Malgré tous ses défauts, « Le Futur que Nous Voulons » est le premier document officiel des Nations Unies qui mentionne la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones. »
Par Miriam Anne Frank
Cultural Survival
Publié sur Censored News
Original article in English : on Censored News or on Cultural Survival site
Traduction Christine Prat
“Farce” et “échec” sont juste quelques exemples des mots employés par les Peuples Autochtones pour décrire Rio +20, connu officiellement comme la Conférence Mondiale des Nations Unies sur le Développement Durable. La conférence, qui s’est tenue du 20 au 22 juin, était un suivi de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement de 1992, connue aussi comme le Sommet de la Terre. Avec plus de 50 000 participants inscrits, l’évènement organisé à Rio de Janeiro a été le plus grand rassemblement des Nations Unies de l’histoire. Il n’est probablement pas étonnant que l’évènement ait changé les Indigènes Brésiliens en icones pour posters dans les grands médias. Cependant, malgré une telle visibilité et une présence vocale, les chefs d’Etats du monde ne semblaient pas écouter.
D’après la description publiée sur l’un des sites web officiels de la conférence, Rio+20 devait être un forum pour une série de dialogues sur « comment réduire la pauvreté, promouvoir la justice sociale et assurer la protection de l’environnement sur une planète du plus en plus peuplée, pour avoir le futur que nous voulons. » Le « nous » dans cette déclaration se réfère à 10 « principaux groupes » formalisés par cette procédure : le monde des affaires et l’industrie, les autorités locales, les ONG, la communauté scientifique et technique, les agriculteurs, les femmes, les enfants, les travailleurs, les syndicats et les Peuples Autochtones.
Le fait que les Peuples Autochtones avaient une place à la table de conférence signifiait qu’ils pouvaient fournir un apport au document final produit par la conférence, qui avait reçu le titre (non intentionnellement) ironique, « Le Futur que Nous Voulons. » Malgré tous ses défauts, « Le Futur que Nous Voulons » est le premier document officiel des Nations Unies qui mentionne la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones. Comme il y est mentionné, « Nous reconnaissons l’importance de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones, dans l’application des stratégies de développement durable globales, régionales et nationales. » Bien que cette reconnaissance soit un pas dans la bonne direction, il resta à voir si çà servira vraiment de ligne directrice dans la phase d’application de Rio+20. Dans l’ensemble, « Le Futur que Nous Voulons » a été largement critiqué. De nombreux groupes, surtout les Peuples Autochtones, se sont plaints de ce que le document ne représente pas effectivement un futur que tout un chacun veut. Beaucoup de résistance s’est concentrée sur le concept proposé d’ « économie verte ». Selon le Programme Environnemental des Nations Unies, une économie verte est définie comme une économie dont la croissance en revenus et en emplois est poussée par des investissements dans des systèmes qui réduisent les émissions de carbone et la pollution, promeuvent l’efficacité de l’énergie et des ressources et préviennent la perte de biodiversité et d’écosystèmes. Ce type de développement est supposé « maintenir, promouvoir, et, si nécessaire, reconstruire le capital naturel… plus particulièrement pour les peuples pauvres dont la vie et la sécurité dépendent beaucoup de la nature. » Bien que peut-être bien intentionné quant à ce qu’il englobe, le concept de nature comme marché du capital est en conflit direct avec la vision du monde de beaucoup de Peuples Autochtones qui se comprennent comme étant eux-mêmes inséparables de la nature, en tant que ses intendants et gardiens ayant la responsabilité de protéger l’environnement. L’économie verte proposée à Rio +20 est également incapable d’affronter le problème du caractère non-durable inhérent aux pratiques qu’elle définit, en ignorant la réalité selon laquelle les ressources sont finies ; et si on n’en prend pas soin convenablement ou si on ne les respecte pas, elles s’épuiseront.
Problèmes d’accès
Assurer effectivement la participation d’opposants a été un autre problème majeur à Rio +20. Même ceux qui ont pu avoir accès au complexe des Nations Unies ont été empêchés d’assister aux réunions officielles et ont donc eu peu d’occasions d’approcher les décideurs. La distance métaphorique entre les deux groupes a été soulignée par l’aménagement physique de la conférence : les dirigeants du monde étaient enfermés dans un espace protégé, tournant le dos à l’espace relativement exigu et mal éclairé où le reste des participants était réuni. Si quelqu’un avait la chance de se procurer une entrée pour la salle sécurisée (seulement 15 passe-partout par groupe significatif ont été distribués), il ne pouvait qu’observer. Les représentants n’ont obtenu que peu d’occasion de parler, et un vrai dialogue était impossible. Les Dialogues sur le Développement Durable avaient pour but d’offrir un forum d’échange entre des experts et des participants sur des sujets-clé, avec la possibilité pour ceux qui étaient présents à la conférence – ainsi que pour les parties concernées dans le monde entier – de voter en ligne pour les messages essentiels qui seraient finalement discutés à la conférence. Par exemple, le soi-disant dialogue sur les Forêts a consisté en présentations individuelles de 10 experts présents, laissant fort peu de temps pour un échange véritable. Comme l’a fait remarquer un représentant Autochtone, la plupart des peuples vivant dans des forêts, dont la contribution aurait été vitale pour des discussions sur la déforestation, n’ont pas accès à l’internet. De nombreux Autochtones n’étaient pas non plus bien informés sur la procédure de vote en ligne.
En dépit de ces revers, les Peuples Autochtones sont venus à Rio préparés à se faire entendre. Quoique généralement peu considérés au cours de l’évènement principal, ils ont réussi à organiser eux-mêmes trois réunions importantes.
Kari-Oca II
Vingt ans après la première Conférence des Peuples Autochtones, qui a coïncidé avec le Sommet de la Terre de 1992, Kari-Oca II a eu lieu. Le rassemblement était organisé par l’Alliance des Peuples de la Cordillère ; la Terre est la Vie ; le Réseau Indigène pour l’Environnement ; et le Comité Inter-Tribal du Brésil. Tenu sur le site sacré de Kari-Oka Púku dans les environs de Rio de Janeiro, Kari-Oca II a rassemblé un large éventail de Peuples Autochtones du Brésil et des Amériques. L’agenda de cette réunion d’une semaine s’est concentré sur l’évaluation des gains et des pertes depuis la première conférence de Rio, y compris le stade d’application de documents-clé tels que les Conventions des Nations Unies sur la Biodiversité et le Changement Climatique. Kari-Oca II avait aussi pour but d’être un lieu où les groupes participants développeraient collectivement des stratégies et partageraient des informations. Du temps avait été réservé pour discuter des problèmes environnementaux majeurs comme la déforestation des pays en voie de développement et l’impact des industries minières et des barrages, entre autres.
La déclaration de Kari-Oca II en résultant, a condamné le présent agenda des Nations Unies : « Nous voyons les buts de Rio +20, de l’ ‘Economie Verte’ et de son présupposé, c’est-à-dire que le monde ne peut ‘sauver’ la nature qu’en transformant en marchandise ses capacités à engendrer la vie, en continuation du colonialisme auquel les Peuples Autochtones et Notre Mère la Terre ont fait face et résisté depuis 520 ans.
Bien que ce rassemblement se soit tenu a des kilomètres du site de Rio +20, le 21 juin des participants ont marché de Kari-Oca Púku jusqu’au complexe des Nations Unies. Seul un petit groupe a été autorisé à entrer pour soumettre formellement leur déclaration. Comme l’a déclaré Kandi Mossett (Nations Mandan, Hidatsa, et Arikara des Etats-Unis), qui a participé à la marche, « Nous ne pouvons pas réduire à l’état de marchandise ce qui est sacré et espérer que çà finisse bien. » K. Mossett parlait d’après une expérience directe, ayant été témoin des effets des forages de pétrole et de gaz dans son pays, au Dakota du Nord.
Conférence Internationale des Peuples Autochtones
La Conférence Internationale des Peuples Autochtones sur le Développement Durable et l’Autodétermination : Ensemble pour Notre Souveraineté Alimentaire, Nos Cultures Traditionnelles et Nos Modes de Vie a été organisée par le Comité de Coordination Globale des Peuples Autochtones pour Rio +20 dans le cadre de la conférence officielle des Nations Unies. Tenue sur le terrain du Musée de la République de Rio du 17 au 19 juin, la conférence a été largement suivie par des représentants de Peuples Autochtones qui travaillent sur des problèmes de politique environnementale. Pendant trois jours les participants ont discuté d’un agenda comprenant l’impact de modèles de développement sur les Peuples Autochtones et la souveraineté alimentaire, le droit à la nourriture, l’idée des Andes de buen vivir (bien vivre), et des problèmes relatifs aux écosystèmes et aux styles de vie.
La déclaration de la conférence traite de la relation fondamentale entre la culture et le développement durable et de l’importance du renforcement de diverses économies locales et de la gestion territoriale. Un point crucial, qui se réfère clairement à la notion d’ « économie verte » de Rio +20, déclare : « Nous continuerons à rejeter le concept et la pratique néolibérales dominants de développement fondé sur la colonisation, la marchandisation, la contamination et l’exploitation du monde naturel, et les politiques et projets fondés sur ce modèle. » Au cours de la part formelle de cette conférence, au complexe des Nations Unies le 21 juin, des représentants Autochtones ont présenté officiellement cette déclaration. Bien que de nombreux participants aient été associés à Rio +20 et aient été actifs dans les phases préparatoires officielles de la conférence, ils sont restés sceptiques quant à ses résultats. Comme l’a dit Onel Masardule (Kuna du Panama) : « Les gouvernements de la plupart des pays ont déjà signé des accords sur les droits de l’homme et des traités sur l’environnement et ont adopté la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones. Nous sommes ici à Rio pour demander une fois de plus aux Etats de se conformer à leurs obligations et leurs engagements dans toutes les politiques, financement et actions de développement, et de mettre en place des mesures adéquates au niveau national pour appliquer ces accords. Nos droits doivent être assurés afin que nos terres et territoires soient préservés au bénéfice de nos futures générations et de toute l’humanité. »
Terra Livre
Du 15 au 22 juin, des représentants Autochtones se sont rassemblés au Campamento Terra Livre (Camp de la Terre Libre) pendant le Sommet des Peuples pour la Justice Sociale et Environnementale en Défense des Biens Communs. Les organisateurs de cet espace spécifiquement Indigène comprenaient l’Articulation des Peuples Autochtones du Brésil, Le Coordinateur des Organisations Autochtones du Bassin du Fleuve Amazone, le Coordinateur des Organisations Autochtones des Andes, le Conseil Autochtone d’Amérique Centrale et le Conseil Continental Guarani de la Nation. Le Sommet des Peuples, qui s’est tenu au Flamengo Park au cœur de Rio, était organisé comme contre-conférence : l’anti-Rio +20. Il s’est concentré sur les luttes locales et globales pour des politiques contre le capitalisme, la société de classes, le racisme, le patriarcat et l’homophobie.
Les délégués du Camp de la Terre Libre ont produit la Déclaration de la Terre Libre, qui se concentre sur le concept de buen vivir : « Nous soutenons et défendons des formes de vie plurielles et autonomes, inspirées par le modèle Vivre Bien/Vie Saine, dans lequel Notre Mère la Terre est respectée et soignée, où les humains ne sont qu’une espèce parmi toutes les autres composantes de la diversité de la planète. » Les délégués ont aussi établi une liste de propositions d’action centrée sur les problèmes immédiats des Peuples Autochtones du Brésil, comme la nécessité d’une démarcation des terres pour protéger les territoires Autochtones, et des appels à améliorer les conditions sanitaires et l’éducation Autochtone.
Le 20 juin, un jour particulièrement bruineux, le Sommet des Peuples a organisé une marche de protestation contre Rio +20. Conduit par le Campamento Terra Livre, un groupe d’Indigènes s’est rassemblé autour d’un drapeau géant représentant un arc-en-ciel. [L’image représente pour les peuples des Andes l’héritage de l’empire Inca, et est un symbole de la résilience des Peuples Autochtones.] Des milliers de manifestants ont marché du Flamengo Park dans les rues du centre de Rio, portant des pancartes et des banderoles, de fabrication professionnelle ou faites à la maison. De nombreux participants portaient des costumes créatifs, certains portaient des marionnettes géantes, d’autres marchaient sur des échasses ; tous se sont rassemblés pour créer une atmosphère joyeuse et carnavalesque. Fidèlement à l’esprit du Brésil, un camion d’où hurlait de la musique de samba, avec des étudiants d’une école de samba dansant à côté, a ajouté une composante musicale à ce qui est devenu une marche de toute une journée.
Préserver l’Environnement pour Nos Familles à Venir
Comme il fallait peut-être s’y attendre, le gouvernement et les médias Brésiliens ont largement profité des occasions de prendre des photos fournies par les peuples Amazoniens aux costumes richement colorés. A Kari-Oca II, le gouvernement Brésilien a extorqué la création d’un fonds pour la promotion de la culture Indigène. Cependant, il a aussi approuvé récemment la construction d’un des projets les plus controversés de l’histoire du pays – le barrage Belo Monte. Le barrage promet de causer des dégâts catastrophiques à la région, qui se trouve au cœur de la forêt vierge amazonienne ; des milliers d’Autochtones seront déplacés étant donné que la montée des eaux du fleuve inondera leurs territoires d’origine.
Avec de nombreux autres, le leader Autochtone Raoni Metuktire, un chef de la tribu Kayapó, qui compte 5000 membres, est venu à Rio pour défendre les droits de ses gens et protester contre le barrage : « L’homme blanc ne veut pas préserver la forêt pour le futur. Cela m’inquiète beaucoup. Pourquoi ne préservent-ils pas les forêts vertes pour nos enfants encore à venir ? ». Les inquiétudes de Metuktire sont partagées par les Peuples Autochtones qui se rendent compte que leur destin n’est pas pris en considération par les gens au pouvoir, ni dans les forums internationaux comme Rio +20, ni dans aucune vision à long terme.
Malgré tous ses échecs, Rio +20 a réussi à fournir une plateforme pour la convergence de mouvements sociaux, d’ONG, et de Peuples Autochtones pour défendre leurs droits. Les participants à de nombreuses sessions parallèles et des groupes d’opposants ont développé des visions concrètes pour un modèle de développement juste et durable – un modèle fondé sur ce qu’ils croient être le mieux pour la planète et ses habitants. Les Peuples Autochtones à Rio +20 ont fait savoir clairement que la vision « officielle » sortie de la conférence n’est pas le futur qu’ils veulent ; ce qu’ils veulent, c’est un futur autodéterminé et de ce fait véritablement durable.
-Miriam Anne Frank est une anthropologue qui soutient activement les Peuples Autochtones depuis plus de deux décennies. Elle travaille actuellement au Projet de Film Terre Sacrée, elle enseigne comme chargée de cours invitée à l’Université de Vienne, Autriche, et est consultante pour des ONG, des fondations et des musées.
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