L’UNION AMERICAINE POUR LES LIBERTES CIVILES SE FOURVOIE EN DEFENDANT LES REDSKINS
Par Andrew Curley, Diné [Navajo]
Publié sur Indigenous Action Media
26 mars 2015
Le 6 mars 2015, l’Union Américaine pour les Libertés Civiles (ACLU) a officiellement pris parti pour les Washington Redsk*ns [le nom de l’équipe de football américain de Washington : « Redskins » c’est-à-dire Peaux-Rouges, l’auteur met un astérisque pour souligner que pour eux il s’agit d’un gros mot – NdT] en ce qui concerne leur droit de conserver le nom offensant de l’équipe. Elle a non seulement publié un communiqué de presse déclarant que les Redsk*ns étaient dans leur bon droit, mais elle a même déposé un mémoire amicus curiae [d’après la loi américaine, des personnes peuvent être entendues à un procès sans statut de témoin ou autre, à titre d’information – NdT] aux côtés de la compagnie pesant 1,6 milliard de dollars, dans un procès en appel contre cinq activistes Amérindiens qui avaient attaqué le nom des Redsk*ns devant l’Organisation américaine des Patentes et du Commerce.
L’ACLU a embrouillé la question du mouvement pour Changer le Nom et en a fait une affaire relevant du Premier Amendement [qui garantit la liberté d’expression – NdT] alors qu’il s’agit en fait d’un problème de droits de l’homme. Ils ont faussement prétendu que le gouvernement piétinait la liberté d’expression, alors qu’en fait, le Bureau des Patentes et du Commerce utilisait l’autorité qui lui a été donnée par le Congrès de refuser le droit de patenter des choses offensantes ou obscènes. Il remplissait aussi dans une faible mesure l’obligation du gouvernement américain de protéger les droits humains des peuples Autochtones.
Mais l’ACLU émet des objections contre la capacité du gouvernement de réguler la « décence » des marques commerciales. Ceci limite les enjeux de l’affaire, de la protection des droits humains des peuples Autochtones à une question ramenée sur le même plan que la diffusion de jurons ou de défaillances vestimentaires.
Dans l’affaire Pro-Football Inc. contre Amanda Blackhorse et les autres, l’ACLU défend la déresponsabilisation et la déshumanisation des peuples Autochtones en tant que droit inattaquable de Pro-Football Inc., la compagnie propriétaire de l’équipe des Washington Redsk*ns. Même si c’est mal, c’est leur droit d’avoir tort, affirme l’ACLU. Ceci place l’affaire d’emblée dans le domaine de la liberté d’expression. Mais les gens de l’ACLU ignorent la gravité de la question et le fait que ce n’est absolument pas une question de liberté d’expression.
Quand un peuple est systématiquement visé et déshumanisé, comme c’est clairement le cas quand on appelle les Amérindiens des « Peaux-R*uges », c’est comparable à la propagande Nazi contre les Juifs. Au tribunal de Nuremberg, des procureurs américains ont clairement lié les médias Nazi aux crimes de guerre. Mais ils ne se sont jamais penchés sur ce qui se passait aux Etats-Unis. Dans notre cas, le terme « Peaux-R*uges » a une longue histoire de déshumanisation des Autochtones. Cette déshumanisation est liée au vol, aux punitions collectives et à la violence contre les peuples Autochtones du continent. Bref, le terme Peaux-R*uges et la violence d’état sont intimement liés.
Mais pour l’ACLU, refuser à Pro-Football Inc. sa marque raciste est la même chose qu’une interdiction de parler. L’ACLU met en garde contre la limitation de la liberté d’expression par « le gouvernement » sous la forme de la révocation par le Bureau des Patentes et des Marques Commerciales (PTO) de la marque déposée de l’équipe, à cause de son caractère offensant. L’ACLU ramène la déposition de marques à la liberté d’expression et le rejet d’une patente par le PTO à de la coercition. C’est un saut logique énorme de la part de l’ACLU et une dénégation du véritable héritage de violence exercée contre les peuples Autochtones.
Dans leur mémoire amicus curiae, ils citent une affaire de 1950 et suggèrent que « dans certaines circonstances, des ‘découragements’ indirects’ » tels que le refus d’une patente, « ont le même effet coercitif que « des peines de prison, des amendes ou des injonctions. » Autrement dit, des désavantages financiers indirects dans l’exercice de l’expression par l’intermédiaire de n’importe quelle institution gouvernementale, que ce soit la police qui confisque votre rotative ou le PTO qui refuse une patente à cause d’un racisme évident, pour l’ACLU, les effets sont les mêmes.
Mais la phrase clef qu’ils citent et ignorent est que « seulement dans certaines circonstances » (italiques ajoutées par l’auteur) ces tactiques constituent la même coercition. Certainement pas en toutes circonstances. Et ce n’est clairement pas l’une de ces circonstances. Nous ne parlons pas d’une petite startup se moquant d’un concurrent beaucoup plus gros, l’un des scenarii cité par l’ACLU dans son mémoire. Nous parlons d’une organisation au cœur de la capitale fédérale que Forbes estime à 1,6 milliard de dollars et qui refuse de changer son nom raciste quoi qu’il arrive. Çà laisse peu de recours aux activistes Autochtones à part en appeler aux critères de décence du Bureau des Patentes et Marques Commerciales.
Même gagner en appel ne garantit pas que Pro-Football Inc. changera le nom de son équipe. Le gouvernement des Etats-Unis ne dit pas qu’ils ne peuvent pas s’appeler « Peaux-R*uges », seulement qu’ils ne peuvent pas déposer la marque. Donc, c’est seulement pour protéger les droits de Pro-Football Inc. de faire des bénéfices que l’ACLU intervient.
Aussi, dans la pratique de la liberté d’expression, il est important de se demander qui sont les acteurs et de quelles ressources ils disposent. La garantie de la liberté d’expression, quand elle a été définie dans la Constitution des Etats-Unis, avait pour but de protéger des individus sans pouvoir du pouvoir des institutions gouvernementales de les réduire au silence. Quand le Premier Amendement a été adopté, les compagnies n’étaient pas aussi puissantes qu’aujourd’hui. Maintenant elles ont plus de ressources que certains gouvernements et reflètent l’inégalité générale détaillée par Oxfam International qui a montré que la moitié de la richesse était possédée par un pourcent de la population.
« … ceci n’empêche pas Dan Snyder ou quiconque associé à Pro-Football Inc. de dire le mot Peaux-R*uges en public, dans la presse ou toute autre forme d’expression. Çà les empêche seulement de le déposer comme marque. »
Dans cet environnement, les gouvernements tribaux ou les individus Autochtones ont très peu de recours, si ce n’est d’en appeler à ce qu’il y a de progressiste dans les lois et les institutions fédérales. Çà inclut les lois qui autorisent le PTO à rejeter une marque à cause de son caractère offensant. Encore une fois, çà n’empêche pas Dan Snyder ou quiconque associé à Pro-Football Inc. de dire le mot « peaux r*uges » en public, dans la presse ou ailleurs. Çà les empêche seulement d’en faire une marque déposée. Donc nous devons rejeter l’objection selon laquelle faire changer de nom aux Washington Redsk*ns pesant 1,6 milliard, serait un poids financier équivalent à de la coercition.
Il faut que l’ACLU adopte une attitude plus nuancée sur le Premier Amendement, quand il s’agit de questions relatives à des patentes et des marques déposées et prenne aussi en considération le pouvoir financier des individus, groupes ou compagnies impliqués. En fin de compte, les marques constituent une intrusion mal définie dans la question plus vaste de « la liberté d’expression », étant donné que leur point de vue est d’attribuer le droit à la parole à des individus, des groupes ou des compagnies privés et en empêcher d’autres de l’utiliser.
L’ACLU devrait aussi reconnaître que le refus du PTO de déposer la marque Redskin ne fait qu’empêcher la compagnie de faire de l’argent avec la déshumanisation des Autochtones. C’est une reconnaissance minime de la part du gouvernement des Etats-Unis qu’une telle déshumanisation est moralement condamnable. Çà fait partie de l’histoire de la propagande que de suggérer que les peuples Autochtones ne méritent pas les droits civiques et humains de base. L’utilisation du terme remonte à des siècles et il était utilisé à des époques de violence du gouvernement contre les Autochtones. Aujourd’hui, il contribue à une attitude générale considérant que la violence contre les Autochtones est acceptable. Çà devrait rappeler les leçons de Nuremberg, à savoir que la propagande, à certaines époques, est criminelle.
Dans son mémoire amicus curiae, l’ACLU évite la question morale plus vaste de la déshumanisation des peuples Autochtones par son interprétation rigide, absolue et douteuse du Premier Amendement quand çà concerne une marque raciste. Ce que je veux dire ici, c’est que l’affaire des Redsk*ns n’est pas une question de liberté d’expression, c’est une question de droits de l’homme. Dans le discours d’après-guerre sur les droits de l’homme, en parti dérivés des procès de Nuremberg, le gouvernement des Etats-Unis a l’obligation d’empêcher la violence contre les peuples Autochtones. Il est signataire de la Convention Internationale sur l’Elimination de Toutes Formes de Discrimination Raciale. En refusant de déposer la marque « Redsk*ns » pour Pro-Football Inc., il n’a rempli qu’une toute petite partie de cette obligation. L’ACLU devrait reconnaître que les peuples Autochtones, pas la compagnie à 1,6 milliard, sont les vrais acteurs ayant besoin de protection.