Hwééldi [Lieu de souffrance et de peur]
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, la “conquête de l’Ouest” s’est intensifiée. En 1846, les Etats-Unis avaient attaqué le Mexique, indépendant depuis peu, et acquis une énorme portion de territoire, par le Traité de Guadalupe-Hidalgo de 1848. Avant, les colons voulaient surtout s’emparer de terres agricoles et avaient peu d’intérêt pour les terres rocheuses et désertiques du Sud-ouest. Cependant, dans la seconde moitié du XIXème siècle, les gens commencèrent à chercher de l’or et autres ressources minérales.
Dans les années 1860, l’Armée Américaine avait des postes militaires dans le Sud-ouest, sous prétexte que les Navajos et les Apaches faisaient des razzias dans la zone. Dans la région correspondant aux états actuels d’Arizona et du Nouveau-Mexique, les colons capturaient des femmes et des enfants Autochtones comme esclaves, ce qui revenait moins cher que d’acheter des esclaves Africains. Les guerriers Autochtones essayaient de libérer les captifs et faisaient des razzias dans ce but. Cependant, dans les années 1860, la rumeur s’est répandue parmi les Blancs qu’il devait y avoir de l’or dans le Territoire Navajo. Un de ceux qui crurent en cette rumeur était le Colonel Kit Carson. Il réussit à persuader son supérieur, le Général Carleton, qu’il était nécessaire de se débarrasser des Navajos.
L’Armée dirigée par Kit Carson attaqua le Territoire Navajo, tandis que Fort Sumner – nommé en mémoire du Général Edwin Vose Sumner – était construit, sur un site appelé Bosque Redondo par les Espagnols. Au cours de l’hiver 1863-64, l’armée de Carson tua des Navajos, détruisit les récoltes, et captura tous les Navajos qui n’avaient pu leur échapper. Dans le Canyon de Chelly, où les gens se cachaient dans des grottes, l’Armée détruisit tout ce qui pouvait pousser, entre autres les pêchers dont les Navajos étaient si fiers. Certains guerriers réussirent à se cacher dans les nombreuses grottes et canyons de la région. Mais des milliers de Navajos furent faits prisonniers et forcés de marcher sur environs 650 km, en hiver, jusqu’à Bosque Redondo. Beaucoup moururent en route. En particulier les enfants et les personnes âgées, moururent de faim et d’épuisement, ou se noyèrent en devant traverser des rivières.
Sur le lieu où ils devaient être détenus – appelé ‘réserve’, mais en réalité le premier camp de concentration de l’histoire moderne, avec intention d’extermination – ils devaient produire pour assurer leur survie. Ils devaient planter des céréales et autres produits alimentaires. Cependant, l’endroit était particulièrement inhospitalier, ils manquaient de bois, et l’eau de la rivière Pecos était alcaline, non-potable, la boire les rendait malades, et ne convenait même pas à l’irrigation. Quelques centaines d’Apaches Mescalero furent également détenus dans le camp.
Bien que les soldats du fort soient supposés surveiller le camp, et bien entendu, empêcher les prisonniers de s’évader, ils fermaient les yeux quand des Comanches – alors ennemis des Navajos et des Apaches, et au besoin collaborateurs – les attaquaient.
Après plusieurs années de mauvaises récoltes, durant lesquelles l’Armée devait fournir aux prisonniers des rations minimales, ce qui coûtait tout de même de l’argent – en plus des dépenses considérables des soldats qui gardaient le camp – il fut décidé que ça coûterait moins cher de laisser les survivants rentrer ‘chez eux’, dans une réserve dessinée par un rectangle sur une carte, dans le cadre du Traité du 1er juin 1868. Les survivants ont probablement dû leur salut au fait que leur enfer ait eu lieu pendant la Guerre de Sécession. Ça réduisait énormément le budget de l’armée pour d’autres actions, et beaucoup de militaires de la région avaient choisi le camp des Confédérés, “les Sudistes” et durent quitter l’armée à la fin de la guerre de sécession.
Les survivants rentrèrent chez eux, c’est-à-dire d’où ils venaient, n’ayant pas appris à reconnaître un rectangle abstrait dans le paysage. Depuis, la Réserve Navajo a été agrandie à plusieurs reprises, mais ils n’ont toujours pas récupéré leur Territoire ancestral, entre les Quatre Montagnes.
L’histoire de Hwééldi a été racontée de génération en génération. En 2009, Camille Manybeads Tso a raconté dans un film, “In the Footsteps of Yellow Woman”, l’histoire de son arrière arrière-grand-mère, qui avait réussi à se cacher avec son bébé et à échapper à la Longue Marche. Le film est passé en France, dans le cadre du festival Alter’Natif, à Nantes. Le film de Klee Benally, “Power Lines” – sorti aux Etats-Unis en 2015 et à Paris en 2016 – est d’un bout à l’autre parsemé d’allusions à Hwééldi, évènement crucial dans l’histoire de tous les Navajos.
Un mémorial, qui héberge un musée, a été conçu par l’architecte Navajo David N. Sloan. Il a été ouvert le 4 juin 2005. Le site est actuellement géré par le Service des Sites Historiques du Nouveau-Mexique, qui dépend du Service des Affaires Culturelles du Nouveau-Mexique.
Création des Réserves Navajo et Hopi
La Réserve Navajo a d’abord été créée sous la forme d’un rectangle dessiné sur une carte, par le Traité du 1er juin 1868. Les Navajos avaient déjà obtenu quelques terres supplémentaires en 1878 et 1880. Toujours des rectangles, donc ils habitaient dedans et autour.
En 1880, les Hopis n’avaient pas de Réserve, mais tout de même un agent des Affaires Indiennes. Il se plaignait régulièrement de deux Blancs qui « causaient des troubles » dans la communauté. (Selon certains récits, en particulier celui du site Cultural Survival, les deux personnes en question aidaient les Hopis à empêcher que leurs enfants ne soient enlevés et envoyés dans des pensionnats Mormons.) Il expulsa les deux hommes, mais appris très vite qu’il ne pouvait pas expulser des gens de terres des Etats-Unis. L’agent réclama alors la création d’une réserve Hopi. Ce fut fait en 1882, quand le Président Chester A. Arthur prononça un Ordre Exécutif pour la création d’une Réserve – un nouveau rectangle [voir carte plus haut, 1882] – pour « l’utilisation et l’occupation par des Moqui (Hopi) et tels autres Indiens que le Secrétaire à l’Intérieur pourrait juger bon d’y placer. » Ce territoire est connu sous le nom de Zone d’Utilisation Commune, Joint Use Area ou JUA. Les « autres Indiens » étaient des Navajos qui y avaient toujours vécu. Une partie de ce territoire était réservée à 100% pour les Hopis. La situation devait durer jusqu’en 1974.
La Déportation des Habitants de Big Mountain
Après que des géologues aient cru – à tort – que Black Mesa devait receler du pétrole, dès 1963, la compagnie charbonnière Peabody Coal a commencé à forer pour chercher du charbon. La plupart des Navajos et des Hopis étaient contre l’ouverture à la dynamite de la Terre Mère. Mais quelques dirigeants Hopi avaient besoin de l’argent que l’exploitation de charbon pourrait leur amener. Il y eut donc un conflit politique entre les dirigeants ‘modernistes’ et leurs administrés et voisins ‘traditionnels’.
En 1974, le Congrès des Etats-Unis a adopté la loi PL 93-531, qui décidait du partage d’une zone jusque-là commune aux Navajos et aux Hopis, et de la déportation et ‘relocalisation’ forcée de milliers de familles Navajo de Big Mountain. La loi a été votée en plein scandale du Watergate, par conséquent, la plupart des Sénateurs et Représentants étaient absents des discussions de la loi PL 93-531, ne venaient que quand ils entendaient la cloche annonçant le moment de voter, demandaient à leurs assistants quelle était la position des Sénateurs-vedettes afin de décider de leur vote. A l’époque, le plus célèbre et influent était le Sénateur d’Arizona Barry Goldwater, ex-candidat aux présidentielles, connu alors en Europe comme démagogue populiste d’extrême droite.
Juste avant que la question de Big Mountain ne soit noyée par le scandale du Watergate, le conseiller juridique – Mormon – de la tribu Hopi, qui s’est avéré plus tard avoir été aussi le conseiller juridique de la firme Peabody Coal – fondée par des Mormons – (qui est toujours la plus grande compagnie charbonnière du monde), et avoir travaillé pour la firme de Relations Publiques – Mormone – qui se chargeait de manipuler les médias, avait réussi à présenter l’affaire comme une guerre tribale dévastatrice entre les Hopis et les Navajos. C’était bien sûr un mensonge ridicule. En réalité, il y avait bien eu des problèmes de voisinage, des conflits entre familles, mais pendant tous ces siècles depuis lesquels les Hopis et les Navajos sont voisins, il n’y a jamais eu de guerre généralisée entre les deux tribus. Il y a aussi toujours eu des mariages mixtes, et beaucoup de familles appartiennent aux deux tribus. En fait, c’était surtout les dirigeants Hopi de l’époque, occidentalisés – et, pour certains, convertis à la religion des Mormons – intéressés par les profits rapportés par l’exploitation du charbon, qui avaient choisi Peabody, contre leurs voisins Navajo et leurs propres administrés ‘traditionnels’, qui n’apprécient pas non plus la pollution au charbon de l’air qu’ils respirent, et l’épuisement des ressources en eau déjà rare.
Les Diné (Navajo) qui sont restés chez eux envers et contre tout, étaient des résistants, des gens qui n’auraient jamais abandonné. Louise Benally, la plus jeune, est la dernière résistante des débuts.
Des articles ont été publiés en 2014, lorsque des habitants très âgés de Big Mountain ont été brutalement agressés par la police Hopi venue saisir leurs moutons. Mais quand il ne se passe rien de spécial, les habitants de Big Mountain sont oubliés. Cependant, la situation à Big Mountain ne s’est pas améliorée. Les gens n’ont pas l’eau courante, l’eau des sources est épuisée et ils doivent avoir recours à des procédés ingénieux pour recueillir l’eau de pluie, ils n’ont pas d’électricité – alors que le charbon extrait par Peabody fournit des centrales électriques très polluantes, qui alimentent les grandes villes de la région, mais pas les Navajos qui vivent à proximité –, ils n’ont pas de routes goudronnées – les pistes se transforment en torrents de boue dès qu’il pleut. Selon la loi PL 93-351, ils sont ‘illégaux’ sur leurs propres terres et n’ont donc aucun droit. Pendant des années, ils n’étaient pas autorisés à effectuer la moindre réparation dans leurs maisons à cause d’une loi connue aux Etats-Unis sous le nom de ‘Bennett Freeze’, beaucoup de maisons sont donc en mauvais état, et beaucoup de gens n’ont pas les moyens de les réparer. La plupart des résistants étaient âgés, les jeunes ont tendance à partir chercher du travail ailleurs, ce qui rend la situation d’autant plus difficile pour ceux qui restent. En plus des conditions de vie très dures, ils subissent un harcèlement quasi constant de la part de la police et des ‘Rangers Hopi’, leur bétail est saisi, ce qui aggrave le manque de nourriture. Une bonne part de leur bétail, qui fournit de la viande à manger et de la laine à vendre, avait déjà été saisie en octobre 2014, juste avant l’hiver, période où ils ont particulièrement besoin de nourriture, vu les difficultés de circulation sur les pistes boueuses et dans la neige. Il y a eu de nouvelles saisies de bétail au printemps 2015, les bêtes ont été vendues aux enchères, et des gens ont dû s’endetter pour racheter leurs propres bêtes.
Bien sûr, le harcèlement avait pour but de pousser les gens à partir, étant donné que Peabody voulait s’étendre. Des Hopis, au Conseil Tribal, soutenaient Peabody, vu qu’ils avaient besoin de l’argent que çà leur procurait. Les dirigeants Navajo avaient aussi des intérêts dans l’exploitation des ressources – la mine principale est en territoire Navajo – et avaient donné leur accord pour prolonger le permis d’exploitation de Peabody de 25 ans.
Cependant, les mines de charbon ont fermé, celle de Big Mountain en 2005 et celle de Kayenta en 2019. Mais depuis, Peabody s’acharne à échapper à l’obligation de réparer les dégâts. La firme s’est déclarée en faillite à plusieurs reprises.
Les gens en ont assez d’être empoisonnés par la poussière de charbon, et de manquer d’eau à cause des quantités phénoménales qui ont été utilisées pour extraire le charbon et le transporter sous forme liquéfiée jusqu’aux centrales – qui ont aussi empoisonné les Navajos de la région. La centrale située au nord-ouest de la Réserve a fermé en décembre 2020. L’une des centrales de l’est, au Nouveau-Mexique, la centrale de San Juan, située à proximité de la Réserve, devait fermer en octobre 2022. Celle de Four Corners, extrêmement polluante, située dans la Réserve, près de Shiprock, a encore deux unités en service, les trois autres ont été fermées en 2014. Mais la poussière est toujours présente, la nature défoncée. Rien n’a été réparé.
En plus, il y a au moins 1000 mines d’uranium abandonnées mais toujours radioactives, dans et autour de la Réserve Navajo, ce qui a aussi de graves conséquences pour la santé des habitants. Et 22 puits ont dû être fermés parce qu’ils étaient radioactifs, privant les gens de sources d’eau proches.
Cet article a été écrit en 2015. Depuis, la plupart des résistants sont passés dans l’autre monde. Louise Benally, beaucoup plus jeune, reste à peu près la seule résistante des débuts. Avec la pandémie de COVID-19, les activistes sont surtout occupés à collecter de l’eau et de la nourriture pour les porter aux personnes isolées de la Réserve.
Maintenant, une firme spécialisée dans le « Laver Plus Vert » a demandé des permis pour installer des pompes de stockage d’eau sur Black Mesa. Elle prétend s’approprier le peu d’eau qui reste dans la nappe phréatique et quelques cours d’eau pas encore complètement épuisés. Elle a son siège à Paris.