17 janvier 2016
Rapport Spécial
Le Combat des Ouvriers de Ciudad Juarez traverse la Frontière en 2016
Par Frontera NorteSur
Publié par Censored News
Traduction Christine Prat
Durant l’été et l’automne 2015, une vague de protestations ouvrières contre les bas salaires, le harcèlement sexuel et autres mauvaises conditions de travail, a éclaté dans quatre usines possédées par des étrangers, ou maquiladoras, dans la ville frontière du nord du Mexique, Ciudad Juarez. Dans une ville où une véritable représentation syndicale dans les usines d’exportation est pratiquement inconnue, les demandes des travailleurs pour des syndicats indépendants a été particulièrement remarquée.
Au fil des jours, puis des semaines et des mois, des spéculations ont beaucoup circulé dans la presse de Juarez, qui se demandait si les compagnies, que les militants syndicalistes accusent de licencier les travailleurs impliqués dans les protestations et l’organisation de syndicats, allaient simplement attendre que le mouvement s’éteigne avec l’arrivée du froid et de la faim.
Début 2016, non seulement les manifestations ont défié le temps hivernal et ont continué dans au moins trois entreprises – Lexmark, Eaton et la division Scientifique d’Atlanta de Foxconn – mais les actions de soutien aux travailleurs actuels et aux licenciés s’étendent aux niveaux national et international.
La semaine dernière, des manifestations de solidarité avec les ouvriers de Lexmark ont été organisées à Mexico, El Paso et à Lexington au Kentucky, d’après l’Assemblée Régionale Populaire de Paso del Norte, un regroupement d’organisations de droits de l’homme et de droits des travailleurs, et d’individus à Juarez, El Paso et Chihuahua.
« Il y a beaucoup de harcèlement sexuel dans l’industrie. La forme la plus commune est que les chefs et superviseurs demandent des faveurs sexuelles en échange de choses aussi communes que les heures supplémentaires » dit un ouvrier de Lexmark à un journaliste de Mexico. « Le salaire de base ne permet jamais de survivre, et (les superviseurs) mettent comme condition pour travailler plus, ce que les ouvrières acceptent de leur accorder. »
Pendant ce temps, à Juarez, des dizaines d’anciens ouvriers de Lexmark brûlent leurs uniformes de travail devant le bâtiment de l’entreprise Américaine. « (Lexmark) n’a pas pris contact avec nous pour proposer une solution. Nous continuerons jusqu’à ce qu’il y ait une solution positive » dit Miguel Angel Sedano, un ouvrier de Lexmark cité dans El Diario de Juarez. « Nous organisons un boycott, et demandons au public de ne pas acheter de produits (de Lexmark) étant donné que cette entreprise viole les droits humains et les droits du travail des ouvriers. »
Parmi d’autres plaintes des travailleurs de Lexmark, il y a des déductions non-autorisées de leur fiche de paie et l’exposition à des produits chimiques dangereux dans les ateliers. Lexmark, qui a son siège principal à Lexington, au Kentucky, fabrique des cartouches pour imprimantes et des produits associés.
Il n’y a pas eu de réaction immédiate sur le site web de Lexmark, aux manifestations à Lexington et d’autres villes, mais le site de la compagnie proclame son adhésion aux ‘responsabilités sociales’, avec des buts de développement durable et ‘d’équilibre entre les préoccupations économiques, écologiques et sociales’.
En décembre, des centaines d’ouvriers de Lexmark à Juarez ont organisé des interruptions du travail pour appuyer leurs revendications. Le Lexington Herald Leader a attribué une déclaration de la firme, faite après les manifestations de décembre, à Leea Haarz, directeur général de l’usine de Juarez, qui assurait écouter les employés et se conformer à un engagement d’avoir « des conversations ouvertes et honnêtes avec nos employés afin d’assurer que Lexmark demeure un endroit gratifiant pour travailler. »
D’après le site de Lexmark, l’entreprise a rapporté 3,7 milliards de dollars de revenus en 2014, dont 57% venant de ventes internationales.
Dans une conférence de presse d’El Paso retransmise sur Internet avant Noël, Susana Prieto, avocate des ouvriers de Lexmark et d’autres travailleurs de maquiladora, a accusé l’entreprise d’avoir licencié des ouvriers après qu’ils aient demandé des augmentations de salaire de moins de quinze centimes par jour pour augmenter leur salaire hebdomadaire d’environs 40 dollars. Elle a accusé l’entreprise d’appeler la police de Juarez pour intimider les travailleurs, qui ont commencé à craindre que les flics locaux ne les mettent en détention.
Pendant les mois de protestations, le coût du travail pour les entreprises Américaines ayant des usines à Juarez et le reste du Mexique a encore baissé, suite à l’effondrement du cours du peso. Samedi 16 janvier, des bureaux de change au Mexique affichaient à nouveau un cours de 19 pesos pour un dollar.
A la veille du Nouvel An, alors que le Mexique était plongé dans les festivités, le Bureau de Juarez du Conseil de Conciliation et d’Arbitrage du Travail a rejeté les pétitions des ouvriers de Lexmark et Foxconn demandant la reconnaissance officielle de syndicats indépendants. Dans sa décision, le conseil fédéral du travail a cité la confusion quant au nom proposé pour un syndicat et un plan de gestion financière inadéquat. Les travailleurs ont juré d’aller en appel contre la négation de leurs revendications.
Sur le front juridique, l’avocat du travail Juan Pablo Delgado a déposé le 14 janvier une plainte auprès de la Commission des Droits de l’Homme de l’état de Chihuahua contre le directeur du bureau du Secrétariat au Travail de Chihuahua, au nom des travailleurs de maquiladora qui accusent les officiels de promouvoir une liste noire des travailleurs militants.
Samedi 16 janvier, le mouvement des travailleurs de maquiladora s’est uni à une autre lutte sociale importante au Mexique, lorsque trois parents de jeunes faisant partie des 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa dans l’état de Guerrero en septembre 2014, se sont rendus au camp de protestation des travailleurs de Lexmark, devant le bâtiment de l’entreprise.
Avec les mères de jeunes femmes de Juarez disparues dans la ville frontière, les parents d’Ayotzinapa ont tenu un forum en plein air sur la répression et les disparitions, aux portes de Lexmark.
Autre évènement remarquable, la plus grande organisation syndicale des Etats-Unis exprime son soutien à la lutte des ouvriers de Juarez.
Le 11 janvier, sur le blog de l’AFL-CIO, Kathy Feingold a appelé à la réintégration des ouvriers licenciés, à la reconnaissance des syndicats, à l’intervention du gouvernement fédéral Mexicain et à un rapport des instances locales, d’état et fédérales des Etats-Unis pour déterminer si certains des produits qu’ils achètent proviennent de maquiladoras à Juarez « qui pourraient utiliser des dollars des contribuables américains pour subventionner des violations des droits du travail. »
K. Feingold a également souligné la contradiction entre les conditions de travail à Juarez et les nouvelles réformes soutenues par le gouvernement de Pena Nieto afin que le Mexique puisse accéder au projet de Partenariat TransPacifique qui implique la ratification de la Convention 98 de l’Organisation Internationale du Travail (un accord comportant le droit de s’organiser et les négociations collectives), des changements dans les conseils du travail Mexicains et de nouveaux protocoles pour l’inspection du travail.
« Si ces changements étaient mis en pratique, ils pourraient permettre aux travailleurs de Ciudad Juarez et d’autres centres industriels d’exercer effectivement leurs droits » écrit K. Feingold. « Malheureusement, ces annonces n’ont eu aucun effet sur les autorités du travail et les directeurs d’entreprises à Ciudad Juarez. »
Alors que les actions ouvrières se développaient à Juarez et que le soutien pour le mouvement grandissait à l’étranger, une nouvelle affaire de possible empoisonnement alimentaire de masse, un problème récurent dans les maquiladoras de la frontière, était signalé, jeudi 14 janvier, dans une usine de Lear Corporation. Plus de 160 travailleurs de Lear ont commencé à vomir et présenter d’autres symptômes après avoir mangé dans une cafétéria de l’entreprise. Eloy Coral Banda, chef de la commission du Chihuahua pour les risques sanitaires, dit que des échantillons de nourriture étaient relevés à l’usine pour essayer de déterminer la cause des maladies des travailleurs.
Alors que le mouvement des travailleurs se durcit et s’étend, tous les regards à Juarez sont tournés vers la visite, le mois prochain, du Pape François, dont beaucoup s’attendent à ce qu’il s’exprime sur la pauvreté et les conditions de travail. Entretemps, les habitants de la zone frontière de Paso del Norte de Juarez, El Paso et du sud du Nouveau-Mexique auront une occasion d’avoir des informations de première main sur le mouvement des travailleurs de maquiladora.
Samedi 23 janvier, le Projet d’Education en Justice Sociale d’El Paso parrainera, à 10 heures du matin, un forum auquel participeront l’avocate des travailleurs de Lexmark Susana Prieto et l’ouvrière militante de maquiladora de Juarez Miriam Delgado. Les Docteurs Kathy Staudt et Oscar Martinez, co-fondateurs du Projet d’Education en Justice Sociale, universitaires vétérans de la frontière et écrivains, doivent aussi y faire des commentaires. Le forum du samedi matin doit se tenir dans l’auditorium de la Bibliothèque Publique d’El Paso, au 501, N. Oregon, au centre de la ville jumelle de Ciudad Juarez [c.à.d El Paso, Texas].
Autres sources (en Espagnol ou en Anglais) :
Arrobajuarez.com, January 16, 2016. El Mexicano, January 16, 2016. Article by Juan Ramon Rosas. El Diario de Juarez, January 14, 2016. Article by Francisco Chavez. Nortedigital.mx, January 14, 2016. Article by Carlos Omar Barranco. El Diario de El Paso, January 14, 2016. Article by Juliana Henao. Lapolaka.com, January 14 and 16, 2016. Elpasoheraldpost.com, January 11, 2016. Article by Chris Babcock. La Jornada, December 31, 2015; January 13, 15, 16 and 17, 2016. Articles by Ruben Villalpando, Patricia Munoz Rios, Gloria Munoz Ramirez and Elio Henriquez. Lexington Herald Leader (kentucky.com), December 16, 2015.
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