On a du mal aussi parce que nous bougeons beaucoup. Nous avons tendance à nous déplacer, donc les personnes qui dirigent ce pays vont chercher des solutions pour pallier à ça et comment éduquer ces Autochtones qui se déplacent relativement souvent, qui ne vont pas à l’école, et qui se déscolarisent, même quand ils vont à l’école, assez tôt, puisque les mariages sont précoces et leurs familles ont besoin de les avoir auprès d’elles pour l’agriculture, la pêche, etc., pour subvenir aux besoins de la famille.

Alors il y a eu deux étapes. Il y a eu une première étape où les sœurs sont venues, au début du milieu du XXème siècle. Ça s’appelait ‘orphelinats’, mais en fait c’était clairement des écoles. Ce sont des endroits où on prenait les Autochtones, pour les y emmener, mais en les éloignant de leurs familles qu’ils avaient encore. Je ne sais pas si le terme ‘orphelinat’ est approprié, mais en tous cas c’est comme ça qu’on leur a dit ‘on vous emmène à l’orphelinat, parce que, on ne peut pas vous laisser comme cela, au fin fond de la forêt, près des fleuves, etc. Mais c’est le terme que les personnes qui ont vécu là-bas ont donné. Et c’est comme cela qu’ils en parlaient : « J’ai été à l’orphelinat ». Alors que ces gens avaient encore leurs parents. On les a arrachés à leur famille. Ce n’était pas des orphelinats, c’est le terme que ces sœurs donnaient pour pouvoir prendre ces enfants à leurs familles, mais ces enfants avaient toujours une famille. Peut-être que c’était des parents qui étaient partis à la chasse, ou partis à la mer ou en forêt. Mais ils avaient toujours leurs parents, on les a effectivement arrachés à leurs parents très tôt, puisqu’on a demandé au clergé, et principalement aux sœurs qui étaient là à l’époque, de les prendre entre 6 et 15 ans. C’est ce qui était demandé par décret, mais ce n’est pas ce qui était fait en réalité. Du fait que, pour eux, à 6 ans ils étaient déjà trop grands, pas assez malléables, pas faciles à endoctriner. Donc, en fait, on les a pris à leurs parents et éloignés d’eux, de 4 à 16 ans. Le plus tôt possible était le mieux, plus ils sont jeunes, plus on les assimile.

Donc, au tout début, ce sont des écoles de sœurs ou de frères, mais ce ne sont pas encore des ‘homes Indiens’. Ça va être officialisé en 1964, mais on sait d’après les archives que la réalité est autre, ça existait dès 1949. Il y en a eu cinq, principalement sur le littoral. Comme je disais, par décret c’était entre 6 et 15 ans, mais en réalité entre 4 et 16 ans, pour, soi-disant, protéger les jeunes filles, éviter qu’elles ne soient mariées trop tôt, aussi pour leur apprendre un maximum de choses et qu’elles n’oublient pas les bonnes pratiques catholiques, puisqu’on se rendait compte des échecs multiples des siècles précédents, où les Kali’na revenaient à leurs coutumes traditionnelles. Donc, il y avait des ‘homes’ féminins, gérés par les sœurs, et des ‘homes’ masculins, gérés par des frères spiritains. Tout cela va durer officiellement jusqu’en 1980, mais nos frères Wayãpi et Wayana vont connaître ça jusqu’en 2012, quand on a commencé à entendre des dénonciations de ces instituts, qui demandent aux Kali’na – et tout autre Peuple Autochtone – de ne pas parler leur langue maternelle, d’être mal nourris, comparé à leur village, alors qu’on prétendait les sauver, les protéger, et surtout d’être éloignés très fortement de leurs familles, qu’ils ne peuvent aller voir qu’une ou deux fois par an, et ils ne laissaient pas les parents venir voir leurs enfants.

Ces institutions étaient faites pour les populations Autochtones de Guyane ‘Française’. Aujourd’hui, je fais témoigner un Autochtone du Surinam, car le clergé ne s’arrêtait pas aux frontières, ils allaient sur les terres du Surinam et sur les terres brésiliennes pour prendre des enfants qui n’étaient pas ‘de l’état français’, pour les mettre aussi dans ces homes indiens. Ils y étaient battus, frappés, mis sur des dalles… Enfin, ce sont des choses dont vous pourriez dire qu’elles existaient aussi ‘chez nous’, dans la France hexagonale à cette époque-là. Ce sont des choses que les gens d’après-guerre pourraient raconter aussi. Effectivement, c’est sûr. Mais ce sont des choses qu’il faut souligner et ne pas oublier. Arracher un enfant à ses parents qu’il ne peut voir que deux fois par an, ne pas le nourrir convenablement, ne pas lui laisser accès à ce que les prêtres ont accès, la télé, les jeux, lui interdire de parler sa langue maternelle avec ses camarades, l’autoriser seulement à parler le français quand il est arraché de Surinam où il venait d’écoles où on parlait le néerlandais, c’est quand même très compliqué, c’est frustrant. Comme dans beaucoup de pensionnats de ce type-là, il y a aussi des sévices autres que psychologiques, physiques et parfois sexuels, comme dans beaucoup d’histoires des pensionnats du clergé. Malheureusement, nous n’avons pas de témoignage de cette personne, mais j’espère qu’un autre jour vous pourrez la voir, et nous avons son récit à Aukae, donc nous pourrons le diffuser. Je trouve que c’est important, aujourd’hui de vous parler de cela. [Elle montre une carte] Vous pouvez voir les différents ‘homes indiens’ de Guyane, il y en avait principalement cinq, mais vous en voyez d’autres encore.

Je ne suis peut-être pas la meilleure personne, ne l’ayant pas vécu, pour partager ce que ça pouvait être émotionnellement éprouvant d’être dans ces ‘homes’, mais je le dénonce. Ça existait aussi en France. Ça a existé de 1949 à 2012, mais ça a existé pendant des siècles aussi, puisque c’est depuis l’arrivée des colons qu’on essaie d’arrêter les sauvages sans éducation, qu’on essaie de les éduquer sous des prétextes multiples, mais au final, on ne leur donne pas les mêmes possibilités qu’à d’autres personnes. En les maltraitant et en créant cette assimilation, il y a eu énormément de frustrations au sein des populations Autochtones. Là, par contre, c’est mon témoignage, il y a des gens qui, après ces ‘homes’, n’ont pas voulu apprendre à leurs enfants à parler Kali’na, par exemple – je suis Kali’na, donc je me permets d’en parler – il y a des gens qui n’ont pas voulu apprendre à leurs enfants à parler leur langue maternelle, parce qu’ils avaient honte ! Il y a des gens, jusqu’à aujourd’hui, qui sont traumatisés, qui n’en parlent plus, ces gens-là sont traumatisés même s’ils n’en parlent pas. Aujourd’hui, heureusement, nous sommes dans une réappropriation culturelle. [Elle montre deux photos de pensionnats d’autrefois]. On voit bien des jeunes filles Kali’na en costume traditionnel, qui ont été arrachées à leurs familles, et là on voit comment on les a assimilées en les obligeant à mettre des vêtements ‘civilisés’.

Je remercie les personnes comme Ludovic Pierre, qui est à l’origine du collectif Makan, qui depuis plus d’un an réunit des jeunes militants comme moi, comme mon amie Taina qui est dans la salle, et comme mon autre amie qui n’est pas là, mais qui peut-être nous entend, et est une artiste Kali’na. Il y a un désir, pour répondre à ces ‘homes indiens’ aujourd’hui, de réappropriation identitaire, mais aussi culturelle, avec la réappropriation des arts, de la langue et de notre histoire, aussi. Notre histoire est très souvent effacée, vous n’entendrez jamais parler de l’esclavage des Amérindiens en Guyane, ou peut-être depuis très peu. Mais on n’en parle pas, nous ne sommes pas reconnus, ce sont avant tout les Afro-descendants et pas nous.

Encore aujourd’hui, beaucoup de choses sont remises en question, dans l’art ou dans d’autres domaines, même la musique. Comme si, finalement, ces milliers d’années que nous avons passées sur ces terres n’avaient servi à rien, n’avaient laissé aucune trace. Donc aujourd’hui, nous essayons de rétablir la vérité et nous essayons de montrer que nous sommes encore vivants et fiers d’être ici, fiers d’être sur ces terres, et nous les protégeons de toutes les manières possibles. Nous participons à des contre-congrès, comme des COP, par exemple, ou différents séminaires. Nous avons aussi de jeunes artistes, nous en présenterons une aujourd’hui, Clarisse Da Silva, qui participe aussi à cet activisme via l’art. Et donc je remercie tous ces jeunes, tous ces gens qui dénoncent au quotidien, qui parlent de la réalité des choses, et merci à vous aussi de nous écouter.

J’ai parlé de la réappropriation culturelle, identitaire, mais aussi des terres. Car je sais que vous savez, peut-être, qu’on parle beaucoup de l’environnement, et que chez nous aussi on souffre beaucoup, la terre souffre, et ce sont nos terres, celles de nos ancêtres. Même si nous avons du mal à nous la réapproprier, ça reste quand même la terre de nos ancêtres. Nos ancêtres sont enterrés dans ces terres, ils ont laissé des sépultures, ils ont laissé des vestiges. Il faut la protéger. Je dénonce aussi toutes ces grosses multinationales qui sont en train d’installer des mines à ciel ouvert et de nombreuses grosses centrales électriques qui nuisent à notre écosystème.

On parle du génocide humain qui est ignoré, du génocide culturel dont je vous ai parlé un peu, et aussi l’écocide, de nos jours, mais ça regarde tout un chacun, tout le monde ici, puisque nous vivons tous sur la même planète et malheureusement, elle va mal. Rien ne va plus, nous venons d’Amazonie et le poumon de la terre, actuellement, rejette beaucoup plus de CO2 qu’il n’en absorbe. Il faut faire quelque chose, il faut se réveiller.

Notre association lutte pour la protection de l’environnement mais aussi pour le rayonnement des arts et de la culture Kali’na. Alors n’hésitez pas à donner quelque chose pour continuer nos projets. Merci.

https://www.helloasso.com/associations/au-kae

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Les 6 populations Autochtones de Guyane ‘Française’:
Kali’na; Lokono (ou Arawak); Palikur; Teko (ou Émerillon); Wayãpi; Wayana
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